Radio-Canada souhaite une aide conditionnelle à l’indépendance des salles de rédaction

Radio-Canada s’est dit favorable à l’octroi d’une aide du gouvernement québécois aux médias en difficulté, sous conditions.
Photo: David Afriat Le Devoir Radio-Canada s’est dit favorable à l’octroi d’une aide du gouvernement québécois aux médias en difficulté, sous conditions.

Au moment où des voix s’élèvent pour demander au gouvernement d’aider seulement les médias ayant une salle de rédaction jouissant d’une totale indépendance, l’élue solidaire Catherine Dorion a exposé jeudi une « culture d’autocensure » au Journal de Québec, où elle a été blogueuse.

« Je ne parle pas d’une politique interne de censure. Peut-être que certains l’ont vécue. Mais, il y a une culture d’entreprise, selon ce que j’ai vécu, une culture d’autocensure qui dit : “Voici ton carré de sable. Si tu en sors, on va t’appeler et on va te le dire que ce n’est pas là qu’il faut que tu ailles” », a-t-elle dit en marge des travaux de la commission parlementaire sur l’avenir des médias, jeudi.

L’élue solidaire avait relaté son expérience au président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, lors de son passage en commission parlementaire mercredi soir. Elle lui a raconté avoir été dissuadée par des patrons de « parler de John Doe » ou de « PKP » ou encore de critiquer Québecor ou un chroniqueur du groupe médiatique dans ses textes. Le magnat de la presse avait reproché à l’élue de Taschereau de se « donner en spectacle ».

Jeudi matin, Mme Dorion a jugé l’échange qu’elle a eu la veille avec M. Péladeau de « décevant ». « Je pense qu’il était déstabilisé », a-t-elle dit à la presse avant de pénétrer à l’intérieur de la salle de commission parlementaire.

Le titulaire de la chaire de recherche en éthique du journalisme, Marc-François Bernier, y a rappelé que « la volonté du propriétaire ou du gestionnaire peut percoler jusqu’à la salle de rédaction par l’intermédiaire des cadres ». « C’est ce que M. Pierre Péladeau père disait à Radio-Canada, il y a peut-être 40, 50 ans. Il disait : « Ce n’est pas moi qui appelle. » Mais, il disait « j’embauche des cadres pour faire passer des messages ». Donc, c’est de même dans toutes les salles de rédaction ; c’est plus ou moins subtil, par exemple », a-t-il relaté aux membres de la commission de la culture et de l’éducation.

Aide non sans condition

 

De son côté, Radio-Canada s’est dite favorable à l’octroi d’une aide du gouvernement québécois aux médias en difficulté, mais non sans condition. Les principes d’indépendance journalistique, d’intérêt public et de bien commun doivent y prévaloir.

Un « mur de Chine » parfaitement étanche doit séparer la salle de rédaction du reste de l’entreprise, a précisé la directrice générale de l’information de la Société d’État, Luce Julien. « C’est fondamental. »

Il y a une culture d’entreprise, selon ce que j’ai vécu, une culture d’autocensure qui dit : “Voici ton carré de sable. Si tu en sors, on va t’appeler, et on va te le dire que ce n’est pas là qu’il faut que tu ailles.”

 

Convenant qu’il occupe une « position privilégiée dans l’écosystème des médias québécois » en raison de son financement de la part du gouvernement fédéral, le diffuseur public s’est engagé jeudi à « faire partie de la solution » à la crise de la presse québécoise.

Radio-Canada ne sollicite aujourd’hui ni crédit d’impôt ni subvention spéciale. Au contraire, la société serrera les coudes avec les médias québécois face aux « puissantes » entreprises numériques : « Les Google, Facebook, Amazon et autres Apple ». Il promet d’appuyer les médias d’information québécois dans leur « transition vers un modèle viable à plus long terme ». « Cet appui peut s’exprimer par une offre de formation, des alliances dans la production, la diffusion de contenus (exemple d’ICI TOU.TV) ou le partage d’expertise en veille stratégique. Radio-Canada est aussi disposée à nouer des partenariats ponctuels en journalisme d’investigation », a expliqué la direction du diffuseur public à la commission de la culture et de l’éducation.

En fin de journée, l’adjoint parlementaire de la ministre de la Culture et des Communications, Louis Lemieux, a indiqué qu’« avant la fin de l’année, il va y avoir une mesure d’aide » pour les médias en difficulté.

Le professeur Alain Saulnier a pour sa part appelé la classe politique québécoise à sonner la charge contre les GAFAM — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft — sans tarder et « ne pas donner le bon Dieu sans confession » à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le gouvernement Legault veut avoir en main le rapport de l’OCDE avant de décider s’il taxera le chiffre d’affaires des GAFAM.

Le Québec est « assiégé par les GAFAM sur les plans médiatique et culturel », selon M. Saulnier. L’État québécois doit « donner le ton » en « travaill[ant] dès maintenant sur un plan stratégique », a-t-il insisté.

Comme bien d’autres, le quotidien The Gazette a dit être en concurrence directe avec les géants Google et Facebook, pour les mêmes annonceurs numériques. « [Les GAFAM] fonctionnent également dans un espace pratiquement non réglementé et non assujetti aux taxes et impôts, tout en employant peu de Québécois et en ne produisant aucun contenu québécois », a dénoncé sa rédactrice en chef, Lucinda Chodan.

La survie des hebdos intimement liée à celle des publi-sacs

Les patrons de TC Transcontinental ont profité de leur passage en commission parlementaire pour faire un plaidoyer en faveur du publi-sac, qui se retrouve actuellement dans le collimateur des écologistes.

« Les hebdos ont plus que jamais besoin aussi du publi-sac. [ll] serait absurde de priver les hebdos, en même temps, du mode de distribution le plus efficace et le moins dispendieux », a affirmé le président et chef de la direction de TC Transcontinental, François Olivier.

TC Transcontinental, qui est éditeur du journal Les Affaires, s’est départi de quelque 90 hebdos au cours des deux dernières années, mais est demeuré leur imprimeur et leur distributeur au moyen du publi-sac.

« Un changement de modèle d’affaires du publi-sac vers l’abonnement signifierait la fin du publi-sac et, par conséquent, la fin des hebdos au Québec », a ajouté M. Olivier.

TC Transcontinental dit partager les préoccupations de ceux et celles qui contestent le fameux sac de plastique pour des raisons environnementales. Il s’engage à introduire un nouveau sac fait à 100 % de plastique recyclé et encore 100 % recyclable.


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