Lise Payette rend l’âme à l’âge de 87 ans
Lise Payette, journaliste, animatrice et écrivaine, mais également femme politique et figure du féminisme québécois, est décédée mercredi à l'âge de 87 ans.
Lise Payette fut tour à tour journaliste, animatrice à la radio et à la télévision, ministre et auteure de téléromans à succès. Touche-à-tout, personnage parfois controversé, mais très apprécié du grand public, Lise Payette était une femme de convictions, qui a su tout au long de sa vie utiliser ses talents exceptionnels de communicatrice pour faire avancer les causes auxquelles elle croyait.
C’était une femme d’audace, c’était une femme qui avait une telle détermination qu’il n’était pas possible de lui résister.
Elle aura été particulièrement engagée dans la défense de deux causes pour lesquelles elle s’est battue une grande partie de sa vie: l’égalité des femmes et la souveraineté du Québec.
Lise Payette, c’est notamment Place aux femmes et Appelez-moi Lise, l’assurance automobile, un plus large accès aux garderies, le « Je me souviens » sur les plaques d’immatriculation, les noms de famille doubles, Des dames de coeur et Jean-Paul Belleau.
Mais Lise Payette c’est aussi « l’incident des Yvette », une parole malheureuse qui l’aura hantée pendant des décennies.
Mme Payette a également été chroniqueuse au Devoir de 2007 à 2016.
Regard sur le passé
Relisez les chroniques de Lise Payette
Née Ouimet le 29 août 1931, Lise Payette a grandi dans un quartier modeste de Montréal, Saint-Henri, auprès notamment d’une grand-mère qui lui a beaucoup montré à « se tenir debout ». Elle entame sa carrière de journaliste à la radio à Trois-Rivières, en 1954, puis à Rouyn-Noranda.
Mariée au journaliste de Radio-Canada André Payette depuis 1951, elle part avec lui pour Paris 10 ans plus tard. À l’époque, elle est mère de trois jeunes enfants, mais continue à collaborer, comme pigiste, à plusieurs journaux et magazines (Châtelaine, Le Nouveau Journal), et anime une émission à la radio de Radio-Canada, Interdit aux hommes. De retour au pays, elle devient vite une vedette de la radio avec Place aux femmes, en compagnie de Guy Provost, de 1966 à 1972.
Avec l’arrivée des années 1970, elle trouve un nouveau défi en tentant de faire la conquête du petit écran. Elle devient une véritable vedette de la télé avec son talk-show Appelez-moi Lise, qui, de 1972 à 1975, fracasse des records d’écoute, même si l’émission est diffusée à 23 h. Ce créneau de fin de soirée était déjà bien installé aux États-Unis avec les Johnny Carson et consort, mais pas au Québec, où on se couche plutôt « après les nouvelles ». Le réalisateur Jean Bissonnette, lui, décide d’imposer la mode.
Maîtrisant l’équilibre subtil entre les entrevues d’émotions et le divertissement, Lise Payette aime les coups d’éclat, surtout s’ils font vibrer sa fibre féministe, comme le fait d’organiser le concours du plus bel homme du Canada — qui durera neuf ans — ou de remplacer le gardien de but lors d’un exercice du très exclusivement masculin club de hockey Canadien.
Mais ces frasques — qui font la joie des médias — ne nuisent d’aucune façon à la militante sociale-démocrate en elle ni à la nationaliste. Aussi, en 1975, elle préside le comité organisateur des fêtes nationales du Québec sur le mont Royal, qui connaissent un succès sans précédent, et elle donne son appui empressé aux travailleurs de l’usine Tricofil, de Saint-Jérôme, qui tentaient de prendre en mains la gestion de leur usine menacée de fermeture (et qui devait fermer en 1982).
Un coup de fil à René Lévesque
Mais plus les années passent, plus Lise Payette sent l’appel de l’engagement politique. Elle veut que les choses changent et souhaite apporter sa contribution. Un jour de 1976, elle téléphone à René Lévesque, chef du Parti québécois. « Est-ce que je peux vous être utile ? » lui demanda-t-elle. Le 15 novembre 1976, elle est élue députée de Dorion, puis accède au conseil des ministres — où elle sera la seule femme autour de la table. Elle dira en juin 2015 qu’elle a souvent trouvé en Jacques Parizeau, ministre des Finances, un allié fidèle dans cette bande de gars.

Elle n’accomplira qu’un seul mandat, de 1976 à 1981, mais il fut bien rempli. D’abord ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières, elle revoit et élargit la protection du consommateur, dont les droits sont désormais régis par un code en bonne et due forme.
Ministre d’État à la Condition féminine, elle rédige une première politique globale, « Pour les Québécoises : égalité et indépendance », elle étend l’accès aux garderies, supervise une réforme du droit de la famille et finance les centres d’aide aux femmes victimes de violence, notamment. Elle met aussi sur pied un bureau de la condition féminine dans 12 ministères, et elle œuvre à la reconnaissance du statut de travailleuse pour les femmes collaboratrices de leur mari.
C’est aussi grâce à elle que les enfants peuvent aujourd’hui, depuis 1981, porter le nom de famille de leurs deux parents — les noms de famille doubles, appelés à l’époque « noms à pentures ».
