Le plan de transition énergétique du Québec ne compte pas de cible de réduction des GES

«Si on n’inclut pas les émissions de GES dans le plan, on ne peut pas s’assurer que les résultats seront au rendez-vous», affirme le spécialiste des questions énergétiques Normand Mousseau.
Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir «Si on n’inclut pas les émissions de GES dans le plan, on ne peut pas s’assurer que les résultats seront au rendez-vous», affirme le spécialiste des questions énergétiques Normand Mousseau.

Le premier plan directeur du nouvel organisme gouvernemental chargé de coordonner la transition énergétique du Québec n’est soumis à aucune cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2023, a appris Le Devoir. Une « omission majeure », qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs que s’est fixés le Québec pour lutter contre les changements climatiques, mettent en garde plusieurs spécialistes des enjeux énergétiques.

C’est « l’échec assuré », lance le professeur de l’Université de Montréal Normand Mousseau, spécialiste des questions énergétiques. « Si on n’inclut pas les émissions de GES dans le plan, on ne peut pas s’assurer que les résultats seront au rendez-vous, dit-il. Si on demande qu’un pont soit solide sans demander qu’il soit beau, il n’y a aucune chance qu’il soit beau. »

Transition énergétique Québec (TEQ), un organisme financé aux deux tiers par le Fonds vert qui doit veiller à « la mise en oeuvre de l’ensemble des programmes et des mesures nécessaires à l’atteinte des cibles en matière énergétique » au Québec, a reçu une mise en garde semblable de la part du regroupement de spécialistes chargé de le conseiller. Dans un rapport déposé en avril dernier, la Table des parties prenantes (TPP) a recommandé au gouvernement et à TEQ « d’établir une cible de réduction des GES en bonne et due forme pour les plans directeurs ».

Seulement deux cibles

 

Le plan directeur 2018-2023 de TEQ a été élaboré en s’appuyant sur un décret du gouvernement Couillard daté de juin 2017. Ce dernier indique que le plan doit notamment « permettre l’atteinte des objectifs de la Politique énergétique 2030 » et atteindre deux cibles plus précises d’ici 2023 : améliorer d’au moins 1 % par année l’efficacité énergétique et réduire d’au moins 5 % la consommation de produits pétroliers par rapport à 2013.

Dans sa politique énergétique, le gouvernement libéral s’est donné cinq cibles, en précisant que leur atteinte permettrait de réduire de 16 millions de tonnes les émissions de GES en 2030. Or, dans son plan directeur, TEQ n’évoque aucune cible de réduction des GES pour 2023 et s’en tient aux deux cibles concernant l’efficacité énergétique et les produits pétroliers.

TEQ a soumis son plan directeur à la Régie de l’énergie en juin dernier. Trois mois plus tard, l’une des spécialistes qui siègent à la TPP, la chercheuse Johanne Whitmore, a fait parvenir à la Régie une lettre à titre personnel dans laquelle elle soutient que l’absence d’une cible de réduction des GES dans le plan de TEQ constitue une « omission majeure ».

« Quand on tient compte des GES, ça peut avoir une influence sur les programmes qu’on va privilégier. On peut atteindre une des cibles énergétiques sans nécessairement réduire les GES d’autant », explique-t-elle en entrevue. On pourrait par exemple réduire la consommation de produits pétroliers en passant au gaz naturel, sans nécessairement réduire les émissions de GES de manière significative, illustre la chercheuse.

Pas dans le mandat

 

Lors des audiences de la Régie de l’énergie, plusieurs intervenants ont également cherché à savoir pourquoi le plan directeur n’avait pas de cible liée aux GES. Les associations québécoise et canadienne du propane ont par exemple demandé à TEQ d’expliquer pourquoi elle ne fixait pas « de cibles précises relatives à la réduction des GES », « alors que la décarbonisation de l’économie québécoise est une priorité gouvernementale évidente ».

TEQ n’a pas répondu à la question, prétextant qu’elle dépassait son mandat. Elle a par la suite expliqué qu’« aucune cible de réduction de GES n’est prévue au décret [de juin 2017] ».

Cette interprétation a fait bondir l’expert en énergie de l’Association québécoise du propane, Pierre Ducharme. « Est-ce vraiment logique que TEQ puisse répondre à la Régie qu’elle n’a pas à poursuivre des objectifs de réduction des GES, même si elle utilise de l’argent qui est destiné à la réduction des GES ? » soulève-t-il en faisant référence au financement de TEQ provenant du Fonds vert.

À la fin du mois de septembre, la Régie s’est finalement rangée derrière TEQ dans le cadre d’une décision préliminaire en affirmant que les seules cibles sur lesquelles elle doit se pencher sont celles concernant l’efficacité énergétique et les produits pétroliers. La décision définitive devrait être rendue prochainement.

On a besoin du Conseil de gestion du Fonds vert et on a besoin de Transition énergétique Québec, mais on a besoin de cohérence.

 

TEQ se défend

Le directeur général des affaires stratégiques et des partenariats de TEQ, Gilles Lavoie, affirme que le décret gouvernemental « ne porte pas à interprétation ». « Il y a deux cibles à atteindre. On assure qu’on va atteindre ces deux cibles-là; en plus, on va les dépasser, et il va y avoir un impact sur la réduction des GES, souligne-t-il. Si le nouveau gouvernement décide d’aller plus loin, il le fera, et TEQ corrigera son plan en conséquence. »

M. Lavoie soutient que le plan directeur tient compte des GES parce qu’une annexe indique que les mesures prévues devraient permettre de diminuer d’au moins 5,4 millions de tonnes les émissions de GES d’ici 2023.

Le problème, rétorque Johanne Whitmore, c’est que la Régie de l’énergie ne se prononcera pas sur cette réduction potentielle des émissions polluantes si aucune cible liée aux GES n’est prévue au plan directeur. « Oui, [TEQ] présente des chiffres, mais il faut qu’il y ait une méthodologie et une approche standardisée, comme ça se fait ailleurs, pour valider les réductions de GES », dit-elle.

Selon la loi, Québec peut « demander à TEQ de modifier son plan directeur afin notamment d’y inclure des cibles additionnelles ». Porté au pouvoir la semaine dernière, le gouvernement caquiste demeure pour l’instant prudent. « [François Legault] a affirmé, lors de la campagne électorale, qu’il entendait faire en sorte que les cibles de réduction de GES posées par le gouvernement sortant soient respectées », répond l’attachée de presse de la Coalition avenir Québec Émilie Toussaint.

Le mois dernier, Le Devoir a révélé le contenu d’un rapport préliminaire du Conseil de gestion du Fonds vert concluant que plusieurs actions mises en oeuvre par différents ministères pour lutter contre les changements climatiques devraient être « arrêtées » ou « réévaluées ». Parmi celles qui relèvent directement de TEQ, le document recommande que 15 soient réévaluées et que 8 soient arrêtées.

« On a besoin du Conseil de gestion du Fonds vert et on a besoin de Transition énergétique Québec, mais on a besoin de cohérence, insiste Mme Whitmore. On a des institutions, mais il faut les rafistoler. »

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