Le CEROM fait fausse route, dit Louis Robert

La porte du Centre de recherche sur les grains (CEROM) ne devrait même pas être entrouverte à l’industrie des pesticides, a affirmé le lanceur d’alerte Louis Robert en entrevue au Devoir à quelques jours de son témoignage en commission parlementaire sur les effets de ces produits sur la santé publique.
« Le privé a un rôle à jouer dans la recherche privée, a-t-il tranché. Le privé n’a pas de rôle à jouer dans la recherche publique. Il n’y a pas de compromis à faire là-dessus. »
L’agronome, dont le congédiement du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) avait été très médiatisé, fait partie d’une vingtaine d’organismes et d’experts qui défileront devant les élus de la commission. Il livrera également son message lors d’une conférence à l’Université Laval vendredi.
Coup de balai
À son avis, un coup de balai s’impose pour stopper l’intrusion de l’industrie des pesticides, non seulement dans la recherche en agriculture, mais également dans le transfert des connaissances technologiques et des services conseils que les agronomes donnent aux producteurs agricoles.
Le Devoir a rapporté plus tôt cette semaine que le CEROM, qui avait été visé l’hiver dernier par des allégations d’ingérence de cette industrie, estime toujours qu’elle a un rôle à jouer dans la recherche en agriculture. Une position partagée en partie par le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne.

« Il y a au moins deux membres de la Coop fédérée qui sont encore au conseil d’administration du CEROM, ce qui est une brèche, quant à moi, au principe d’indépendance », a remarqué M. Robert. La Coop fédérée est le fournisseur de pesticides le plus important au Québec. C’est également l’un des bailleurs de fonds du CEROM, dont la majeure partie du budget provient toutefois de fonds publics.
Ce centre de recherche a piqué l’intérêt des journalistes et de la classe politique à la suite du congédiement de Louis Robert en janvier. En s’appuyant notamment sur une note interne du MAPAQ transmise par M. Robert, Le Devoir et Radio-Canada révélaient en mars 2018 que des problèmes d’ingérence de l’industrie des pesticides entachaient le CEROM. Des chercheurs et d’ex-employés avaient alors dénoncé faire l’objet de pressions dans le cadre de leurs études sur les néonicotinoïdes, un produit tueur d’abeilles. Le lanceur d’alerte a pu réintégrer son poste après la publication en juin d’un rapport sévère de la protectrice du citoyen sur la façon dont le MAPAQ l’avait traité.
Il interprète aujourd’hui comme « un geste de confiance » le fait que ses supérieurs le laisseront s’adresser aux élus, signe que les choses ont changé au sein du ministère depuis qu’il a réintégré ses fonctions il y a un mois et demi. « À part ceux qui m’en parlent — et c’est souvent des gens de l’extérieur —, c’est comme si rien ne m’était arrivé », a-t-il révélé.
Reste que tout cet épisode a révélé plusieurs maillons faibles dans la chaîne de transmission de l’information du chercheur à l’agriculteur, ce qui peut faire la différence dans le choix de solutions de rechange. « Le message des résultats de recherche est très simple et très rigoureux sur le plan scientifique, a expliqué Louis Robert. La recherche québécoise démontrait qu’il n’est pas justifié de faire de l’application systématique de néonicotinoïdes au Québec. »
Le ménage doit être fait également au sein de l’Ordre des agronomes qui n’applique pas son code de déontologie, selon M. Robert. « L’Ordre autorise encore les agronomes à l’emploi des compagnies de pesticides à signer des autorisations, ça, c’est de l’ingérence », a-t-il relevé. D’autant plus qu’ils sont utilisés par précaution avec les semences enrobées de ce produit toxique. « C’est comme si le pharmacien qui vend des médicaments faisait la prescription sans avoir de diagnostic », a-t-il imagé.
Des fonctionnaires du ministère de l’Environnement avaient signalé au premier jour des consultations en commission parlementaire à la fin du mois de mai que quinze agronomes québécois ayant des liens avec l’industrie avaient signé en 2018 près de la moitié des 1500 prescriptions d’atrazine, un puissant herbicide, jugé le plus à risque. Ils considéraient que la situation est préoccupante.
Pour freiner cette ingérence de l’industrie, Louis Robert préconise l’ajout de ressources humaines au sein du MAPAQ. « On est peu nombreux et, en plus, on se fait interférer par les intérêts commerciaux et corporatifs, a-t-il constaté. Des gens dont la principale occupation est le transfert des connaissances technologiques — et ils sont juste au MAPAQ — il y en a une dizaine. Ce n’est vraiment pas beaucoup. Alors, déjà, si on doublait ces effectifs-là ça ne coûterait pas cher comparé à un programme de recherche. »
Il met également les élus en garde contre les programmes d’aide financière pour inciter les agriculteurs à se tourner vers des solutions de remplacement aux pesticides. « Si le producteur choisit d’adopter une nouvelle pratique parce qu’il a une subvention de quelques dollars par hectare, ça veut dire qu’il n’est pas très convaincu », a-t-il conclu.