Mais son passage en politique sera surtout marqué par une réforme majeure et controversée : celle de l’assurance automobile, qui élimine la notion de responsabilité lors d’un accident. « Pour la première fois de ma vie, je réussissais à faire l’unanimité contre moi », écrira Mme Payette dans ses mémoires. Parlant de mémoire, c’est elle qui fera remplacer sur les plaques d’immatriculation « La Belle Province » par « Je me souviens », en 1978.
Le référendum de mai 1980 est un autre épisode fort difficile de sa carrière politique. Bien involontairement, elle met en péril la campagne du Oui en comparant publiquement l’épouse du chef du Parti libéral, Claude Ryan, à l’« Yvette » d’un manuel scolaire, une petite fille soumise. La maladresse est aussitôt dénoncée par la presse et récupérée par le camp du Non, qui organise un grand rassemblement fédéraliste au Forum de Montréal, auquel participent 15 000 personnes — en majorité des femmes.
Certains observateurs, à l’époque, n’ont pas hésité à prétendre que l’« incident des Yvette » avait été le moment crucial de la campagne référendaire et une cause directe de la défaite des souverainistes 60-40 — une analyse que Mme Payette n’a jamais partagée, tout en admettant avoir commis une maladresse.
Éreintée par toutes ces batailles, physiquement épuisée, elle décide quelques mois plus tard de ne pas se porter candidate au prochain scrutin, qui aura lieu en avril 1981. Elle veut retrouver sa liberté de parole pour promouvoir la souveraineté, et souhaite reprendre le contact avec les femmes, loin des contraintes de l’arène politique.
Jean-Paul Belleau
Durant les décennies 1980 et 1990, elle se consacre principalement à l’écriture. Elle fonde sa maison de production, Point de mire, et crée plusieurs téléromans : le triptyque La Bonne Aventure, Des dames de cœur et Un signe de feu (1982-1991), puis Marilyn, Les Machos et Les Super-Mamies (2001-2003). Certains de ces téléromans, aux traits sociaux et féministes, ont capté l’attention d’un large public — le personnage de Jean-Paul Belleau est devenu dans l’imaginaire populaire l’archétype du mari infidèle.
Au milieu de tout ça, en 1989, elle signe un documentaire controversé, Disparaître, qui trace un sombre portrait de l’avenir du Québec francophone, compte tenu du faible taux de natalité.
Parallèlement à cette carrière télévisuelle, elle se met à la tâche de porter son regard vers le passé et de partager ses souvenirs avec le public en publiant plusieurs livres, dont Le pouvoir ? Connais pas !, en 1982, qui relate sa carrière de femme politique, et une autobiographie en trois volumes intitulée Des femmes d’honneur (1997-1999).
Mme Payette a reçu de nombreux prix et distinctions : Femme de l’année 1994 par la Canadian Woman in Communications, prix Florence Bird 1997 du Centre international des droits de la personne et du développement, Grand Prix de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision 1998 pour l’ensemble de son œuvre, Médaille d’or du Mouvement national des Québécois en 2000 (remise tous les 10 ans seulement), Ordre national du Québec en 2001. En 2014, elle reçoit le prix Guy-Mauffette, pour l’ensemble de la carrière d’un artiste ou artisan de la radio ou télévision — l’un des 14 prix du Québec décernés annuellement par le gouvernement.
Avec André Payette, dont elle était divorcée depuis longtemps, elle a eu trois enfants : Dominique, Sylvie et Daniel. Son compagnon de longue date, Laurent Bourguignon, était décédé en 2002.
Sa petite-fille, Flavie Payette-Renouf, dont elle parlait souvent en public avec affection, a réalisé en 2013 (avec Jean-Claude Lord) un documentaire sur sa grand-mère, Un peu plus haut, un peu plus loin, rappelant la chanson de Jean-Pierre Ferland que Ginette Reno avait interprétée avec une passion contagieuse sur la montagne en 1975.
À compter de novembre 2007, Mme Payette tenait une chronique hebdomadaire dans le quotidien Le Devoir ; une sélection de ces chroniques avait été publiée en 2012 : Le Mal du pays.
Dans une de ces chroniques, en février 2016, sur le « scandale Claude Jutra », elle avait semblé témoigner plus de compassion pour son ami d’enfance que pour les présumées victimes, et faire un amalgame entre pédophilie et homosexualité. Elle avait dû rectifier le tir la semaine suivante, après avoir subi des attaques très dures, notamment sur les médias sociaux. Cette collaboration avec Le Devoir a pris fin deux mois plus tard, autour d’une chronique que le quotidien n’a jamais publiée sur le ministre de la Santé, Gaétan Barrette.
Mme Payette a ensuite publié, en août 2016, un deuxième recueil de ses chroniques, intitulé ironiquement Le Sens du devoir, où elle revient sur cette rupture acrimonieuse. Par ailleurs, elle soutenait toujours, contre vents et marées, ne pas avoir de preuves de la culpabilité de Claude Jutra.
Mme Payette laisse dans le deuil ses enfants Daniel, Dominique et Sylvie, ses petits-enfants Flavie et Louis, son arrière-petit-fils Philippe, leurs conjointes et conjoints de même que plusieurs amis, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde.