Dialogue de sourds entre Québec et Ottawa sur le logement

Deux semaines avant le déclenchement des élections fédérales, la ministre québécoise de l’Habitation, Andrée Laforest, a rejeté la dernière offre fédérale dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement (SNL) qui divise Québec et Ottawa depuis deux ans, a appris Le Devoir. Pendant ce temps, des investissements de dizaines de millions de dollars en logement social au Québec sont retardés.
« Façons de faire inacceptables », offre d’entente « irrecevable », la correspondance entre Québec et Ottawa obtenue en vertu de la loi d’accès à l’information révèle l’ampleur des tensions depuis deux ans dans le dossier de la SNL. Ottawa insiste pour rendre les fonds conditionnels à certains critères auxquels le Québec refuse de se soumettre.
Les documents révèlent en outre que l’arrivée de la Coalition avenir Québec (CAQ) au pouvoir en 2018 n’a rien changé aux tensions qui remontent à 2017. « Le projet proposé présente toujours plusieurs éléments qui ne peuvent être acceptés par le Québec », a écrit la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, dans une lettre le 30 août dernier où elle rejette « l’offre finale » du gouvernement fédéral.
Dans le contexte de pénurie de logement et de spéculation immobilière effrénée à Montréal, les besoins sont super grands. On n’a pas le luxe d’attendre des années
Ottawa s’est engagé à conclure une entente asymétrique avec le Québec. Or, les négociateurs d’Ottawa, écrit Mme Laforest, travaillent sur la base de « l’entente générique qui a été proposée aux autres provinces et territoires », laquelle ne « peut constituer une base de négociation acceptable ».
Lancée en 2017, la SNL est assortie d’un plan de 55 milliards sur dix ans pour améliorer l’accès à des logements à loyers abordables. Le Québec est la seule province à ne pas avoir convenu d’entente sur la façon dont l’argent de la Stratégie nationale sur le logement (SNL) sera dépensé. Résultat : en deux ans, l’Ontario a reçu 6,4 milliards de dollars, alors que le Québec n’a obtenu que 1,9 milliard.
Insatisfaction à la CAQ comme au PLQ
Le Devoir a pu constater que les trois ministres responsables de l’Habitation qui se sont succédé à ce portefeuille depuis deux ans ont tous haussé le ton dans ce dossier. Ainsi, en 2017, quelques semaines avant le lancement de la stratégie par Justin Trudeau, le ministre d’alors, Martin Coiteux, écrit à son vis-à-vis fédéral, Jean-Yves Duclos, pour l’avertir que le Québec entend « demeurer maître d’oeuvre » de la planification et de la gestion des services de logement sur son territoire et qu’il ne compte « pas souscrire à la SNL ».
« Au-delà de la problématique de cette nouvelle approche, plusieurs initiatives en découlant et envisagées par votre gouvernement en matière de logement soulèvent des préoccupations importantes », écrit-il.
Le lendemain du lancement officiel de la Stratégie, le 23 novembre, la nouvelle ministre de l’Habitation, Lise Thériault, écrit à son tour au ministre Duclos, lui reprochant d’avoir lancé la stratégie de façon « unilatérale » sans les gouvernements des provinces et « sans avoir convenu au préalable des modalités avec eux ».
Elle dénonce notamment sa décision d’intégrer à la Stratégie des sommes qui devaient à l’origine être transférées au Québec sans condition, en plus de se donner le droit d’intervenir directement auprès des villes et des partenaires locaux.
« Vous comprenez que pareilles façons de faire et approches […] dans un domaine de la pleine compétence du Québec, sont inacceptables », poursuit-elle. Dans sa réponse, le ministre Duclos écrit qu’il souhaite « travailler en collaboration » avec le gouvernement du Québec et promet que le Québec aura sa propre entente.
Trois mois plus tard, la ministre lui réécrit : 144 unités de logement ont été construites au Nunavik sans que le Québec n’ait été partie prenante des négociations, dénonce-t-elle.
Besoins criants
Pendant ce temps, le Québec reçoit moins d’argent que le reste du Canada. « On voit que le Québec a reçu moins que sa part », déplore la porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme. « Il n’a eu que 15 % des sommes alors qu’en temps normal c’est 20,25 % ».
Cet argent n’est pas perdu puisqu’il est réservé au Québec. Mais l’impasse prive les locataires d’occasions, selon Mme Laflamme qui avec d’autres groupes sociaux réclame des engagements contre la pénurie de logements.
« Dans le contexte de pénurie de logement et de spéculation immobilière effrénée à Montréal, les besoins sont super grands. On n’a pas le luxe d’attendre des années », a-t-elle dit.
« C’est sûr qu’on prend du retard par rapport à d’autres provinces », fait remarquer quant à lui Bruno Dion de la Fédération régionale des OBNL d’habitation. « L’argent est là, mais ne descend pas, alors ça ralentit la réalisation de projets d’habitations », renchérit la directrice du groupe de ressources techniques SOSACO, Nathalie Genois.
Les organismes en logement ne sont pas les seuls à s’impatienter. Dans une autre lettre en date de juin obtenue par Le Devoir, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) a écrit au ministre Duclos que ses membres « attendent impatiemment la signature d’une entente » et rappelle « l’urgence » de signer.
Au bureau de la ministre Laforest, on n’a pas voulu commenter le dossier cette semaine pour ne pas s’immiscer dans la campagne électorale. « Les échanges reprendront une fois que les élections fédérales seront terminées », a indiqué son attachée de presse, Bénédicte Trottier-Lavoie.
Joint mercredi, le ministre Duclos, a dit « avoir grand espoir » de s’entendre avec Québec « au lendemain des élections ». « Des progrès ont été faits », a-t-il dit. « On aurait aimé ça, conclure tout ça avant le déclenchement des élections fédérales. Il y a beaucoup d’argent en banque pour le Québec », a-t-il aussi déclaré.