Les primes aux médecins accueillies avec scepticisme

Québec a confirmé jeudi qu’il donnera une prime de 46 millions aux médecins de famille qui accepteront de prendre plus de patients.
Photo: Jeff Barnard Associated Press Québec a confirmé jeudi qu’il donnera une prime de 46 millions aux médecins de famille qui accepteront de prendre plus de patients.

La nouvelle prime de 46 millions accordée aux omnipraticiens permettra-t-elle vraiment à davantage de patients d’avoir un médecin de famille ? De nombreux observateurs en doutent.

« Ça fait 15 ans que le Québec utilise la carotte comme prime aux médecins pour améliorer l’inscription et ça n’a pas vraiment fonctionné », avance le professeur Damien Contandriopoulos, chercheur à l’Université de Victoria qui a mené plusieurs recherches sur la rémunération des médecins au Québec.

La médecin de famille Dominique Hotte, qui milite au sein du Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée (ROME), est quant à elle un peu perplexe.

« Ce n’est nettement pas suffisant pour changer quoi que ce soit », dit l’omnipraticienne, qui s’exprime en son nom personnel. Pour obtenir des résultats, « ça va prendre un ensemble de mesures », selon elle.

Jeudi, le gouvernement Legault a confirmé qu’il donnerait une nouvelle prime de 46 millions aux médecins de famille qui accepteront de prendre plus de patients. À 750 patients, ils recevraient 7500 $ de plus par année ; à 1000 patients, la prime atteindrait 15 000 $.

À l’heure actuelle, 20 % des Québécois n’ont toujours pas accès à un médecin de famille, soit l’équivalent de 550 000. Malgré les efforts des dernières années, la prise en charge plafonne à 80 %, alors qu’elle atteint 95 % en Ontario.

Au Parlement, plusieurs élus ont rappelé que les primes n’ont pas toujours été efficaces dans le passé.

« Aujourd’hui, on ramène une mesure qu’on croyait révolue », a dénoncé le chef du PQ, Pascal Bérubé. «La prime Bolduc, on avait 23 millions, maintenant, c’est 46 millions. »

M. Bérubé faisait ici allusion à une prime négociée en 2011 accordée aux médecins pour chaque patient orphelin qu’ils prenaient en charge.

Le ministre libéral Yves Bolduc avait été dénoncé en 2014 parce que cette prime lui avait permis d’encaisser plus de 200 000 $ pour des patients qu’il avait finalement mis de côté en devenant ministre.

Pas si scandaleux que ça

 

Pourquoi cela fonctionnerait-il cette fois-ci ?

« Parce qu’ils sont sensibles eux aussi à la situation », dit le président de la Fédération québécoise des médecins omnipraticiens (FMOQ), Louis Godin, en parlant des milliers de patients orphelins qui subsistent au Québec.

S’ils sont conscients, pourquoi auraient-ils besoin d’argent pour prendre plus de patients ?

« J’essaie de me servir de tous les leviers que j’ai », répond-il.

Les 65 millions étaient de toute façon déjà destinés aux médecins de famille, souligne-t-il. Ils devaient servir à indexer les tarifs de l’ensemble des 9000 et quelques médecins qui font de la médecine familiale au Québec.

De ce groupe, la FMOQ pense qu’environ 4000 médecins auront droit aux primes. Ces dernières pourraient notamment motiver des médecins en GMF à prendre plus de patients, note M. Godin. Il pense également que les nouveaux médecins qui sortiront des écoles à la fin de l’été seront plus enclins à prendre davantage de patients en début de carrière.

Pour défendre la prime, le gouvernement a plaidé quant à lui que les salaires abusifs au Québec étaient du côté des médecins spécialistes, pas des médecins de famille.

Un avis partagé par les observateurs consultés par Le Devoir jeudi.

 

« Les médecins spécialistes québécois sont parmi les mieux payés au Canada et les omnipraticiens québécois comptent parmi les moins bien payés au pays », a fait remarquer le Dr Rick Glazier, médecin de famille de Toronto et chercheur en politiques publiques sur la santé pour l’institut ontarien ICES.

« Cette différence de rémunération rend la profession de spécialiste beaucoup plus attrayante pour un finissant avec une lourde dette étudiante, même s’il voulait devenir un médecin de famille. »

Damien Contandriopoulos estime quant à lui que la nouvelle prime n’« est pas un scandale ». Là où on investit trop au Québec, c’est dans la rémunération des médecins spécialistes. Mettre un peu plus d’argent du côté des omnipraticiens, ce n’est pas la fin du monde. »

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