Les bons coups et les ratés des chefs

Bon coup : reprendre le contrôle
François Legault est parvenu à reprendre le contrôle de son autobus de campagne après que celui-ci s’est mis, à mi-parcours, à foncer dangereusement dans le brouillard. Après avoir convaincu Christian Dubé, candidat dans La Prairie, de monter à bord, il a limité les risques de nouveaux dérapages. En fin de course, il a raccourci la durée des points de presse, empêchant ainsi les journalistes de le cuisiner sur les zones d’ombre de sa plateforme électorale. Il s’en est tenu à marteler les promesses phares de la CAQ, quitte à les simplifier au maximum. « 2400 dollars par année pour chaque enfant de moins de 18 ans. Les familles méritent ça. Je veux que tous les Québécois le sachent dans tous les comtés. C’est la CAQ qui va faire ça ! » martelait-il. « Oui, vous pouvez applaudir ! » Dans les faits, la CAQ propose d’allouer 1200 $ de plus par enfant par année, mais seulement aux parents qui touchent un revenu familial de 107 000 $ ou moins… et à compter du deuxième enfant. Au-delà de 107 000 $, l’« allocation familiale » serait modulée.
J’ai fait mon mea culpa et j’ai le goût d’intégrer tout le monde
Mauvais coup : pas toutes les réponses
François Legault a démontré, durant la campagne électorale, qu’il n’a pas réponse à toutes les questions. L’homme politique de 61 ans n’a pas seulement louvoyé quand il a été interrogé sur le sort des immigrants qui échoueraient au test de valeurs et au test de français que la CAQ propose dans ses cartons, il a montré sa méconnaissance du système d’immigration canadien. Il a lui-même convenu qu’il « n’aurait pas gagné Génies en herbe » sur ce thème. Sa crédibilité en a pris pour son rhume. Après plus de 35 jours de campagne, plusieurs zones d’ombre subsistent dans le programme politique de la CAQ. De combien François Legault compte-t-il augmenter le salaire moyen au Québec ? L’aspirant « premier ministre économique », qui considère la création d’emplois bien rémunérés comme le principal défi économique du Québec, n’a pas dévoilé sa cible. Le plan de la CAQ pour atteindre les cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES) du Québec demeure tout aussi nébuleux.
Bon coup : faire oublier Barrette
Les libéraux sont parvenus à éloigner de la conversation les enjeux de santé qui les ont embarrassés au cours de la dernière année, comme la rémunération des médecins et l’épuisement des infirmières. En promettant le ministère de la Santé à sa candidate Gertrude Bourdon, Philippe Couillard a pu reléguer son controversé ministre de la Santé, Gaétan Barrette, au second plan. Le premier ministre sortant a aussi expliqué sans peine le fonctionnement du système d’immigration au Québec — un sujet qui a donné du fil à retordre à son adversaire François Legault et, dans une moindre mesure, à Jean-François Lisée. Le léger relâchement de la menace d’une nouvelle mouture de l’ALENA défavorable à la gestion de l’offre a aussi donné du répit au chef libéral dans la seconde portion de la campagne électorale. Devant ses partisans, il a pu répéter son attachement aux fermes familiales de « son coin », le Saguenay–Lac-Saint-Jean, sans être embêté par les répliques d’un certain Donald Trump…
Je n’ai pas un sou à l’extérieur du Québec. J’en ai à peine assez pour mes prochaines années.
Mauvais coup : le boulet du 75 $
Philippe Couillard a entamé la dernière étape de sa campagne en se félicitant de cette « semaine de plus », rendue possible grâce à son choix de plonger le Québec dans une campagne électorale de 39 jours. Les journalistes ont tôt fait de lui demander s’il ne s’agissait pas de la « semaine de trop » puisqu’en fin de parcours, le chef libéral s’est le plus souvent présenté sans annonce formelle. Résultat : le « salissage » et les multiples histoires embarrassantes ont pris toute la place. La collaboration présumée de son député Guy Ouellette avec des partis d’opposition et le silence de son candidat George Tsantrizos sont autant d’exemples de situations ayant mis Philippe Couillard dans l’embarras. Le chef libéral a par ailleurs refusé de faire acte de contrition, traînant pendant des jours le malaise associé à ses commentaires sur « l’épicerie à 75 $ » et, plus largement, sur l’odieux des importantes compressions assénées en première moitié de mandat. « C’est ce qu’il fallait faire », a-t-il encore insisté vendredi.
