Dans Saint-Laurent, les familles fourmillent

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Le CPE dans la Maison de l’enfance de Saint-Laurent. «L’Enquête québécoise sur les enfants à la maternelle» révélait l’an dernier que le tiers des bambins de Saint-Laurent avait des difficultés dans au moins un domaine de développement.

En prévision des élections, Le Devoir effectue une tournée qui le mène dans des circonscriptions aux prises avec des enjeux qui préoccupent tous les Québécois. Le neuvième D-Tour électoral nous amène cette fois dans la circonscription de Saint-Laurent, au nord de Montréal.

Alina, maman de Mateo, et Anna, maman d’Émilie, regardent du coin de l’oeil leurs rejetons se chamailler gentiment en espagnol, russe et français. Ces deux mamans immigrantes se sont connues à la Maison des familles de Saint-Laurent, où elles sont venues un jour chercher du réconfort. « Je me rappelle être venue ici fatiguée, et l’intervenante a pris mon enfant dans ses bras. Juste que quelqu’un d’autre puisse tenir mon enfant quelques minutes, ça m’a tellement fait de bien », raconte avec émotion Anna, arrivée de Russie il y a quelques années. « Je ne peux pas t’expliquer en mots l’importance d’avoir un lieu comme celui-ci. »

Le hic, c’est que le centre, qui offre une panoplie de services de soutien aux familles depuis dix ans, peine à répondre à la demande du secteur. « On est le seul organisme communautaire pour familles reconnu à Saint-Laurent », lance Marie-Agnès Lebreton, sa dévouée directrice générale, qui rêve d’un financement récurrent pour son organisme. Pour cette circonscription du nord de Montréal, qui compte le plus grand nombre de familles nombreuses au Québec, le constat a quelque chose d’absurde.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Anna, maman d’Émilie, à la Maison des familles

À peine deux intervenantes, dont une seule à temps plein, y sont au service de quelque 350 familles. Dans tout Saint-Laurent, plus de 10 000 familles ont au moins un enfant et 2815 d’entre elles en comptent trois et plus. « On ne peut même pas faire de pub, c’est déjà plein avec le bouche-à-oreille. Mais ça nous fait mal au coeur, parce qu’on sait qu’il y a des familles en détresse qu’on ne peut pas rejoindre », ajoute la directrice. C’est sans compter que le CLSC et le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) leur adressent beaucoup d’enfants.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Alina, maman de Mateo, à la Maison des familles

Parmi ces familles, plusieurs sont immigrantes, comme celles d’Alina et Anna, car Saint-Laurent est aussi la circonscription qui compte le plus grand nombre de minorités visibles, tout juste après celle de Viau. Au Centre d’appui aux communautés immigrantes (CACI), un organisme de francisation et d’aide à l’intégration, les intervenantes voient défiler plusieurs familles nombreuses, surtout africaines ces jours-ci. « L’autre jour, j’ai eu un monsieur seul, mais il présentait une demande d’asile pour sa femme et ses six enfants », raconte Aneysi Rodriguez, intervenante au CACI depuis cnq ans. La grande majorité des réfugiés syriens s’y sont installés.

Le principal problème des parents, constate-t-elle, c’est de trouver une place en garderie subventionnée. « C’est une longue attente, parfois jusqu’à cinq ans. Les garderies en milieu familial, c’est plus facile, mais les familles qui viennent d’arriver n’ont pas les moyens, dit-elle. À Laval, c’est vraiment mieux. J’ai cherché pour mon fils et cinq, six garderies m’ont contactée. Ici, il n’y en a tout simplement pas. »

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Anait Aleksanian, directrice générale du Centre d’appui aux communautés immigrantes

Le service de halte-garderie du CACI — réservé uniquement aux parents qui suivent les cours de francisation — déborde, renchérit Anait Aleksanian, la directrice générale de l’organisme. « On dépasse souvent les limites et on doit faire appel à nos bénévoles. » Et qui dit famille nombreuse dit plusieurs bouches à nourrir. Chaque vendredi, 150 familles viennent chercher des paniers alimentaires. « Ça fait une différence pour eux. Parce que l’une des premières choses qu’ils me disent, c’est que le pain et le lait sont chers. »

Voyez les préoccupations des électeurs de Saint-Laurent

 

 

Pôle industriel

Un avion provenant de l’aéroport Trudeau, qui délimite la circonscription de Saint-Laurent à l’ouest, déchire le ciel bleu de cette chaude journée d’été. Avec ses 4700 entreprises, surtout en aéronautique, dont Bombardier, la circonscription est un véritable pôle industriel au Québec. Et le deuxième bassin d’emplois à Montréal.

