Québec forcé de traiter les 18 000 dossiers d'immigrants

Le juge Frédéric Bachand a accordé une injonction provisoire pour obliger Québec à poursuivre l’analyse des demandes de certificats de sélection du Québec.
Photo: Catherine Legault Le Devoir Le juge Frédéric Bachand a accordé une injonction provisoire pour obliger Québec à poursuivre l’analyse des demandes de certificats de sélection du Québec.

Convaincu d’être à l’abri des poursuites, le gouvernement caquiste, qui entendait annuler 18 000 dossiers d’immigration, s’est fait rabrouer lundi par la Cour supérieure, qui le force à reprendre le traitement de ces dossiers.

Le tribunal s’est rangé du côté de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI) et de Seeun Park, une femme d’origine sud-coréenne qui a été personnellement touchée par la mesure. La semaine dernière, une demande d’injonction avait été déposée au palais de justice de Montréal. 

« Je suis vraiment très contente de la décision du juge et j’apprécie vraiment tout le soutien qu’on nous a démontré au cours des derniers jours », confie Mme Park. Elle avait déposé sa demande au ministère en novembre 2015, à partir de la Corée du Sud avant de venir s’installer au Québec en 2017 avec son conjoint et ses deux enfants. 

Le juge Frédéric Bachand a accordé une injonction provisoire pour obliger Québec à poursuivre l’analyse des demandes de certificats de sélection du Québec (CSQ) dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés pour lesquelles une décision n’avait pas été rendue en date de son jugement. 

« C’est une lueur d’espoir pour des mères et des pères de famille qui étaient touchés par cette situation », s’est réjoui Me Guillaume Cliche-Rivard, qui représente les 250 avocats de l’AQAADI. L’injonction, qui est valide jusqu’au 7 mars, pourrait être renouvelée jusqu’à ce qu’une décision sur le fond soit rendue. 

L’AQAADI avançait que la décision du ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, d’éliminer près de 18 000 dossiers en attente était « complètement illégale », notamment parce qu’elle consistait à appliquer un projet de loi qui n’a pas encore été adopté. 

Les avocates du gouvernement plaidaient de leur côté que le ministre Jolin-Barrette n’avait pas suspendu le traitement des dossiers, mais plutôt cessé de rendre des décisions. Un ministre de l’Immigration détient le pouvoir de prendre des décisions pour appliquer les politiques générales qu’il élabore, ce qui justifie la décision qu’il a prise dans les 18 000 dossiers concernés, avait fait valoir l’avocate du ministère, Me Stéphanie Garon. 

« La décision du ministre [Simon Jolin-Barrette] ne peut évidemment pas trouver une justification juridique valable dans un texte législatif non encore en vigueur », souligne le juge Bachand. « [M. Jolin-Barrette] doit agir conformément au droit en vigueur, et non sur le fondement d’une modification législative projetée », tranche-t-il. 

Le cabinet du ministre Jolin-Barrette a réagi en soirée à la décision du juge Bachand. « Nous prenons acte de la décision de la Cour supérieure. Nous allons respecter la décision de la Cour supérieure. Le ministère continuera de traiter et de rendre des décisions relativement aux demandes de CSQ dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés d’ici l’adoption du projet de loi » a indiqué dans une déclaration écrite le ministre. 

En entrevue au Devoir récemment, le ministre Jolin-Barrette s’était dit convaincu d’être à l’abri des poursuites, notamment parce que le gouvernement fédéral avait gagné en cour dans une cause similaire en 2012. Le premier ministre, François Legault, avait de son côté dit trouver « un peu spécial » qu’on porte ce dossier devant le tribunal avant l’adoption du projet de loi. 

« Le ministre Jolin-Barrette et M. Legault ont une grosse côte à remonter parce que, visiblement, le gouvernement n’est pas à l’abri comme ils le croyaient », a fait valoir Me Cliche-Rivard. 

Contestation du projet de loi 

Forte de cette victoire, l’AQAADI entend maintenant faire reculer le gouvernement sur son projet de loi sur l’immigration. L’association est attendue mardi en commission parlementaire et demandera au ministre de revoir plusieurs articles de la législation qu’elle souhaite faire adopter. 

Plutôt que de détruire des milliers de demandes en attente, l’AQAADI veut convaincre le gouvernement de transférer les dossiers qui n’auraient pas été traités dans le nouveau système. « On veut éviter aux gens de repartir à zéro, qu’ils ne voient pas leur dossier effacé, mais plutôt transféré, sans préjudice », plaide Me Cliche-Rivard. 

L’AQAADI demandera au gouvernement d’éviter de s’enliser dans le débat constitutionnel avec le gouvernement fédéral qui se profile à l’horizon si certaines dispositions actuellement prévues ne sont pas abrogées ou amendées. 

« Le projet de loi propose l’ajout de conditions au statut de résident permanent, ce qui est de compétence fédérale, et octroie au ministre québécois des pouvoirs réglementaires ministériels élargis », note l’AQAADI dans son mémoire de 16 pages. 

L’association espère que cette rencontre sera l’occasion d’entreprendre un dialogue avec le ministre Jolin-Barrette. 

« Ce qu’on souhaite, c’est qu’il comprenne que c’est quand même la vie de milliers de personnes dont on parle. On veut ouvrir le dialogue parce qu’on espère ne pas avoir à aller en cour chaque fois », a souligné Me Cliche-Rivard. 

Dans les derniers jours, le gouvernement s’est fait reprocher de procéder trop vite avec son projet de loi sur l’immigration, au point que des groupes comme le Barreau et la CSN n’ont pas pu participer à la commission parlementaire, faute de temps pour se préparer.

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