La CAQ confrontée au test de la réalité

Ils ont été perçus comme des reculs, des pas de côté ou des cafouillages, ces prises de position du nouveau gouvernement Legault qui ont changé au fil des jours. Mais attention, avertissent trois acteurs ayant vécu des transitions gouvernementales : la Coalition avenir Québec est tout simplement en train de passer… le test de la réalité.
« Entre un engagement électoral ou un élément de programme politique qui tient en deux paragraphes et un projet de loi, il y a une très, très, très longue route. Là, je pense que tout le monde réalise — et il y a beaucoup de bonne volonté — que ça ne se fait pas en criant lapin », observe l’ex-chef de cabinet et sous-ministre Martine Tremblay, qui a présidé le comité de transition du gouvernement de Pauline Marois en 2012.
Ainsi la volonté maintes fois déclarée du chef caquiste, François Legault, de geler la rémunération des médecins spécialistes s’est-elle transformée ces derniers jours en « besoin de bien comprendre l’entente » du côté du gouvernement.
Quant à l’empressement caquiste de « régler rapidement » le « dossier de la laïcité », il devra finalement attendre au printemps. La promesse d’interrompre la construction de la ligne d’Hydro-Québec à Saint-Adolphe-d’Howard ? Elle est devenue une question que le gouvernement doit désormais « approfondir ».
De l’opposition au gouvernement, de la campagne électorale au Parlement, il faut toujours un peu de temps pour s’installer dans ses « souliers de ministre », fait remarquer l’ex-élu libéral Jean-Marc Fournier.
« Le message de l’opposition est un message de contestation. […] Au gouvernement, elle doit considérer des éléments qu’elle ne considérait pas. Soit parce qu’elle ne les connaissait pas, soit parce qu’elle ne voulait pas les considérer ou qu’elle ne trouvait pas ça important », avance-t-il.
Selon Martine Tremblay, « le cas de la négociation avec les médecins est flagrant », en ce sens qu’il illustre bien la complexité que revêt la gestion gouvernementale des dossiers. « Je pense qu’il y avait beaucoup de sincérité dans la volonté [de la CAQ] de revoir ça […], mais une fois dans le fauteuil du conducteur, les choses ne sont certainement pas aussi simples », insiste-t-elle.
Idées préconçues
Surtout, les ministres constatent bien souvent, au moment où ils reçoivent leur cahier de breffage de la part de leur sous-ministre, que les choses ne vont pas aussi mal qu’ils l’avaient anticipé, estime Jean-Marc Fournier.
« Lorsqu’on vient de l’opposition, on arrive avec des idées préconçues, arrêtées grâce aux informations qu’on avait à l’époque. Et lorsqu’on arrive au ministère, on a accès à d’autres informations, qui apportent quelques nuances et qui nous donnent un éclairage différent », dit-il.
« Il y a toute une familiarisation à faire avec l’état réel des lieux », ajoute Martine Tremblay. D’un gouvernement à l’autre, les changements de cap sont inévitables : après tout, « un parti est élu en disant qu’il va faire les choses autrement », rappelle-t-elle. « Mais il y a beaucoup plus de continuité dans l’action gouvernementale que de ruptures. » D’où l’importance de bien s’entourer.
Ici, le défi de la CAQ est grand, observe Jean-Claude Rivest, autrefois conseiller politique de Robert Bourassa. « Nous, on avait toutes les ressources dans le parti pour les trouver, les chefs de cabinet ou les attachés de presse, parce que c’étaient des militants ou des gens de l’administration publique qu’on connaissait », rappelle-t-il.
Pour bâtir leurs équipes, les caquistes doivent donc être plus inventifs.
« Pour eux, c’est plus difficile que ça l’a été pour les libéraux ou le Parti québécois, parce qu’ils n’ont pas une histoire [aussi longue]. Mais c’est d’autant plus important, insiste-t-il. Il faut qu’ils apprennent vite. »
Outre leur cahier de breffage — sorte d’état de la situation dans un ministère que Jean-Marc Fournier leur conseille de bien étudier —, les nouveaux ministres de la CAQ devront se familiariser avec la « machine » qu’est l’État québécois.
« Vous parlez par exemple de l’environnement ? Il faut aussi parler à l’agriculture, aux relations intergouvernementales, aux finances, au trésor et aux richesses naturelles », explique Jean-Claude Rivest.
À ceux qui arrivent de l’extérieur avec la volonté ferme de mettre les choses « à leur main », Martine Tremblay suggère de modérer leurs ardeurs. De la situation budgétaire à la compréhension juste d’une législation ; de la gestion de la pression et de la complexité des dossiers à l’obligation de rendre des comptes, sans oublier les urgences, rien n’est aussi facile qu’il y paraît. « La politique, la fonction gouvernementale, le rôle de ministre, ça ne ressemble à rien d’autre », dit-elle.
Patience et compréhension
D’ici à ce que les ministres trouvent leur zone de confort, il demeure difficile de jauger la capacité de la CAQ à remplir ses engagements, selon Martine Tremblay. « Je pense que c’est beaucoup trop tôt. Chacun est en train de s’organiser encore », remarque-t-elle.
« Je pense qu’il ne faut pas être trop sévère au début du mandat. Ils arrivent, ils vont prendre le temps [de s’organiser] », ajoute Jean-Marc Fournier.
Et de toute façon, « d’ici Noël, ce qui va avoir marqué [les gens], je ne suis pas sûr que ce seront les déclarations données dans les premiers points de presse et qui semblaient donner l’impression qu’ils ne connaissaient pas leurs dossiers — ce qui est normal », avance l’ex-ministre.
Le vrai test, le gouvernement Legault le vivra au moment du dépôt de la mise à jour économique, qu’il a promis d’ici Noël, croit-il.
Et « quand ça fera trois semaines que les articles [à leur sujet] seront mauvais, ils vont pouvoir se dire : ah, là, on est au gouvernement » !