Ford reste insensible aux arguments de Legault

Mi-figue, mi-raisin. François Legault est sorti de sa rencontre avec Doug Ford à la fois satisfait et déçu, lundi. Satisfait parce que la réunion a permis de jeter les bases d’une bonne relation économique. Mais déçu parce que ses arguments pour inciter M. Ford à revoir sa décision sur les services aux francophones n’ont pas porté.
« Je lui ai demandé de revenir sur sa décision, a indiqué le premier ministre du Québec après sa rencontre avec son homologue ontarien. Pour l’instant, il n’est pas ouvert à ça. »
M. Legault dit avoir « parlé du fait qu’on a trois universités anglophones aux Québec, qu’on a créé un secrétariat pour les anglophones, que c’est important que les deux peuples fondateurs du Canada soient bien servis et qu’un commissaire ou un secrétaire fasse le suivi des services donnés aux minorités. »
Il a également souligné qu’il n’a « pas aimé qu’on compare les francophones avec les Chinois, ou d’autres cultures. Je lui ai dit qu’on était un des deux peuples fondateurs du Canada. […] J’ai fait valoir les arguments que je pouvais. »
Mais voilà : ça n’a pas ébranlé Doug Ford. Peu après le passage de François Legault, M. Ford a défendu en point de presse le bien-fondé de deux décisions annoncées jeudi et qui suscitent depuis d’intenses débats dans le Canada francophone : l’abolition du Commissariat aux services en français (l’Ombudsman s’occupera dorénavant de ces dossiers), et l’annulation « des plans de création » de l’Université de l’Ontario français, dont l’ouverture était prévue en 2020.
M. Ford a soutenu que la vive réaction à ces annonces tient pour l’essentiel au fait que « les gens sont mal informés ». « Nous avons dix collèges et universités qui offrent plus de 300 cours en français, a-t-il dit. Ces cours ne sont pas entièrement remplis. On aimerait bien construire de nouvelles écoles et hôpitaux, mais nous avons un déficit structurel de 15 milliards. »
Rien de personnel
Selon M. Ford, « ce n’est rien de personnel contre les Franco-Ontariens, ce sont de très bonnes personnes ». Sa ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, a elle aussi tenté d’arrondir les angles de ce dossier. « C’est un projet très important pour la communauté, a-t-elle dit. Notre gouvernement reconnaît ça. Nous avons dû prendre une décision très difficile. On a dû annuler trois autres projets de campus [annoncés en octobre]. Nous ne pouvons malheureusement pas aller de l’avant. »
M. Ford et Mme Mulroney ont accusé les libéraux provinciaux (qui ont dirigé l’Ontario dans les 15 dernières années) d’avoir promis une université sans budget. « On a le mandat d’être transparent avec la population, a lancé Caroline Mulroney. Et malheureusement, ça veut dire de regarder les Franco-Ontariens dans les yeux et de dire : nous n’avons pas l’argent pour financer ce projet important. »
Selon elle, le transfert des activités du Commissariat vers l’Ombudsman n’aura dans les faits « aucun impact sur la manière de protéger les droits des francophones. Le travail du Commissariat — qui est de s’assurer que le gouvernement et ses organismes respectent la Loi sur les services en français — va continuer dans les bureaux de l’Ombudsman », a-t-elle soutenu.
N’empêche : peu importe la manière de présenter les choses, François Legault est resté en appétit sur ce point. « Ça ne m’a pas satisfait », a-t-il reconnu. Sauf qu’il ne peut pas faire beaucoup plus que de souligner son désaccord, a-t-il laissé entendre. « Je suis ouvert aux propositions [pour la suite]. J’ai fait valoir mes arguments », a-t-il répété.
Ottawa
À Ottawa, le dossier des Franco-Ontariens a continué d’animer les conversations. La ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, a notamment déploré ne pas avoir eu de retour de la part de Caroline Mulroney, à qui elle a écrit vendredi pour « solliciter une rencontre dans les plus brefs délais ».
Depuis jeudi, Mme Joly martèle sur toutes les tribunes que le gouvernement fédéral trouve « inacceptable » la décision du gouvernement Ford — ennemi notoire des libéraux de Justin Trudeau et ami confirmé des conservateurs d’Andrew Scheer.
Personne ne conteste que ce dossier relève d’un champ de compétence provincial, mais Mélanie Joly « pense que, clairement, on doit maintenir la pression politique », et que tous les « partis politiques à la Chambre des communes » devraient lui emboîter le pas. Le Nouveau Parti démocratique partage ses préoccupations.
Mais les conservateurs fédéraux estiment que le gouvernement Trudeau va trop loin. Il « joue à des jeux politiques irresponsables et cyniques avec le bilinguisme officiel du Canada », a affirmé Andrew Scheer dans une déclaration publiée lundi. « Je crois à l’autonomie des provinces. Les gouvernements provinciaux doivent pouvoir prendre des décisions budgétaires sur les questions relevant de leurs compétences. »
Au-delà de cet affrontement politique, la communauté franco-ontarienne poursuivait de son côté l’organisation de la résistance. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario a tenu en fin de semaine un « gros remue-méninges avec ses leaders », confiait lundi son président, Carol Jolin. Quatre comités d’action ont été formés. Prochaine étape : une rencontre, jeudi, pour évaluer si une action juridique peut être envisagée.
Économie
Francophonie mise à part, François Legault s’est autrement réjoui de la teneur du volet économique de sa première rencontre avec Doug Ford. « On s’est très bien compris, a-t-il dit. On s’est parlé d’échanges économiques, et on s’est fixé une barre très haute », celle d’augmenter de près de 25 % les échanges commerciaux annuels entre les deux provinces (pour qu’ils atteignent 50 milliards de part et d’autre).
M. Legault a aussi profité de ce face-à-face pour tenter de convaincre M. Ford que « le Québec est capable d’offrir un prix et un coût d’électricité beaucoup plus bas avec l’hydroélectricité qu’avec la rénovation de centrales nucléaires ».