Les Autochtones, les oubliés des partis politiques québécois

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir

Victoria Crowe, une femme crie résidant à Chibougamau, croit que la présence d’Inuits ou de membres des Premières Nations dans la joute politique agirait comme un stimulant sur le vote.

Rectificatif

Dans cet article, nous affirmions qu’«aucun des quatre partis favoris de la campagne électorale ne présente de candidat autochtone cette année». Or, entre la rédaction de l’article et sa publication, Québec solidaire a investi Alisha Tukkiapik, une Inuk, dans Ungava, le 4 septembre dernier.

Aucun des quatre partis favoris de la campagne électorale ne présente de candidat autochtone cette année. Une situation habituelle pour le Québec, qui, depuis 1969 — année où les Autochtones ont obtenu le droit de vote —, en a élu un seul. À Ottawa, un cas fait cependant école. Au fil des discussions, lors d’une tournée récente dans la circonscription d’Ungava, un prénom revenait inévitablement : celui du député fédéral d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, le Cri Romeo Saganash. Or, sur la scène politique québécoise, les Autochtones attendent toujours l’arrivée de « leur Romeo ».

« Pourquoi les Autochtones sont-ils absents [sous les bannières des partis] aux prochaines élections québécoises ? Il n’y a pas de réponse facile, claire et tranchée », prévient d’emblée Daniel Salée, spécialiste des relations entre l’État et les peuples autochtones. Manque de volonté des partis ou désengagement des Autochtones ? Un peu des deux, jugent les experts rejoints par Le Devoir.

Au Québec et en Ontario, la proportion d’Autochtones est similaire — 2,2 % contre 2,8 % respectivement. Pourtant, la province voisine a atteint le nombre record de neuf candidats autochtones lors de ses élections, le 7 juin dernier. Deux d’entre eux siègent désormais à l’Assemblée législative ontarienne.

Même avec des proportions similaires, « il ne faut pas oublier que les Autochtones sont trois fois plus nombreux en Ontario. Dans une circonscription ontarienne, il peut y avoir jusqu’à 15 % d’Autochtones », illustre Martin Papillon, professeur de science politique à l’Université de Montréal et spécialiste des questions autochtones en politique. « Les partis ontariens ont donc plus d’intérêt à aller chercher des candidats autochtones », contrairement au Québec, où le poids électoral reste faible.

J’encourage les Autochtones qui sont intéressés par la politique à faire le saut. Nos voix doivent être entendues. Elles ne doivent plus être reléguées au second plan.

Barrière idéologique

Une stratégie dont se défendent les principaux partis politiques. Le Parti québécois (PQ), la Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) se disent ouverts aux candidats de tous horizons, sans dévoiler d’informations concernant les personnes approchées. Québec solidaire (QS) certifie avoir « eu des discussions avec des personnes issues des communautés autochtones ».

La faible représentation peut aussi s’expliquer par la barrière de la langue. « Plusieurs communautés autochtones au Québec parlent seulement anglais [en plus de leur langue maternelle] — comme les Cris et les Mohawks. Il est donc difficile pour eux de se présenter alors qu’ils ne peuvent pas communiquer en français », interprète M. Papillon.

Au-delà des questions démographiques et du « peu d’efforts [fournis par les] partis » en matière d’intégration, les Autochtones ne sont pas forcément enclins à participer à la politique provinciale pour des raisons idéologiques, soutiennent les chercheurs interrogés.

Shikuan Jean-Sébastien Vollant, porte-parole du Réseau jeunesse des Premières Nations Québec-Labrador (RJPNQL) est de ceux qui rejettent catégoriquement la politique provinciale. « Nous ne voulons plus l’ingérence du gouvernement dans nos décisions ni sur nos territoires », revendique d’un ton ferme ce jeune Innu de la communauté de Mani-Utenam, près de Sept-Îles. Pourtant engagé auprès des siens, il ne souhaite pas s’impliquer dans la politique québécoise parce que ce serait, selon lui, une façon de « cautionner le gouvernement ».

Alexis Wawanoloath, élu pour un an seulement aux côtés du PQ en 2007, est le seul Autochtone à avoir siégé à l’Assemblée nationale depuis 1969. Né d’un père québécois et d’une mère abénaquise, M. Wawanoloath dit « venir de deux mondes ». « Lorsque je me suis engagé pour le PQ, je voyais des convergences de combats. On ne m’a pas courtisé, c’est ma démarche personnelle.

