Le renvoi d’un lanceur d’alerte soulève l’indignation

L’intervention personnelle du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) dans le congédiement d’un fonctionnaire lanceur d’alerte suscite l’indignation. Les déclarations d’André Lamontagne démontrent que le gouvernement prône une culture du silence plutôt que d’encourager la dénonciation d’actes répréhensibles, selon plusieurs.
« Les fonctionnaires relèvent ultimement du sous-ministre. Le ministre peut être tenu informé, mais à ma connaissance, depuis la fin de l’époque Duplessis, ce n’est généralement pas à un ministre de déterminer s’il y a lieu de congédier ou de remercier un fonctionnaire », souligne Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Mercredi, le ministre Lamontagne a révélé avoir « personnellement autorisé » le licenciement de l’agronome Louis Robert. Le fonctionnaire est à l’origine de la fuite d’un document confidentiel qui a mené des journalistes à révéler l’ingérence du privé dans la recherche scientifique en agroenvironnement au Centre de recherche sur les grains (CEROM), financé en majorité par Québec. Avant de se tourner vers les médias, dont Le Devoir, M. Robert avait d’abord dénoncé à l’interne la situation.
« [Son congédiement], c’est une décision que j’ai personnellement autorisée à la lumière des informations que j’ai recueillies, à la lumière des questions que j’ai posées, puis c’est la décision que j’ai jugé qu’il était important de prendre », a fait valoir le ministre Lamontagne, ajoutant être « très à l’aise ».
Le ministre Lamontagne a laissé entendre qu’« un ensemble de facteurs, qui ne sont pas nécessairement tous connus » a mené au congédiement de M. Robert.
Ces lois censées protéger les lanceurs d’alerte sont comme des mensonges.
Une déclaration qui fait bondir le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), qui estime que la lettre est claire : le ministère reproche à M. Robert d’avoir manqué de loyauté et contrevenu à son obligation de discrétion en s’adressant aux médias.
« On n’est pas devant un employé dont l’objectif était de mettre son employeur dans le pétrin. On parle de quelqu’un qui a d’abord dénoncé à l’interne, qui se l’est fait reprocher et qui devant la fatalité de voir que rien n’était fait a décidé de transmettre des informations à des journalistes », fait observer Richard Perron, président du SPGQ. En plus de M. Robert, deux autres fonctionnaires ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire. L’un a été suspendu trois jours et l’autre, cinq jours pour avoir eux aussi communiqué avec des journalistes.
Obstacles à la délation
Les propos du ministre sont préoccupants, selon la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), qui déplore que le gouvernement consacre ses énergies à trouver les employés à l’origine d’une fuite.
« Plutôt que d’essayer de régler une situation dénoncée par des employés, le gouvernement consacre tous ses efforts à se débarrasser de celui qui a osé dénoncer […] C’est une chasse aux sorcières », dénonce Stéphane Giroux, président de la FPJQ.
Il estime que le cas de M. Robert, qui travaillait depuis 32 ans au MAPAQ, témoigne des lacunes de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, adoptée en mai 2017.
« Le gouvernement n’a rien compris à l’importance du rôle des médias. Quand un lanceur d’alerte décide de parler avec un journaliste, généralement, c’est parce qu’il est passé par toutes les étapes que lui exigeait son employeur, mais que ça n’a pas fonctionné », note M. Giroux.
Selon M. Trudel, dans sa forme actuelle, la Loi ne répond pas aux besoins des lanceurs d’alerte.
« La Loi vise les gestes illégaux qui sont commis au sein de l’appareil gouvernemental. Lorsqu’on entend la situation dénoncée par M. Robert, a priori, il n’y a pas d’acte répréhensible qui a été commis, on parle plutôt d’une attitude, de façon de faire, de comportements qui sont susceptibles de soulever des préoccupations, et on voit que cette loi-là, bien, finalement, elle n’est pas vraiment utile pour protéger les dénonciateurs », dit M. Trudel.
Pour l’ex-fonctionnaire Sylvie Therrien, le congédiement de l’agronome Louis Robert a les airs d’un déjà-vu amer. Mme Therrien a subi le même sort en 2013 après avoir transmis au Devoir des informations démontrant que les enquêteurs des services d’intégrité de Service Canada étaient soumis à des quotas de prestations à couper de l’ordre de 485 000 $ par année. La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs n’a été d’aucune utilité pour elle : ce qu’elle avait dénoncé ne constituait pas un acte répréhensible au sens de la Loi.
« Ces lois censées protéger les lanceurs d’alerte sont comme des mensonges, disait Mme Therrien en entretien mercredi. On pense qu’on va être protégés, mais on se retrouve avec une enquête administrative et un congédiement, comme si on était des criminels. Ça se retourne contre nous, alors qu’on pensait faire quelque chose de bien en tant que citoyens responsables dans une démocratie. Le prix à payer est épouvantable. »
Congédiement contesté
Critiquant la sortie du ministre Lamontagne, le Parti québécois et Québec solidaire ont exigé que M. Robert soit réintégré dans ses fonctions.
« Est-ce que c’est monnaie courante que le gouvernement agisse ainsi avec les chercheurs ? […] Le ministre muselle-t-il ses scientifiques ? M. Lamontagne doit rassurer la population et réembaucher M. Robert avec compensation pour pertes encourues et, surtout, renforcer la Loi », estime la députée solidaire Émilise Lessard-Therrien.
Le député péquiste Sylvain Roy estime que la Loi doit rapidement être revue. « C’est inquiétant qu’on tente actuellement de faire taire des gens qui ont le devoir de dénoncer des situations qui peuvent être dommageables, et en ce moment, plutôt que d’améliorer les pratiques, on punit quelqu’un qui a osé signaler une situation dans un domaine déterminant, soit celui de l’utilisation des pesticides », souligne M. Roy.
Le SPGQ a indiqué qu’il contestera le congédiement de M. Robert. « Avec ses 32 ans d’expérience, sa loyauté, il considérait qu’il la devait plus à la santé des Québécois qu’à la protection des intérêts des entreprises privées. Nous, on considère qu’il mérite d’être défendu jusqu’au bout pour rétablir sa réputation et lui redonner l’honneur qu’il mérite pour tout ce qu’il a fait durant sa carrière et surtout son souci de protéger d’abord la santé publique en osant dénoncer », insiste M. Perron.
Avec Guillaume Bourgault-Côté