Legault fait de la laïcité une question de protection de l’identité

Le premier ministre François Legault se dit prêt à employer l’arme nucléaire de l’arsenal législatif pour sauvegarder l’« identité » québécoise. Il recourra aux dispositions de dérogation des chartes des droits et libertés de la personne afin de mettre à l’abri le projet de loi sur la laïcité de l’État d’éventuelles contestations judiciaires.
Le chef du gouvernement justifie cette « grosse décision » par la nécessité de protéger des droits collectifs. « Quand on parle de protéger les valeurs, de protéger notre langue, protéger ce qu’on a de différent au Québec, il faut être prêt à l’utiliser », a-t-il déclaré dans une mêlée de presse, mardi. « Ce n’est jamais une décision facile, mais je pense qu’il faut protéger notre identité », a-t-il poursuivi, à moins de 48 heures du dépôt probable du projet de loi sur la laïcité.
À ses yeux, la protection de « notre identité » passe par une interdiction du port de signes religieux pour les agents de l’État en position de coercition — policiers, constables spéciaux, gardes du corps, procureurs, juges, gardiens de prison — ainsi que les directeurs et les enseignants des écoles primaires et secondaires publiques. Selon lui, la « séparation du gouvernement et de la religion », aujourd’hui chère à la nation québécoise, doit se refléter dans la tenue vestimentaire des agents de l’État.
Des précédents
M. Legault a pris soin de rappeler que ses prédécesseurs péquistes et libéraux ont eu recours à la « clause nonobstant » à plus d’une reprise. « La disposition de dérogation est incluse dans ces chartes [canadienne et québécoise]. Elle permet à des gouvernements de l’utiliser lorsqu’il y a conflit entre des droits individuels et des droits collectifs », a-t-il noté. « Ç’a été fait des dizaines de fois par plusieurs premiers ministres, incluant Robert Bourassa. »
En 1988, M. Bourassa avait blindé de la sorte la loi 178 imposant l’unilinguisme français dans l’affichage commercial. La réaction dans le Rest of Canada avait été violente, a rappelé le courriériste parlementaire de The Gazette à M. Legault.
Coup de semonce
Le premier ministre n’a pas paru étonné de la mise en garde que lui a faite, par média interposé, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). À première vue, l’interdiction du port de signes religieux promise par la Coalition avenir Québec « contrevient au droit à l’égalité fondé sur le motif de liberté de religion » des personnes visées, a soutenu le président de la CDPDJ, Philippe-André Tessier, dans La Presse.
L’auteur du projet de loi sur la laïcité, Simon Jolin-Barrette, a « tenu compte » de l’avis de la Commission, a indiqué M. Legault à la presse. « On s’attendait à ce qu’il y ait certaines personnes, certains juristes qui ne soient pas contents de l’utilisation de la disposition de dérogation », a-t-il ajouté, affichant une indifférence polie.
Après avoir reproché à la CDPDJ de défendre une conception « élitiste » des droits et libertés, le professeur de droit constitutionnel Patrick Taillon a quant à lui souligné mardi « l’importance d’une délibération publique sur le contenu et l’équilibre des droits » au pays. « [Un débat] est la seule manière d’assurer à long terme l’acceptabilité sociale et le nécessaire consensus autour des droits fondamentaux », a-t-il fait valoir.
Dictature de la majorité ?
M. Legault s’enorgueillit de pouvoir compter sur l’« appui de la vaste majorité des Québécois ». Une nette majorité de résidents du Québec sont favorables à la proposition de la CAQ d’interdire le port de signes religieux pour les employés de l’État « en position d’autorité », montrait l’automne dernier un sondage commandé par Radio-Canada.
« Je souhaite que nous obtenions l’appui du plus grand nombre de Québécois que nous pouvons. Ça, c’est ma responsabilité », a affirmé M. Legault mardi, après avoir été auréolé du titre de premier ministre le plus populaire de la fédération canadienne par Angus Reid.
Mais à l’Assemblée nationale, seul le Parti québécois soutient l’initiative du gouvernement caquiste. « On souhaite que ce printemps de la laïcité puisse nous permettre de régler cette question-là », a affirmé le chef parlementaire, Pascal Bérubé. « Notre collaboration est acquise, mais pas notre approbation », a-t-il fait remarquer, tout en réitérant sa demande d’assujettir à la fois les écoles publiques et privées au projet de loi à venir.
M. Bérubé s’est dit heureux de voir le ministre Simon Jolin-Barrette faire sienne la proposition du PQ d’interdire le port de signes religieux non seulement aux enseignants, mais également aux directeurs d’école. Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a souligné que « les directions d’école sont en position d’autorité ». Et les éducatrices des services de garde en milieu scolaire ? « On ne les a jamais classées dans cette catégorie-là », a-t-il répondu.
Le député de Laurier-Dorion, Andrés Fontecilla, a pour sa part rappelé que Québec solidaire s’oppose fermement à la volonté du gouvernement Legault d’interdire l’accès à l’emploi à des gens qui portent des signes religieux dans la profession de l’enseignement. « On vit dans une société où il y a des gens qui viennent de partout à travers le monde. Ça va s’accentuer avec l’apport de l’immigration. Donc, c’est tout à fait normal que les élèves apprennent à vivre avec cette diversité-là », a-t-il plaidé en marge des travaux parlementaires.
QS appuie une interdiction du port de signes religieux chez les agents de l’État en « position d’autorité coercitive », comme le recommandait la commission Bouchard-Taylor en 2008. Mais comme le philosophe Charles Taylor, QS pourrait faire volte-face. En effet, les délégués de la formation politique se demanderont ce week-end en conseil national si « les personnes en position d’autorité coercitive peuvent ou non porter des signes religieux ». Le dépôt du projet de loi de la laïcité au cours de la semaine « tombe très, très bien », a mentionné M. Fontecilla.
Avec Dave Noël