La remise de trop-perçus mal reçue par des experts

Le premier ministre François Legault privera l’État québécois de centaines de millions de dollars pour apaiser le mécontentement populaire à l’égard des « trop-perçus » d’Hydro-Québec qu’il a alimenté dans l’opposition. Une décision contestée par des experts.
À sa demande, Hydro-Québec annoncera un gel tarifaire en 2020, puis fixera l’augmentation des tarifs d’électricité au niveau de l’inflation au cours des quatre années suivantes. D’autre part, la société d’État versera d’un coup des ristournes totalisant quelque 500 millions à ses clients résidentiels, commerciaux et industriels, et ce, en guise de compensation pour les « trop-perçus » qu’elle a engrangés au fil des dernières années.
Le ministre de l’Énergie, Jonatan Julien, déposera mercredi un projet de loi visant à soustraire Hydro-Québec au processus de fixation des tarifs d’électricité de la Régie de l’énergie.
M. Legault dit être « conscient que des gens, à cause du travail [de la Coalition avenir Québec] dans l’opposition, auraient peut-être pu interpréter, ou être choqués, du fait d’Hydro-Québec a augmenté ses tarifs plus que l’inflation ». « Je voulais qu’Hydro-Québec fasse un geste pour rembourser les Québécois qui ont subi durant les deux premières années du gouvernement libéral [2014 et 2015] des hausses supérieures à l’inflation », a-t-il déclaré, à trois jours de l’ajournement prévu des travaux parlementaires.
François Legault commente le dossier des trop-perçus d'Hydro-Québec
« Bonbons », « ridicule »
Ancien régisseur de la Régie de l’énergie, François Tanguay critique sévèrement la décision annoncée du gouvernement Legault, qu’il qualifie de « ridicule », dans une lettre publiée mercredi dans Le Devoir. « Cette vision courte, populiste à outrance de ce gouvernement face aux trop-perçus souligne à gros traits un manque de vision environnementale si critique pour notre avenir commun. Pourquoi ne pas piger dans cette fortune dormant dans les coffres de l’État pour investir dans l’accélération de la réduction de l’empreinte carbone du Québec, dans la modernisation de ses industries carbodépendantes ? », écrit-il.
En entrevue, il cite le cas du secteur acéricole, toujours très dépendant du mazout, qui pourrait prendre un virage vers les énergies renouvelables avec un investissement avoisinant les 50 millions de dollars. Il cite aussi en exemple les 200 000 foyers québécois qui se chauffent toujours en recourant au mazout.
Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau qualifie de « bonbons » des mesures comme le gel prévu des tarifs en 2020. « Ce gel des tarifs est une des pires idées qu’on pourrait avoir. Tout le monde s’entend pour dire que notre hydroélectricité a une grande valeur et est une richesse pour le Québec. Il faut que le prix auquel on la vend reflète cette valeur. Ce gel envoie le signal qu’on peut continuer à consommer sans rien changer dans nos habitudes, alors même qu’on sait qu’il faut réduire et optimiser notre consommation d’énergie », explique-t-il.
Un tel gel est selon lui « incohérent avec les objectifs mêmes du gouvernement Legault en matière d’exportation et de développement économique. C’est incompréhensible d’un point de vue de logique énergétique et économique, et malheureusement lié à une approche électoraliste de courte vue ».
Tant M. Tanguay que M. Pineau critiquent également le fait de « marginaliser » le rôle de la Régie de l’énergie, en imposant le gel de 2020 et les limites au taux d’inflation par la suite. « La Régie avait été créée pour rendre les tarifs d’électricité plus neutres et apolitiques. On a toujours eu, malheureusement, des influences politiques dans les tarifs d’électricité, mais cette décision accentue cette politisation et laisse présager des orientations très problématiques pour une gestion neutre et efficace de nos systèmes énergétiques », soutient Pierre-Olivier Pineau.
La Régie avait été créée pour rendre les tarifs d’électricité plus neutres et apolitiques
Professeure titulaire à l’École nationale d’administration publique, Marie-Soleil Tremblay rappelle par ailleurs que les tarifs d’électricité des clients résidentiels québécois sont moins élevés que dans le reste du Canada et aux États-Unis. Pour un résident de Montréal, par exemple, le coût moyen se situe à 7,1 ¢ le kilowattheure, contre 13,2 ¢ à Toronto et plus de 30 ¢ pour un résident de New York.
« Clair recul », dit l’opposition parlementaire
Fin mars, François Legault avait enjoint à Hydro-Québec de consentir un rabais « spécial » sur le prix d’électricité en 2020 afin de calmer la « grogne » populaire, en plus de mandater M. Julien de dorénavant verser 100 % des trop-perçus effectués par Hydro-Québec.
La sortie du premier ministre suivait la publication d’un sondage Léger-Le Journal de Montréal indiquant que 92 % de la population québécoise souhaite voir le gouvernement caquiste indemniser, en tout ou en partie, les victimes des trop-perçus d’Hydro-Québec.
M. Legault écartait toutefois l’idée de rembourser, par le biais d’une baisse tarifaire, la totalité des trop-perçus — plus de 1,5 milliard de dollars — encaissés par la société d’État.
Les partis politiques d’opposition se sont réjouis de la volonté du gouvernement caquiste de redonner à la clientèle d’Hydro-Québec les revenus de la société d’État qui n’avaient pas préalablement été approuvés par la Régie de l’énergie. « Il a plié sous la pression populaire », a fait valoir Gaétan Barrette dans un impromptu de presse. Cela dit, l’élu libéral redoute une « hausse brutale » de la facture d’électricité dans quatre ans. Entre-temps, il s’inquiète de ce que les services publics fassent les frais de cette « opération politique » menée à quelques jours de la suspension des travaux de l’Assemblée nationale pour la période estivale. « Il n’y a pas de magie là-dedans. Hydro-Québec, c’est un générateur de revenus pour le gouvernement. On baisse ce revenu-là. Il va être compensé comment ? Une baisse de services ? » a demandé M. Barrette.
Selon Gabriel Nadeau-Dubois, « le gouvernement n’avait pas vraiment le choix un jour ou l’autre de donner suite à cette promesse » de rembourser les trop-perçus d’Hydro-Québec. « C’est de l’argent qui, au départ, n’aurait jamais dû être prélevé chez les gens », a souligné le co-porte-parole de QS mardi. Il se réjouit que « la pression du public [ait] fonctionné ». « On ne peut pas dire que c’est une mauvaise nouvelle. Mais le diable est dans les détails », a-t-il fait valoir.
Le chef parlementaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, s’est dit heureux de ce « gain » enregistré par les clients d’Hydro-Québec. « Finalement, [M. Legault] s’est rallié à nos arguments et à celui des 75 000 personnes qui ont signé une pétition », a-t-il noté.
La Fédération canadienne des contribuables (FCC), qui avait lancé et déposé il y a deux semaines et demie la pétition réclamant le remboursement des trop-perçus d’Hydro-Québec, a crié victoire. « Le premier ministre a prouvé au peuple qu’il l’écoutait », a fait valoir le directeur de la FCC pour le Québec, Renaud Brossard.