Le Québec salue un «inspirateur de peuple»

Uni pour célébrer un homme plus grand que les autres. Le Québec politique a rendu un dernier hommage à Bernard Landry mardi, lors de funérailles d’État où ont été abondamment soulignées les qualités du politicien, du père, du professeur, du patriote : tous les Landry, en somme.
Entre tous, ce sont les mots du poète Gaston Miron qui ont le plus souvent résonné dans la basilique Notre-Dame, où se déroulaient les funérailles d’État de l’ancien premier ministre.
« Ça ne peut pas toujours ne pas arriver », ont évoqué plusieurs orateurs en parlant de l’indépendance. « Il n’est pas question de laisser tomber notre espérance », ont souligné d’autres. « Vous n’avez jamais voyagé vers d’autre pays que le Québec », ont ajouté tant Pascal Bérubé (chef intérimaire du Parti québécois) que l’ex-ministre Louise Harel.
Autant de manières de dire la passion de Bernard Landry pour ce pays québécois qu’il n’aura pas vu, mais auquel il aura consacré l’essentiel de sa vie.
M. Landry avait lui-même « scénarisé chaque seconde de la célébration », a indiqué son ami Jean-Yves Duthel. Et il l’avait fait de telle sorte qu’elle rassemble des adversaires politiques (« qui n’étaient jamais des ennemis », a salué l’archevêque Christian Lépine) et qu’elle témoigne des ancrages de sa vision politique. Encore là : tous les Landry, pour un dernier salut collectif.

Les louanges ont été nombreuses, traçant ainsi les contours d’une carrière hors norme. Le premier ministre François Legault (qui fut ministre dans le gouvernement Landry) avait beaucoup à dire de son ancien collègue : « homme d’exception », « grand patriote », « bâtisseur du Québec moderne », « orateur exceptionnel »… et toujours civilisé et attachant, même quand son caractère bouillant se faisait voir, a-t-il dit.
« Par sa classe, son érudition, sa curiosité intellectuelle, il a élevé et enrichi nos débats », a lancé M. Legault. « Les Québécois forment quelque chose comme un grand peuple, et Bernard Landry aura été à la hauteur de ce peuple qu’il a aimé si passionnément. »
En parlant du combat mené par Bernard Landry en faveur de l’indépendance du Québec, Jean Charest — qui a vaincu M. Landry aux élections de 2003 — a pour sa part soutenu n’avoir jamais rencontré « une autre personne pour qui cette conviction était aussi ancrée dans chaque dimension de sa vie. Il s’était fixé une mission et dans ce combat, il n’a jamais pris ne serait-ce qu’un seul jour de congé », a noté l’ancien premier ministre.
Lucien Bouchard, qui avait fait de M. Landry son vice-premier ministre, a quant à lui abondamment puisé dans la grande Histoire pour raconter le chemin de vie de son « ami » Landry, devant le destin de qui « il convient de s’incliner avec le respect dû au fidèle et valeureux combattant » qu’il fut.

M. Bouchard s’est notamment enflammé en évoquant le fameux discours prononcé par Henri Bourassa en 1910 dans la même basilique où se sont tenues les funérailles de M. Landry. Cette envolée de Bourassa pour défendre la langue française, Bernard Landry en « connaissait pratiquement par coeur la narration faite par le chanoine Groulx », s’est émerveillé son compagnon de route politique.
Pour celui qui « avait le projet souverainiste chevillé au coeur et qui était un irréductible défenseur de la langue française », il convenait donc « parfaitement que les funérailles soient célébrées ici même », a noté M. Bouchard, qui a défini Bernard Landry comme un « inspirateur de peuple ».
Pluie d’hommages
D’autres intervenants ont souligné différentes contributions de M. Landry : la signature du traité historique de la Paix des Braves (l’ancien chef cri Ted Moses a célébré le « courage » de Bernard Landry dans ce dossier) ; la brillance du professeur d’économie ; l’attachement du politicien aux communautés culturelles du Québec (un grand ami de la communauté juive, a notamment souligné son ancien conseiller Daniel Amar).
« De tes succès et de tes échecs, nous avons appris, a soutenu l’ancien ministre Maka Kotto. Tu nous as appris que l’humanité ne doit pas se faire par l’effacement des uns au profit d’autrui. » L’auteure et militante Djemila Benhabib, qui s’est dite « éblouie par la puissance de la pensée profonde » de Bernard Landry, a mis en lumière sa préoccupation « à réfléchir sur les conditions de préservation de notre culture et de notre identité nationale ».

Mais surtout, c’est du Québec qu’il fut question en filigrane durant l’après-midi. Les convictions indépendantistes de Bernard Landry ont été brandies haut par sa famille politique. Pierre Karl Péladeau avait bâti son discours autour du mot « pays », scandé comme un mantra. « Avec toi, il y avait un but, une trajectoire », a noté l’ancien député Gilles Baril. « Il aimait charnellement ce Québec », a mentionné le sociologue et chroniqueur Mathieu Bock-Côté, qui a évoqué un « homme d’enracinement et d’universel tout à la fois ». Un « modèle », a résumé Pascal Bérubé.
C’est Pascale Landry, l’une de ses filles, qui avait ouvert la cérémonie en parlant du père et du grand-père qu’il fut, toujours aimant… et parfois gênant. « Vous imaginez ce que c’est que d’être adolescente, et que son père fait une scène dans un restaurant pour être servi en français ? » a-t-elle dit, sourire en coin.
Mme Landry a autrement brossé le portrait d’un homme qui, dans sa vie privée comme dans celle publique, était tout entier. Il a d’ailleurs ainsi formulé le dernier toast qu’il aura porté dans un souper commun : « À la famille, et à la patrie. » Cette même patrie qui l’a longuement ovationné mardi alors que son cercueil quittait tranquillement l’allée centrale.