Plus de 60 000 travailleurs de la santé recherchés

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec refuse d’évaluer la pénurie de main-d’oeuvre infirmière dans le réseau avant la fin des projets ratios.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec refuse d’évaluer la pénurie de main-d’oeuvre infirmière dans le réseau avant la fin des projets ratios.

L’ampleur du manque de main-d’oeuvre dans le réseau de la santé se précise. Pas moins de 62 018 postes seront à pourvoir d’ici cinq ans, estime le gouvernement caquiste.

C’est 33 036 préposés aux bénéficiaires, 23 963 infirmières, 4068 auxiliaires aux services de santé et aux services sociaux, 656 pharmaciens d’établissements et 895 psychologues, a recensé la ministre responsable des Aînés et Proches aidants, Marguerite Blais, lundi. « Voilà tout le personnel qui manque actuellement pour être en mesure de combler toutes nos lacunes », a-t-elle laissé tomber en commission parlementaire.

Mme Blais répondait alors à une question de la députée libérale Monique Sauvé. Celle-ci voulait savoir quelles « solutions concrètes » le gouvernement adoptera pour faire face à la rareté de main-d’oeuvre en santé.

C’est la première fois que le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) chiffre l’ampleur des besoins en ressources humaines dans le domaine de la santé. Dans le cas des infirmières, le nombre de personnes à embaucher représente pas moins du tiers des effectifs actuels, qui oscillent autour de 75 000.

Pour les préposés aux bénéficiaires, ce serait beaucoup plus. En effet, Statistique Canada évaluait leur nombre à 56 450 au Québec, en 2011. Cela veut dire qu’on embaucherait en cinq ans l’équivalent de 59 % des effectifs actuels.

La garde rapprochée de la ministre de la Santé, Danielle McCann, soulignait toutefois lundi qu’il ne s’agit pas de postes vacants, mais bien « du recrutement projeté » sur cinq ans en incluant les départs à la retraite.

Réseau tenu « à bout de bras »

Lors de la présentation du budget en mars, Mme McCann avait insisté sur l’urgence de faire des embauches. « Il faut vraiment ajouter du personnel, il faut diminuer nos congés de maladie. […] Je lance un appel à l’ensemble de la population, mais plus précisément aux infirmières, infirmiers qui ont quitté. […] On aimerait ça qu’ils reviennent. Des gens qui sont déjà partis à la retraite, qui aimeraient venir nous aider… On appelle ça notre grande corvée pour mettre notre réseau sur les rails, pour aider les confrères, les consoeurs actuellement qui tiennent le réseau à bout de bras », avait-elle déclaré à la presse.

Le gouvernement a réservé 215 millions de dollars du premier budget Girard pour les nouvelles embauches, en plus d’offrir de nouveaux crédits d’impôt aux travailleurs âgés. Des efforts qui s’ajoutent à ceux des hôpitaux et des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), qui sont de plus en plus nombreux à recruter à l’étranger.

Voilà tout le personnel qui manque actuellement pour être en mesure de combler toutes nos lacunes

La cible de 62 018 personnes est-elle atteignable ? Cela dépendra des mesures mises en place pour y arriver, répond Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique.

Cela passera par des ressources pour former ces personnes, dit la comptable agréée. « On ne peut pas former une infirmière en un an. » En général, on estime normal qu’une organisation doive renouveler 5 % de son personnel avec les départs à la retraite, mentionne-t-elle. « Quand on dépasse 10, 15, 20 %, on n’est plus dans quelque chose de normal. »

Ainsi, dans le cas des infirmières, où on a besoin de 30 % de plus d’effectifs, cela peut sembler beaucoup. Mais sur cinq ans, ce n’est pas « déraisonnable ».

Dans les rangs syndicaux, plusieurs organisations saluent le sursaut de lucidité du gouvernement caquiste. « Quand on voit ces chiffres-là, ça traduit exactement ce qu’on nous dit sur le terrain », a expliqué le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau, en donnant l’exemple des auxiliaires de soutien à domicile représentés par la Centrale. « Il y a une dizaine de jours, on était en colloque avec eux et ils nous disaient qu’il manque de monde. […] Si on veut s’attaquer à ce problème-là, il va falloir alléger la tâche du personnel et améliorer les conditions de travail », a poursuivi le chef syndical.

Un enjeu syndical

 

Une partie de la bataille se jouera d’ailleurs l’automne prochain lorsque les syndicats et le gouvernement renégocieront les contrats de travail. Interrogé à cet égard, le président de la CSN parle d’une « grosse négo », mais dit avoir reçu des « signaux positifs » de la part du gouvernement Legault.

De son côté, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec refuse d’évaluer la pénurie de main-d’oeuvre infirmière dans le réseau avant la fin des projets ratios. La présence d’une équipe minimale de professionnelles en soins pour un groupe de patients éprouvant des ennuis de santé similaires se traduira nécessairement par « une diminution de la charge de travail, de l’insatisfaction, de l’absentéisme, de la détresse, de l’épuisement et des accidents de travail », fait-elle valoir.

L’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) a recensé 272 postes de pharmaciens en équivalent temps complet non pourvus l’an dernier, c’est-à-dire 19 % de l’ensemble des postes. « Ces données ne reflètent pas les besoins complets, puisqu’elles ne tiennent pas compte des postes à créer pour répondre aux besoins croissants et pour rattraper le retard accumulé en raison de la pénurie », a mentionné le président de l’APES, François Paradis. Il appelle le gouvernement à favoriser le recrutement de 100 pharmaciens formés à la maîtrise de plus par année. « Cette formation est essentielle et il y a lieu de déployer les diplômés au sein des CHSLD et aux unités de soins aigus des hôpitaux. Les besoins sont criants et la pénurie perdure depuis plus de 15 ans. »

Enfin, l’Association des psychologues du Québec déplore pour sa part une « pénurie artificielle » de psychologues dans le secteur de la santé en raison d’une rémunération « inéquitable » de ces professionnels et de ratios trop élevés. « Leurs conditions de travail ne les incitent pas à se sentir reconnus dans le réseau », a déploré le vice-président du regroupement, Gaëtan Roussy.

La présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, s’inquiète d’« une diminution significative de l’accès aux soins et services en santé mentale » due à une attrition du nombre de psychologues dans le réseau public. « Les difficultés d’accès ont des impacts souvent très graves pour les personnes qui souffrent et entraînent souvent l’aggravation de l’état des personnes. Toutes les annonces de création de postes et de facteurs d’attraction donnant accès à des services représentent un pas dans la bonne direction », a-t-elle conclu.

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