Même le parti ne croyait pas en moi et cherchait un autre candidat [plus populaire] jusqu’au dernier moment », assure celui qui a obtenu son investiture deux jours après le déclenchement des élections.

À l’Assemblée nationale, il dit s’être senti davantage écouté. « J’étais la seule voix [autochtone]. Quand il était question d’affaires autochtones, c’est vrai qu’on me déléguait plus d’affaires. J’ai pu faire comprendre des choses à bien des collègues […] en contextualisant ces enjeux », estime l’ancien député.

Comme d’autres Autochtones croisés dans le Nord-du-Québec, Victoria Crowe, une femme crie résidant à Chibougamau, croit que la présence d’Inuits ou de membres des Premières Nations dans la joute politique agirait comme un stimulant sur le vote.

« Ce serait une bonne chose [qu’un candidat autochtone se présente aux élections québécoises] », atteste-t-elle. « Il saurait ce que c’est d’être dans une ville comme Chibougamau et d’être traité comme nous le sommes. […] Le racisme, c’est majeur », raconte la jeune femme, qui dit avoir subi l’humiliation de devoir quitter un restaurant de Chibougamau sous les applaudissements des clients, après qu’une employée eut refusé de la servir. « Nous, en tant que Cris, on voterait beaucoup plus pour un Autochtone que pour quelqu’un qui n’a aucune idée [de ce que l’on vit] », dit-elle.

Nancy Shecapio-Blacksmith, rencontrée à Mistissini, croit elle aussi que ce genre de scénario stimulerait le vote des Autochtones. « J’encourage les Autochtones qui sont intéressés par la politique à faire le saut », lance cette employée du milieu de la santé qui a grandi à Chibougamau, mais vit désormais à Montréal « Nos voix doivent être entendues. Elles ne doivent plus être reléguées au second plan », plaide-t-elle.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Christine Petawabano, de la radio crie de Mistissini

Toujours à Mistissini, dans les bureaux de la Société des communications cries de la Baie-James, Christine Petawabano sourit à l’idée. « Nous soutenons les membres de nos communautés quand ils sont en position de leadership », atteste-t-elle.

Si un Autochtone pouvait offrir une « bonne représentation » aux siens, il profiterait à son avis du soutien de ces derniers… mais aussi d’un certain temps d’antenne. « On le présenterait à nos auditeurs », affirme-t-elle. « Pas pour influencer leur vote, mais pour les informer. »

Pour créer de l’engagement chez ces communautés, il est nécessaire que les partis s’investissent davantage dans les enjeux autochtones, croit Martin Papillon. « Au niveau fédéral, lorsque les partis politiques prennent le temps d’en parler et d’avoir des candidats autochtones, la participation autochtone augmente.

Et c’est pareil pour tous les groupes minoritaires », remarque-t-il. « Au Québec, il y a une responsabilité des partis, un leadership à prendre sur ces questions. [Les partis] en Ontario ont développé ces réflexes. Au Québec, c’est beaucoup de discours », observe le chercheur.

Rétablir des ponts

 

De son côté, Daniel Salée croit qu’il faut aussi « reconstruire des ponts » entre le Québec et les différentes communautés autochtones ; rétablir une « confiance mise à mal » par des « relations trop souvent utilitaires de la part des politiciens ». Et dans cette situation, « les partis n’en font pas assez », dit-il.

Ni l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) ni le RJPNQL n’incitent à la participation électorale, puisque cela reste « un choix individuel qu’on ne remet pas en question », explique le chef de l’APNQL, Ghislain Picard. L’APNQL a cependant fait une sortie publique récemment pour réclamer que les enjeux autochtones aient leur place dans la campagne électorale. Les leaders du PLQ, de la CAQ, du PQ et de QS se sont ensuite tour à tour engagés à organiser une rencontre avec des représentants autochtones dans les 100 premiers jours de leur mandat.

Et puis, un parti tiers, le NPD-Québec, aura peut-être ouvert une brèche, en annonçant jeudi la candidature de Mona Belleau, une Inuite, dans la circonscription de Chauveau.



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