Aide médicale à mourir: des médecins plus à l’aise

Le critère de fin de vie était difficile à évaluer, selon la ministre Danielle McCann.
Photo: iStock Le critère de fin de vie était difficile à évaluer, selon la ministre Danielle McCann.

Les médecins qui étaient freinés par le critère de fin de vie pourraient avoir moins de réticences à fournir l’aide médicale à mourir lorsqu’il sera inopérant, selon la ministre de la Santé, Danielle McCann. Interviewée par Le Devoir, la ministre réagissait au récent rapport annuel de la Commission sur les soins de fin de vie.

« Le critère de soins de fin de vie était difficile à appliquer, a-t-elle expliqué. Qu’est-ce que c’est, la fin de vie ? Dans quel horizon ? On s’était donné des guides de pratique qui étaient aidants, mais ce n’était pas nécessairement facile pour les médecins de bien évaluer qu’est-ce que c’est, la fin de vie. Alors, dans ce sens-là, il pourrait y avoir des médecins qui seraient plus à l’aise de donner l’aide médicale à mourir. » La ministre McCann reconnaît toutefois du même souffle que d’autres praticiens pourraient l’être encore moins dans ce nouveau contexte.

Bien que le nombre de médecins prêts à donner ce traitement ait augmenté de près du tiers en un an, la Commission s’inquiète du fait que les spécialistes (17 %) étaient beaucoup moins nombreux que les omnipraticiens (83 %) à offrir l’aide médicale à mourir, au point d’en limiter l’accès dans les hôpitaux universitaires.

La présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Diane Francoeur, a offert une explication. « Les soins palliatifs étant en grande majorité couverts par les médecins de famille, ce sont eux qui sont plus présents dans les soins de fin de vie », a-t-elle indiqué dans une déclaration écrite.

« Le rôle du médecin spécialiste est d’abord et avant tout d’établir le pronostic de fin de vie en regard de la maladie qui affecte le patient, a-t-elle précisé. Il vérifie que cela est bien compris par le patient et sa famille. […] Il verra également à ce que toutes les options thérapeutiques aient été exposées au patient et que son consentement est éclairé. »

La ministre McCann a évoqué un programme de mentorat qui sera élaboré par le ministère de la Santé, le Collège des médecins et les hôpitaux pour que ceux qui administrent davantage l’aide médicale à mourir forment leurs collègues. Selon le rapport annuel de la Commission sur les soins de fin de vie, 43 médecins ont fourni plus de 10 traitements d’aide médicale à mourir. La majorité des 682 praticiens ayant déclaré avoir administré ces soins l’ont fait entre une et cinq fois.

Élargir jusqu’où ?

Mme McCann et sa collègue à la Justice, Sonia LeBel, ont annoncé jeudi que le gouvernement québécois ne portera pas en appel le jugement de la Cour supérieure, qui a invalidé le critère de « fin de vie » de la loi québécoise et celui de « mort raisonnablement prévisible » du Code criminel pour permettre à des gens lourdement handicapés d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. Reste à voir ce qu’il fera du critère québécois. « Il pourrait ne pas y en avoir, il pourrait y en avoir un, il pourrait y avoir n’importe quoi entre les deux, a précisé la ministre LeBel en conférence de presse jeudi. Le fait de décider de ne pas agir est une décision. Donc, nous avons six mois pour prendre une décision. »

Parallèlement, les deux ministres lancent une vaste réflexion sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir qui pourrait inclure l’ajout de directives anticipées. De quoi relancer cet épineux débat. « Est-ce que c’était l’agenda depuis le début ? a demandé en entrevue la présidente du Collectif des médecins contre l’euthanasie, le Dr Catherine Ferrier. Est-ce que c’était ça qu’ils voulaient et ils savaient qu’ils ne pouvaient pas le vendre comme ça au tout début, qu’il fallait commencer par là pour entrouvrir la porte et ensuite la pousser grande ouverte ? »

Elle estime que l’État devrait plutôt investir pour aider les gens à vivre malgré leurs souffrances. « La plupart des gens qui souffrent ne veulent pas mourir, ils veulent vivre ; ils veulent un appui pour vivre », a affirmé la médecin en gériatrie de l’Hôpital général de Montréal.

La députée péquiste Véronique Hivon, à qui l’on doit la Loi concernant les soins de fin de vie adoptée en 2014, croit pour sa part que la société québécoise est prête, cinq ans plus tard, à reconnaître les demandes anticipées d’aide médicale à mourir en cas d’inaptitude. « La raison pour laquelle on n’a pas franchi ce pas supplémentaire, c’est parce qu’on aurait perdu le consensus parmi les élus et il fallait franchir le premier grand pas de l’aide médicale à mourir, a-t-elle dit lors de son point de presse jeudi. Et ça a permis de rassurer tout le monde, de voir que ça se faisait bien. »

Le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, plaide pour une ouverture encore plus grande, surtout pour les gens qui ne sont pas en fin de vie, comme le préconise le jugement de la Cour supérieure, en prenant soin de préciser que le conseil d’administration qu’il dirige est divisé sur la question. « Je pense qu’on est rendu là parce que j’ai trop vu de monde finir étouffé, maltraité, dans des couches souillées, a affirmé, ému, celui dont le frère lourdement handicapé a vécu en centre d’hébergement de soins de longue durée durant 30 ans. C’est très indigne de laisser les gens continuer à vivre comme ça, surtout quand la personne majeure, apte, veut en finir et qu’elle respecte les conditions de la loi. »

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