Le système partisan est-il en train de voler en éclats?

Les pièces se mettent en place sur l’échiquier politique à l’approche de la campagne électorale provinciale, et certaines d’entre elles ont changé de teinte de bleu. D’anciens députés, candidats ou conseillers du Parti québécois (PQ) ont fait savoir au cours des dernières semaines qu’ils défendront désormais les couleurs de la Coalition avenir Québec (CAQ). Un changement de camp qui s’explique en partie par les récents sondages, mais aussi par un réalignement probable des forces politiques au Québec, plaide un politologue.
Les annonces se sont succédé au cours de l’été. En juin, c’était la présentation de Christine Mitton, une ancienne attachée de presse de Jacques Parizeau et de Louise Harel, comme candidate de la CAQ dans Laval-des-Rapides. Presque au même moment, on apprenait dans Le Soleil que Manuel Dionne, l’ancien attaché de presse de Bernard Drainville, se joignait au cabinet du chef François Legault en tant que directeur adjoint des relations médias.
Le mois suivant, c’était au tour de Martyne Prévost, une ancienne candidate péquiste, de retourner sa veste pour porter les couleurs de la CAQ. Puis, début août, l’ex-ministre péquiste Jean-François Simard confirmait qu’il fera partie de l’équipe Legault lors de la prochaine campagne électorale, lui qui avait signé en 2011 le manifeste de fondation de la CAQ, sans représenter le parti depuis.
Les mouvements d’un parti à un autre ne sont pas exceptionnels, et le PQ n’a pas le monopole des défections. On n’a qu’à penser aux ministres libéraux Gaétan Barrette et Dominique Anglade, deux anciens caquistes, ou à la candidate caquiste Marguerite Blais, une ancienne ministre libérale. Les nombreux départs d’ex-souverainistes vers la CAQ, qui mène actuellement dans les sondages, soulèvent néanmoins d’intéressantes questions au sujet des forces en présence, note le professeur de science politique de l’Université Laval Éric Montigny.
« Éclatement » en vue ?
Pendant des décennies, la question de l’indépendance a été au coeur des campagnes électorales provinciales, mais ce ne sera pas le cas cette année, puisque le PQ a décidé de reporter le débat à 2022, fait remarquer le chercheur spécialisé dans l’analyse des partis politiques.
« Traditionnellement, ce qui tenait le PQ ensemble, c’était le ciment de la souveraineté. Et comme il y a une érosion de ce ciment, il ne faut pas se surprendre de voir des gens qui se questionnent sur leur orientation politique. »
M. Montigny croit que l’absence du clivage « oui-non » et la présence de quatre partis politiques pouvant récolter une part considérable du vote feront du scrutin du 1er octobre une élection déterminante, qui pourrait entraîner un « grand éclatement du système partisan québécois ».
« Est-ce que nous sommes dans une période de transition ? Est-ce que le multipartisme va durer ? Ou est-ce qu’on va revenir à une configuration avec deux partis plus forts ? Ça va se décider le 1er octobre mais, manifestement, il y a un changement. »
À son avis, la montée en puissance de la CAQ, vers qui plusieurs candidats affluent désormais, pourrait faire perdre au PQ son statut de parti dominant, ce qui constituerait un changement structurel rarissime. Selon le politologue, il faudrait remonter à la création du PQ en 1968 ou à la fondation de l’Union nationale en 1935 pour trouver des comparables dans l’histoire politique du Québec.
Visions opposées
Dans l’immédiat, le PQ préfère se concentrer sur ses propositions, sans évacuer complètement la souveraineté de son discours. « On ne tentera pas d’interpréter les raisons qui amènent des gens vers d’autres formations politiques », répond par courriel l’attachée de presse de l’aile parlementaire du PQ, Valérie Chamula Pellerin, lorsqu’invitée à réagir aux départs récents d’anciens péquistes pour la CAQ. « Cela dit, les candidates et les candidats du Parti québécois sont des gens de conviction. Lors de la campagne électorale, nous allons proposer des solutions crédibles aux Québécois. »
« Les souverainistes savent que nous nous sommes engagés à mener le Québec à son indépendance en deux mandats, ajoute-t-elle. François Legault, de son côté, a clairement énoncé son intérêt fédéraliste. Il a même dit que le débat sur la question nationale était clos, alors que cette décision appartient démocratiquement à la population du Québec. Les Québécois feront leur choix ! »
La CAQ, elle, ne voit pas de problème avec le fait d’accueillir des candidats du PQ, souvent qualifié de « vieux parti », alors qu’elle souhaite incarner le changement. « La CAQ existe depuis six ans et demi. La plupart des gens qui y militent ont donc déjà milité dans un autre parti, que ce soit l’ADQ, le PQ, le PLQ ou encore un parti au fédéral », fait valoir le porte-parole Ewan Sauves, en soulignant que la CAQ est une « véritable coalition ».
« Les Québécois ne veulent plus parler de souveraineté, poursuit-il. Ils veulent une équipe qui travaille ensemble pour faire plus et faire mieux pour le Québec d’abord, mais à l’intérieur du Canada. Après 15 années de gouvernement libéral, les électeurs constatent que seule la CAQ répond à leurs vraies préoccupations. »
Selon le professeur Montigny, la CAQ est effectivement une coalition, dont le défi sera de faire preuve de cohésion, malgré la diversité des candidats présents autour de la table. « Si des gens se joignent au parti en ne partageant pas les fondements de cette coalition, il peut y avoir des problèmes », note-t-il.