Plantées dans le décor laurentien, les petites maisons de la Wartime Housing Limited, construites en 1942 pour loger les ouvriers travaillant dans les usines d’aviation militaire, se dressent dans le quartier Norvick. Autour, les mieux nantis vivent dans le secteur très cossu du Bois-Franc, et les plus pauvres dans de petites enclaves d’immeubles d’habitation, notamment entre Marcel-Laurin et l’autoroute 15.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Un immeuble résidentiel dans Saint-Laurent

Mais aux dires de Maria Vasquez, qui porte à bout de bras le Comité logement Saint-Laurent, se loger est le vrai casse-tête des familles de Saint-Laurent. Et la crise dure depuis une dizaine d’années. « Des logements abordables ? Zéro. Il n’y en a pas, lance-t-elle, catégorique. On a pourtant pris position pour qu’il y ait des logements pour les familles nombreuses. Les promoteurs disent qu’ils vont le faire, mais ça ne débouche pas du tout. »

Les règles des logements sociaux insistent davantage sur les unités 3 et demi pour lutter contre l’itinérance. « J’ai en ce moment 30 familles qui ont besoin d’un 6 et demi ; il y a un projet de logement social qui se construit et il n’y a que six unités de 6 et demi ! » Souvent, les parents vont donner leur chambre à leurs enfants, qui s’y entassent à plusieurs, et dormir dans le salon, explique-t-elle.

Le quartier Norgate offre des logements 7 et demi, mais la plupart sont insalubres, comme en ont témoigné de nombreux reportages dans les médias. « Ou bien c’est peu abordable, et si ça l’est, il y a vermine et c’est insalubre, déplore-t-elle. Autour de l’école Enfant-Soleil, juste en juillet, j’ai eu une vingtaine de plaintes concernant la salubrité. »

Des logements abordables ? Zéro. Il n’y en a pas. On a pourtant pris position pour qu’il y ait des logements pour les familles nombreuses. Les promoteurs disent qu’ils vont le faire, mais ça ne débouche pas du tout.

Les écoles débordent

Les grosses familles et la marmaille qui fourmillent demeurent le « beau problème » des écoles. À la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, qui gère la grande majorité des établissements sur le territoire de Saint-Laurent, toutes les écoles, primaires et secondaires, sont en surpopulation.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Antonino Papalia, directeur de l’école Louisbourg

Antonino Papalia, le directeur de l’école Louisbourg qui appartient à la Commission scolaire de Montréal, en sait aussi quelque chose. Le local de musique et la bibliothèque ont été condamnés pour devenir des salons de classe, et le petit gymnase, qui sert de cafétéria le midi, doit accueillir deux groupes en même temps lors des cours d’éducation physique.

En surcapacité, son établissement d’enseignement primaire se prépare à la construction d’environ neuf classes modulaires et d’un gymnase, également pour accueillir les élèves des autres écoles du coin qui débordent elles aussi. « On a une population croissante à l’échelle de toute la CSDM. Il faut créer de la place pour la nouvelle clientèle. » Ici, il n’est pas rare de voir des fratries de trois, quatre, cinq enfants.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Marie-Agnès Lebreton, directrice générale de la Maison des familles

L’Enquête québécoise sur les enfants à la maternelle révélait l’an dernier que le tiers des bambins de Saint-Laurent avait des difficultés dans au moins un domaine de développement. « Ça leur prend des services de qualité », croit Marie-Agnès Lebreton, de la Maison des familles. Et des maternelles quatre ans, qui sont très peu nombreuses, ajoute-t-elle. L’intervenante Nora Chacon fait remarquer que des quartiers comme Côte-des-Neiges et Hochelaga-Maisonneuve comptent beaucoup plus d’organismes d’aide, à qui vont toutes les subventions. « Mais ici, on a tellement de besoins qu’on fait appel à des centres communautaires de Côte-des-Neiges pour qu’ils viennent nous aider. C’est à ce point-là. »

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Nora Chacon, intervenante à la Maison des familles

Pour mener sa bataille, la Maison des familles pourra compter sur des mamans comme Anna et Alina, qui sont plus que convaincues de la nécessité du soutien pour les familles dans Saint-Laurent. « On voulait signer une pétition pour faire de la sensibilisation, mais s’il le faut, on ira dans la rue », assure Anna.


 

Familles nombreuses et minorités visibles dans Saint-Laurent

Illustration: Le Devoir Source : Données tirées du recensement 2016

La circonscription de Saint-Laurent est celle qui compte le plus grand nombre de familles nombreuses au Québec. Sur ce territoire, 2815 familles ont trois enfants et plus. Dans tout le Québec, ce sont 166 315 couples qui ont plus de trois bouches à nourrir. Saint-Laurent est aussi la circonscription qui compte le plus de minorités visibles (51,8 %), tout juste après celle de Viau (55,7 %).



 


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