Charette sème la grogne en s’appropriant le Fonds vert

Le Fonds vert, créé en 2006, deviendra donc le Fonds d’électrification et de changements climatiques, et son conseil de gestion sera aboli.
Photo: Clément Sabourin Agence France-Presse Le Fonds vert, créé en 2006, deviendra donc le Fonds d’électrification et de changements climatiques, et son conseil de gestion sera aboli.

Décrié depuis plusieurs années pour son inefficacité, malgré les centaines de millions de dollars de fonds publics dépensés, le Fonds vert retournera pleinement dans le giron du contrôle politique, selon ce qu’a annoncé mardi le ministre de l’Environnement Benoit Charette. Une décision sévèrement critiquée par des experts et les partis d’opposition, même si le gouvernement promet davantage de transparence, et surtout l’atteinte des cibles climatiques du Québec.

« Le gouvernement veut accroître la transparence dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques, ce qui a fait largement défaut ces dernières années », a résumé le ministre Charette dans le cadre d’un point de presse tenu à Québec.

Selon le gouvernement, cette « transparence » passe par un changement de nom, puisque le Fonds vert doit être rebaptisé « Fonds d’électrification et de changements climatiques », après l’adoption du projet de loi qui doit permettre la mise en oeuvre des changements annoncés mardi.

Le virage promis par le gouvernement caquiste passe ainsi par l’élimination du Conseil de gestion du Fonds vert (CGFV), créé en 2017 dans le but d’améliorer la rigueur, la transparence et l’efficacité de la gestion du Fonds vert, après la découverte de failles majeures par le Commissaire au développement durable.

Dans son premier rapport portant sur les « ajustements budgétaires » à apporter au Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du Québec, financé à hauteur de 4 milliards de dollars par le Fonds vert, le CGFV avait démontré l’an dernier que ce plan s’appuie en partie sur des actions discutables et coûteuses, que sa gestion est inefficace et caractérisée par le manque de rigueur de nombreux ministères, mais aussi que rien ne garantit l’atteinte des objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES).

Le gouvernement de François Legault, qui compte maintenant abolir cet organisme, assure toutefois que « les fonctions et les ressources » seront intégrées au sein d’une nouvelle unité du ministère de l’Environnement nommée le « Bureau de l’électrification de l’économie et des changements climatiques ».

Le gouvernement veut accroître la transparence dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques, ce qui a fait largement défaut ces dernières années

 

Le ministre Charette a promis que le tout sera mis en place dans une option de « transparence » et de « reddition de comptes ». Il entend ainsi confier au commissaire au développement durable le mandat de produire chaque année un « rapport spécifique » sur la gestion du Fonds d’électrification et de changements climatiques.

Un nouveau « comité-conseil permanent » sur les changements climatiques formé de scientifiques et de membres de la société civile sera également créé. Ses analyses et ses « recommandations » seront rendues publiques. Ce comité sera chargé de conseiller le ministre de l’Environnement, qui a dit vouloir miser sur des « actions pragmatiques » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Il faut dire que, sur une période de cinq ans, entre 2013 et 2018, le Fonds vert a seulement permis de réduire de 2 % les émissions de GES, malgré des investissements de plus de 2 milliards de dollars. Au fil des ans, il a aussi servi à financer la pétrolière Suncor, Bombardier, des prolongements de gazoducs et un fabricant de pièces de pipelines.

Québec fait par ailleurs disparaître Transition énergétique Québec (TEQ), une société d’État chargée de promouvoir la transition, mais aussi l’efficacité énergétique. C’est désormais le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, qui sera pleinement responsable de cette mission. « Nous coordonnerons nos efforts, mais surtout nous mettrons l’argent aux bons endroits. Au lieu de faire dans le dédoublement administratif, l’argent va servir à accélérer la mise en oeuvre des projets pour atteindre nos cibles énergétiques et répondre à l’urgence climatique », a-t-il expliqué mardi.

Retour en arrière

 

Chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Johanne Whitmore estime que les annonces du gouvernement constituent un véritable retour en arrière en matière de gestion du Fonds vert. Selon elle, le gouvernement ne devrait pas abolir le Conseil de gestion du Fonds vert, ni TEQ.

« Ce qu’on vient de perdre, c’est la possibilité d’avoir de la transparence dans la façon dont le Fonds vert va être géré. On retourne à une gestion comme celle qu’on avait il y a de cela trois ans, soit avant la création du Conseil de gestion du Fonds vert. On enlève aussi la possibilité d’avoir plus d’indépendance dans la façon dont les fonds sont dépensés pour s’assurer qu’ils sont utilisés de façon à permettre de remplir le mandat du Fonds vert. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette

Mme Whitmore redoute « davantage d’interférences politiques » dans l’attribution des centaines de millions de dollars de fonds publics dépensés chaque année pour réduire les GES. « C’est un des plus gros fonds au Québec. On ne peut donc pas se permettre de ne pas avoir une approche transparente et indépendante, au-delà des intérêts politiques qui sont au pouvoir. »

Professeur de l’Université de Montréal et spécialiste des questions énergétiques, Normand Mousseau a sévèrement critiqué le virage annoncé par le gouvernement Legault. « Depuis 10 ans, on dit que le Fonds vert est allé d’échec en échec parce qu’il était trop près du politique. Le commissaire au développement durable a dit clairement que cette structure ne fonctionnait pas. C’est pour cela que le Conseil de gestion du Fonds vert a été mis en place. Et la solution du gouvernement est d’abolir le Conseil. Je ne vois pas comment on peut penser que ça puisse aller mieux ainsi. »

Selon lui, il importerait plutôt d’intégrer TEQ et le CGFV au sein d’une seule agence qui coordonnerait la prise de décisions, tout en étant redevable à un ministre responsable d’un ministère à vocation économique. C’est seulement de cette façon, insiste M. Mousseau, que le gouvernement pourrait s’assurer de poser des gestes « cohérents » en matière de lutte contre les changements climatiques.

Les changements annoncés par le gouvernement caquiste constituent un véritable recul, ont par ailleurs dénoncé les trois partis d’opposition. « C’est faire le choix de quelque chose dont on sait déjà qu’il ne marche pas, a souligné la députée libérale Marie Montpetit. Le temps est compté, et là on perd du temps. »

« Ça va être entre les mains du ministère et ça va redevenir politique », a déploré la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal. « J’ai l’impression qu’on va rejouer dans le même film qu’on a connu les années passées, a dit à son tour le député du Parti québécois » Sylvain Gaudreault.

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