Le chef de cabinet d’un ministre de la CAQ est encore officiellement lobbyiste pro-hydrocarbures

La FCCQ a déjà demandé au gouvernement «d’appuyer l’inversion du pipeline de la ligne 9» d’Enbridge, un projet controversé d’acheminement du pétrole des sables bitumineux vers les raffineries de l’est du pays.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La FCCQ a déjà demandé au gouvernement «d’appuyer l’inversion du pipeline de la ligne 9» d’Enbridge, un projet controversé d’acheminement du pétrole des sables bitumineux vers les raffineries de l’est du pays.

Le chef de cabinet du ministre des Ressources naturelles du gouvernement caquiste est encore officiellement lobbyiste de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), a appris La Presse canadienne.

Après vérification, Pierre-Yves Boivin était encore inscrit en date de jeudi au registre des lobbyistes mandatés par la FCCQ, même si elle n’a aucun mandat actif depuis la fin d’août. Auparavant, il a aussi été lobbyiste pour Gaz Métro, l’ancêtre d’Énergir. La FCCQ assure pourtant qu’elle a fait les démarches pour le retirer de sa liste.

Parmi les nombreuses pressions que la FCCQ a exercées figurent notamment l’appui à l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti, le plaidoyer pour un pipeline controversé qui achemine du pétrole provenant des sables bitumineux, ainsi que pour l’exemption de certaines entreprises à la Bourse du carbone, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Selon les renseignements obtenus auprès du Commissaire au lobbyisme, la FCCQ a jusqu’à la fin d’octobre pour renouveler son inscription au registre et la mettre à jour.

Condamnations de l’opposition

De son côté, l’opposition condamne unanimement la nomination par la CAQ du lobbyiste pro-hydrocarbures. Selon le Parti libéral (PLQ), cela démontre le manque d’intérêt de la CAQ pour l’environnement constaté durant la campagne électorale.

« Cela renforce les doutes, les inquiétudes et les préoccupations de la population par rapport aux positions caquistes », a commenté la porte-parole libérale en matière d’environnement, Marie Montpetit, en entrevue avec La Presse canadienne jeudi. Elle a dit qu’elle n’était « pas rassurée » par les changements d’opinion fréquents de François Legault en la matière.

Le Parti québécois (PQ) s’inquiète quant à lui du « signal » envoyé par le gouvernement caquiste par cette nomination. Le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault, qui est porte-parole en énergie et en environnement pour le PQ, doute de l’impartialité de M. Boivin.

« Il était lobbyiste, pas professeur d’université en ressources naturelles, et il se retrouve directement en lien avec l’industrie pour laquelle il faisait du lobby, a-t-il dit en entrevue téléphonique. Le parti savait qu’il envoyait là un lobbyiste de l’industrie des hydrocarbures. […] Il y a une forme de relation incestueuse. »

De son côté, Québec solidaire (QS) dénonce la « passerelle entre le lobby du pétrole et la CAQ ». La chef parlementaire Manon Massé y voit une continuité avec les libéraux, à qui elle reprochait aussi une proximité malsaine avec le milieu des affaires. Or, les changements climatiques exigent un changement de culture, de pratique, selon elle.

« Quand je vois comment M. Legault s’entoure, il y a un écart entre la parole et le geste. […] M. Legault se veut rassurant, mais pose des gestes inquiétants. Il y a une lumière rouge qui s’allume. M. Boivin, son réseau, son monde, viennent d’une économie d’un autre siècle, alors qu’il y a un mur devant nous qui s’appelle les transformations climatiques. »

Greenpeace

 

L’organisation écologiste Greenpeace s’inquiète notamment parce que la politique énergétique du gouvernement, pièce maîtresse de la réduction des gaz à effet de serre et de la sortie des hydrocarbures, passe par « le filtre » du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

« On ose espérer que c’est une erreur et ce ne serait pas la première avec ce gouvernement, a commenté en entrevue téléphonique Patrick Bonin, le responsable de campagne Climat-Énergie. On s’attend à ce que M. Boivin soit en mesure de s’élever à la hauteur de ses fonctions où il n’est plus un lobbyiste. »

Il a indiqué que l’organisme allait redoubler de vigilance dans les semaines et mois qui suivent.

FCCQ

 

La FCCQ a quant à elle assuré que la mise à jour de son dossier avait été envoyée aux responsables du registre des lobbyistes, mais qu’il y avait apparemment des délais de traitement.

Au cours d’un entretien jeudi après-midi, la directrice des communications, Joanne Beauvais, a fait savoir jeudi que le nom de Pierre-Yves Boivin avait été rayé de l’inscription de la FCCQ et qu’il n’est plus à l’emploi de l’organisme.

La Presse canadienne a tenté à plusieurs reprises d’obtenir confirmation auprès du registre des lobbyistes jeudi, sans succès.

Expertise « très pertinente »

Questionné sur le passé de M. Boivin, le gouvernement caquiste avait répondu mercredi que M. Boivin n’était plus à l’emploi de la FCCQ. Un des attachés de presse de la CAQ, Ewan Sauves, avait affirmé dans un courriel que « M. Boivin dispose d’une expérience et d’une expertise très pertinentes pour occuper les fonctions qui lui sont confiées, compte tenu de son bagage professionnel ».

Rappelons que la fonction de chef de cabinet est stratégique. C’est le conseiller principal du ministre, il fait le lien entre le cabinet, le ministère et le cabinet du premier ministre.

Le chef de cabinet de chaque ministre est d’ordinaire nommé par le bureau du premier ministre, mais la CAQ n’a pas répondu à nos questions jeudi, à savoir si c’est bel et bien le bureau de M. Legault qui a attribué M. Boivin à M. Julien. La CAQ n’a pas voulu non plus préciser si M. Boivin avait été mis à contribution pour la rédaction du programme du parti.

La Presse canadienne a également tenté d’obtenir une entrevue avec le directeur du cabinet ainsi qu’avec le ministre, en vain.

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