Réconciliation: le Québec repentant

Les excuses du premier ministre François Legault ont été accueillies avec circonspection mercredi par les représentants autochtones venus entendre sa déclaration à l’Assemblée nationale.
M. Legault a demandé pardon pour l’échec de l’État québécois envers les peuples autochtones, concrétisant ainsi la première recommandation inscrite dans le rapport de la commission Viens rendu public deux jours plus tôt.
« Le rapport évoque des situations troublantes où des membres des nations autochtones sont victimes de discrimination. Ce constat évoque des sentiments douloureux », a-t-il déclaré en rappelant qu’il s’agit d’une question de « dignité humaine ».
Pour amorcer cette réconciliation, l’éducation nous apparaît être la meilleure arme afin de combattre les préjugés
« Les femmes autochtones sont celles qui ont subi une large part des préjudices décrits dans le rapport de la Commission, a-t-il déclaré. L’État québécois n’en a pas fait assez et cette situation est indigne de la société québécoise. »
« En conséquence, j’offre aux membres des Premières Nations et aux Inuits du Québec les excuses les plus sincères de l’ensemble de l’État québécois. L’État québécois a manqué à son devoir envers vous. Il vous demande aujourd’hui pardon. »
Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (AQPNL), Ghislain Picard, a noté que des avocats du gouvernement du Québec contestaient le jour même devant un juge le droit à l’autodétermination des Premières Nations dans une cause concernant le régime de retraite des Autochtones. « Appelons ça un malheureux hasard, que ça se fasse en même temps que le discours du premier ministre, a-t-il dit. Les excuses, c’est une chose. C’est quoi, les actions qui les suivent. »
« On ne veut pas juste être consultés, on veut être partie prenante », a affirmé pour sa part la cheffe du Conseil de la nation anishnabe de Lac-Simon, Adrienne Jérôme.
La conclusion du rapport Viens est brutale : les Premières Nations et les Inuits sont victimes de discrimination systémique dans leurs relations avec les cinq services publics analysés par les commissaires, soit les services policiers, judiciaires, correctionnels, les soins de santé et services sociaux et la protection de la jeunesse.
Notre système cultive l’ignorance et repousse ce qu’il ne comprend pas
Dans sa déclaration ministérielle livrée devant l’ensemble des élus de l’Assemblée nationale et une vingtaine de représentants des communautés autochtones et inuites, M. Legault a salué le courage des femmes autochtones de Val-d’Or qui ont affirmé avoir subi des sévices de la part de policiers et dont le témoignage dans un reportage de l’émission Enquête de Radio-Canada avait été l’élément déclencheur de la commission. Elles sont considérées comme les grandes oubliées du rapport Viens.
Le premier ministre a lu son discours tout en balayant du regard les leaders autochtones assis dans les tribunes du Salon bleu. Parmi eux, la présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, et la commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues Michèle Audette.
À la fin de son discours, les leaders autochtones se sont levés pour l’applaudir, à l’exception de quelques représentantes féminines, dont Viviane Michel. « On a soumis un plan d’action pour la sécurité de nos femmes, donc il y a des manquements quand même dans le rapport de M. Viens, a-t-elle rappelé en mêlée de presse à sa sortie du Salon bleu. On veut encore aller plus loin et on va bouger encore plus parce que nos femmes doivent encore avoir la sécurité de la part d’une entité policière. »
Pas de « fatalité »
Après « ces excuses nécessaires », François Legault a promis de « changer les choses ». Il a affirmé que son gouvernement allait étudier chacune des 142 recommandations de la commission Viens et « travailler de concert avec les communautés autochtones ». « Pour qu’on réussisse, l’État québécois doit absolument éviter d’imposer des solutions », a-t-il déclaré.
Il a pris soin de souligner la « responsabilité du gouvernement canadien ; pas pour nous décharger de la nôtre, mais pour en appeler à une collaboration de tous les instants ».
Le premier ministre a dit vouloir terminer son discours sur une note d’espoir. Il s’est engagé à « réunir les conditions qui permettront aux communautés autochtones et aux Inuits du Québec de s’épanouir », soulignant qu’il n’y avait pas « de fatalité » puisqu’il y avait aussi « des réussites de cohabitation fructueuse entre nos nations respectives ».
Les parlementaires ont ensuite applaudi les représentants autochtones, qui ont formé un cordon en se tenant la main. Chacun des chefs des partis d’opposition a pris la parole à tour de rôle pour appeler le gouvernement à l’action. « C’est la faute de qui si les bottes de police ont écrasé le visage d’une femme autochtone un soir d’hiver à Val-d’Or ? a demandé la co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé. C’est la faute de qui si Xavier Moushoom a été trimballé dans une quinzaine de familles d’accueil, s’il en a perdu sa langue ? Bien, c’est la faute du système. Notre système cultive l’ignorance et repousse ce qu’il ne comprend pas. Nous sommes tous et toutes, donc, responsables de ce monstre que le système a créé. »
L’État n’a pas suffisamment cherché à comprendre, l’État n’a pas montré assez d’ouverture, l’État est trop souvent demeuré inflexible, l’État a failli, nous avons failli.
« Les excuses ne suffiront pas, a reconnu le chef parlementaire du Parti québécois, Pascal Bérubé. Si nous sommes justes et honnêtes, nous donnerons une suite favorable et rapide à ces recommandations. » Le gouvernement devrait d’abord soutenir les femmes et les filles autochtones et assurer « un accès universel et efficace aux services » publics.
Seul le chef par intérim du Parti libéral, Pierre Arcand, a pris la peine de s’adresser aux Premières Nations en anglais. « Nous avons la responsabilité collective de changer les choses », a-t-il dit, en soulignant que le rapport Viens devait « marquer un tournant dans nos relations avec les communautés autochtones ».
Le fait que le discours du premier ministre Legault a été entièrement en français, alors que bon nombre de communautés autochtones s’expriment en anglais, a choqué la grande cheffe de la nation algonquine anishihabeg, Verna Polson. « Ils disent qu’ils veulent travailler avec les Premières Nations, alors il faut satisfaire à nos besoins, a-t-elle dit. Outre notre langue maternelle : il y a deux langues utilisées au Québec : le français et l’anglais. »
Avec Marco Bélair-Cirino