Bon coup : la gestion de l’offre
L’enjeu n’est pas le plus spectaculaire — la défense de la gestion de l’offre —, mais il a permis à Jean-François Lisée de s’imposer en début de campagne avec un thème repris ces jours-ci : l’idée que le chef péquiste soit un « rassembleur ». À la fin de la première semaine de la campagne, M. Lisée a proposé que les quatre chefs de parti signent une déclaration commune réitérant l’importance de protéger les intérêts québécois dans les négociations sur l’ALENA. Ce qui, selon lui, allait envoyer un puissant message à Ottawa et à Washington. La démarche, présentée comme « transpartisane », a fait son chemin et rallié ses adversaires. Quelques jours plus tard, tous les chefs faisaient front commun aux côtés des représentants des agriculteurs québécois… sans François Legault, coincé au Saguenay par son horaire de campagne, et réduit à souligner son appui par téléphone. Ce qui — la trêve ayant ses limites — n’a pas manqué d’être souligné par M. Lisée.
Mauvais coup : le « patron »
Y a-t-il un « patron » occulte à Québec solidaire, personnage de l’ombre qui tirerait les ficelles manipulant les co-porte-parole ? C’est la question-surprise lancée par Jean-François Lisée au début du débat des chefs organisé par TVA, le 20 septembre. Et c’est le thème qui aura marqué sa fin de campagne, créant dans la foulée des divisions au sein de ses troupes. Jean-François Lisée n’avait prévenu personne qu’il sortirait ce lapin de son chapeau, mais le stratège n’est jamais loin en lui. Devant la montée de QS dans les sondages, le chef péquiste a choisi de braquer les projecteurs sur une formation qui profitait, selon lui, d’une « partie gratuite » de la part des médias. Sauf que l’ardeur déployée à critiquer QS (un parti qu’il juge dominé par un « courant sectaire, dogmatique, ancré dans le marxisme », et qui cacherait son programme sur Internet — ce qui était erroné) n’a pas fait que des heureux au PQ. M. Lisée a reconnu implicitement que Véronique Hivon n’était pas d’accord. Mais… « Elle est vice-chef, je suis chef. Donc, c’est moi qui prends les décisions. »
Québec solidaire
Bon coup : s’imposer comme « le parti de l’environnement »
Réduction de moitié des tarifs du transport en commun, interdiction de la vente de voitures à essence et réutilisation du Fonds des générations pour payer la « dette écologique » : Québec solidaire (QS) s’est imposé comme le parti de l’environnement tout au long de cette campagne. « La question de l’urne, ça devrait être la lutte contre les changements climatiques », a insisté Manon Massé, candidate solidaire au poste de première ministre, en cette dernière semaine de campagne. Les propositions de QS en matière d’environnement ont résonné si bien que plusieurs adversaires politiques semblent s’en être inspirés. Le PLQ est allé jusqu’à proposer la gratuité des transports en commun pour les aînés et les étudiants. Puis, à trois jours du scrutin, le PQ a emprunté l’expression « dette environnementale », utilisée depuis le début de la campagne par Mme Massé.
Mauvais coup : se mordre la « langue de Shakespeare »
À deux reprises durant la campagne, la candidate solidaire Manon Massé a dû s’excuser de s’être mal exprimée en anglais. Le jour du lancement de la campagne, l’aspirante au poste de première ministre a déclaré qu’il y avait deux langues officielles au Québec, faisant référence au statut de l’anglais dans la province. Elle a ensuite plaidé l’erreur, l’attribuant aux défis que lui pose la langue de Shakespeare, même si la question lui avait pourtant été aussi posée en français. En fin de campagne, Mme Massé a dû une fois de plus rectifier le tir, après avoir dit en anglais que Québec solidaire était un parti marxiste dans une entrevue accordée à CBC. Pour nuancer les allégeances marxistes accolées à son parti, Manon Massé a tenu à souligner qu’un candidat marxiste se présentait contre elle dans sa circonscription. Une excuse qui a vivement fait réagir, notamment sur les réseaux sociaux, où des internautes ont rappelé à Mme Massé qu’à ce compte, on ne pourrait compter plus d’un parti indépendantiste.