Des agronomes payés par l’industrie prescrivent davantage d’herbicide

Quinze agronomes québécois ayant des liens avec l’industrie ont signé en 2018 près de la moitié des 1500 prescriptions d’un puissant herbicide jugé le plus à risque. Une situation préoccupante, selon le ministère de l’Environnement du Québec.
L’atrazine est surtout utilisée dans la culture du maïs pour détruire les mauvaises herbes et présente « un potentiel important de contamination des eaux souterraines et de surface », peut-on lire sur le site de l’Institut national de santé publique du Québec.
Sur les 435 agronomes qui oeuvrent en phytoprotection sur le territoire, 127 ont justifié le recours à l’atrazine dont le petit groupe de quinze à l’origine de près de 50 % des autorisations remises aux agriculteurs.
« Selon l’Ordre des agronomes, ces quinze-là ont un lien avec un distributeur, un vendeur ou un fabricant », a révélé le sous-ministre à l’Environnement, Marc Croteau, en commission parlementaire mardi.
Il témoignait au premier jour des consultations sur l’impact des pesticides sur la santé publique et l’environnement lancées dans la foulée du congédiement de Louis Robert.
Cet agronome au bureau de Saint-Hyacinthe du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) avait dénoncé ce qu’il considérait comme de l’ingérence des compagnies du secteur privé dans la recherche publique sur l’usage des pesticides.
Le ministère de l’Environnement a rappelé ces quinze agronomes à l’ordre et effectuera une vérification de leur pratique. Il a également constaté que certains des documents produits par ces agronomes ne répondaient pas aux exigences du gouvernement. Ils doivent, en effet, proposer aux agriculteurs des solutions de remplacement à l’atrazine.
« L’application ne devrait être recommandée que lorsque c’est absolument nécessaire de manière à en réduire autant que possible son utilisation », a expliqué M. Croteau. D’où l’importance de la formation, a-t-il ajouté.
Les justifications agronomiques qui accompagnent les prescriptions sont obligatoires depuis mars 2018 pour cet herbicide. Un comité de suivi a été créé par le ministère avec l’Ordre des agronomes du Québec pour les compiler et ainsi documenter l’indépendance professionnelle de ces spécialistes de l’agriculture.
Le rôle d’Ottawa
Les députés qui siègent à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles ont également entendu des fonctionnaires du MAPAQ et de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), un organisme fédéral responsable de l’homologation des pesticides qui relève de Santé Canada.
Des députés du Parti libéral (PLQ) et du Parti québécois (PQ) se sont questionnés sur les pratiques de cette agence.
En mêlée de presse, la porte-parole du PLQ en matière d’agriculture, Marie Montpetit, a rappelé que l’ARLA avait été « beaucoup critiquée » parce qu’elle fondait ses homologations sur l’industrie plutôt que sur la recherche indépendante.
« Il y a des pesticides qui ont été interdits ou restreints en Europe et qui sont toujours permis au Canada. C’est l’occasion de demander à l’Agence les raisons pour lesquelles elle a des analyses différentes. »
Pour sa part, le député péquiste Sylvain Roy exige que l’homologation des produits par l’ARLA se fasse en toute transparence.
« L’organisme fédéral donnerait le soin à l’industrie de fournir des études scientifiques pour homologuer les produits sans contre-vérification par des chercheurs indépendants. C’est extrêmement inquiétant. »
Qui plus est, a déploré le député souverainiste, le Québec se fie sur le fédéral en cette matière, donc c’est un enjeu de compétence Québec-Ottawa. Le directeur de la gestion des réévaluations de l’ARLA, Frédéric Bissonnette, a confirmé que si une étude n’était pas disponible dans la littérature scientifique, l’organisme prenait l’étude de l’industrie.
Il a précisé que l’ARLA n’avait pas un mandat de recherche, mais que ces fonctionnaires vérifiaient plutôt les études effectuées par l’industrie à partir des données brutes.
Les membres de la commission doivent réaliser des visites d’entreprises agricoles et de fermes au cours de l’été. La liste n’est pas encore connue.
Chargée de projets, pesticides et produits toxiques, chez Équiterre, Nadine Bachand souhaite que la commission parlementaire mène à une « réflexion en profondeur » sur la grande utilisation des pesticides dans le secteur agricole au Québec.
Elle estime d’ailleurs que cet exercice devra impérativement se pencher sur la question de « l’indépendance de la recherche sur les pesticides », mise à mal au cours des derniers mois en raison des révélations de Louis Robert sur le Centre de recherche sur les grains (CEROM), mais aussi sur celle des agronomes.
La tenue de cette commission découle en effet en bonne partie des révélations concernant l’ingérence du secteur privé dans la recherche sur les pesticides, financée majoritairement au CEROM par des fonds publics.
Mme Bachand déplore par ailleurs que plus de 10 ans après la commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (commission Pronovost), peu des propositions de réforme du modèle agricole québécois aient été mises en oeuvre. Elle croit que la province est aujourd’hui « mûre » pour un virage qui ferait davantage de place à la production biologique.
Avec Alexandre Shields et La Presse canadienne
En chiffres
3690 tonnesCe sont les ventes de pesticides en 2017 au Québec
78%
C’est la part des productions de foin, de soya et de maïs-grain dans les cultures au Québec. Elles utilisent des quantités importantes de pesticides.
50%
C’est la proportion des ventes d’atrazine autorisées par un petit groupe de 15 agronomes. Quelque 435 agronomes œuvrent en phytoprotection sur le territoire québécois.
44%
C’est la part du glyphosate dans les ventes de pesticides au Québec en 2017
3860 tonnes
C’est la moyenne des ventes de pesticides pour la décennie 2007-2017