Leitão ne regarde pas à la dépense

Le ministre des Finances, Carlos Leitão, a déposé le cinquième budget du gouvernement libéral, le dernier avant le scrutin d’octobre prochain.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le ministre des Finances, Carlos Leitão, a déposé le cinquième budget du gouvernement libéral, le dernier avant le scrutin d’octobre prochain.

À six mois des élections générales, le ministre des Finances, Carlos Leitão, accélère la croissance des dépenses de programmes à 5,2 % en 2018-2019 — un niveau inégalé en 10 ans — en plus d’alléger grandement le fardeau fiscal des PME. Pour y arriver, il dégarnit les coffres de l’État québécois.

Qui plus est, le gouvernement québécois compte équilibrer les comptes, au cours des trois prochaines années, au moyen des surplus engrangés dans le passé récent. Seulement en 2018-2019, il puisera pas moins de 1,6 milliard de dollars dans la réserve de stabilisation. « On dépense l’argent que nous avons », a dit le président du Conseil du trésor, Pierre Arcand.

M. Leitão fait flèche de tout bois. Il accroît l’aide fiscale allouée aux familles dont les enfants fréquentent un service de garde non subventionné, prolonge le crédit d’impôt remboursable RénoVert jusqu’en mars 2019, élargit la portée de celui pour les aidants naturels d’une personne majeure, bonifie le crédit d’impôt pour les travailleurs d’expérience et injecte près de 25 millions en cinq ans pour assurer la vitalité des communautés d’expression anglaise. Ce n’est pas tout. Le gouvernement allonge 509 millions afin de déployer la Politique culturelle au cours des cinq prochaines années. « Ce budget est porteur d’initiatives concrètes pour améliorer la qualité de vie, en donnant plus de temps aux familles, en améliorant la mobilité par de grands projets structurants et en offrant un meilleur soutien à ceux qui en ont besoin », a déclaré M. Leitão à l’Assemblée nationale.

En prévision du scrutin, le gouvernement libéral bourre le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2018-2028, ajoutant des projets totalisant 9,3 milliards de dollars, dont la concrétisation du Réseau structurant de transport en commun de Québec et la réfection d’établissements de santé et d’enseignement vétustes. Atteignant désormais 100,4 milliards, le PQI a atteint sa « limite », estime « personnellement » M. Leitão. Que les partisans du projet de construction d’un troisième lien routier entre Québec et Lévis, qui ne figure pas au PQI 2018-2028, se le tiennent pour dit, a lancé le chef caquiste, François Legault. Le ministre des Finances s’est amendé en fin de journée. Dans une « correction » publiée sur Twitter, il a précisé que « les sommes pour un 3e lien pourront y être intégrées [au PQI] dès que les études seront terminées ».

 

Yo-yo et « stop and go »

Les partis d’opposition ont tour à tour dénoncé la stratégie du Parti libéral qui consiste, selon eux, à donner un coup de frein aux dépenses gouvernementales après avoir été élu pour ensuite remettre le pied sur l’accélérateur dans l’espoir d’être réélu. Cette approche du « yo-yo », ou du « stop and go », est néfaste, ont respectivement dit Québec solidaire et la Coalition avenir Québec. « On n’est pas dupes », a déclaré la co-porte-parole de QS, Manon Massé. Le ministre libéral se « pète les bretelles après avoir saigné les principales missions de l’État », s’est indigné le député caquiste François Bonnardel. Le Québec replongera à coup sûr dans l’« austérité » si les libéraux sont réélus le 1er octobre prochain, a averti l’élu péquiste Nicolas Marceau. « Aujourd’hui, c’est la distribution des bonbons. Mais le 2 octobre, c’est le retour des coupes », a-t-il déclaré, appréhendant des « jours encore plus sombres pour la santé et l’éducation » si le PLQ est réélu — ou, « pire » encore, si la CAQ est élue — le 1er octobre prochain.
 

 

Les PME ravies

Après avoir encaissé durement la bonification des normes du travail et du Régime québécois d’assurance parentale, sans oublier la hausse du salaire minimum à 12 $ l’heure, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a accueilli comme une bouffée d’air frais la baisse de la taxe sur la masse salariale et du taux d’imposition des PME. Celle-ci permettra aux petites et moyennes entreprises de réaliser des économies de 600 millions par année, selon la FCEI.

Le gouvernement libéral s’est toutefois abstenu mardi de consentir de nouvelles baisses d’impôt aux particuliers. M. Leitão écarte également la possibilité de le faire au moyen d’une mise à jour économique et financière avant le scrutin. « Ce serait électoraliste », a-t-il fait remarquer à la presse. « Le grand oublié, c’est le portefeuille des familles », a déploré M. Legault, reprochant du même souffle aux libéraux de vouloir « acheter » les Québécois avec le cinquième budget Leitão.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les partis d’opposition ont vivement critiqué le budget libéral, notamment le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, et son critique en matière de finances, François Bonnardel.

En revanche, le gouvernement libéral puise près de 500 millions dans le fonds consolidé de l’État afin de tirer vers le bas dès cette année les comptes de taxes scolaires des propriétaires fonciers québécois.

Plus en santé

 

M. Leitão a donné sa bénédiction à l’accélération de la croissance des dépenses à hauteur de 4,6 % en santé et services sociaux (+1,671 milliard). Il s’agit d’une somme sans précédent depuis l’arrivée de Gaétan Barrette à la tête du ministère de la Santé.

Les établissements de santé et de services sociaux voient leurs budgets revus à la hausse de 1,336 milliard (+5,3 %). L’accès aux soins de santé s’en trouvera « amélioré » dans toutes les régions du Québec, promet le gouvernement libéral.

L’enveloppe consacrée à la rémunération des médecins croît quant à elle de 0,6 % (+44 millions) entre 2017-2018 et 2018-2019. Cela dit, le montant réservé à la rémunération des médecins bondira de 4,6 % au lendemain des élections générales. Le gouvernement libéral compte ainsi débourser 352 millions en 2019-2020 afin d’honorer les ententes conclues avec les fédérations médicales — sur lesquelles les partis d’opposition sont tombés à bras raccourcis. Sans surprise, le PQ et la CAQ ont réitéré leur promesse de réduire en cendres l’entente avec la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ). La part de la rémunération médicale passera de 21,2 % des dépenses de programmes en santé et services sociaux à 19,9 % de 2017-2018 à 2018-2019, s’enorgueillit l’équipe de Philippe Couillard. « Cela signifie que l’augmentation des ressources allouées à la santé sera principalement consacrée à l’accroissement des services et à des crédits en faveur des autres professionnels de la santé, qui incluent notamment les infirmières et les préposés aux bénéficiaires », a fait valoir M. Leitão.

Des robots et des iPad

 

M. Leitão délie les cordons de la bourse afin d’« intensifier la transformation numérique du système éducatif ». « Ces investissements permettront une intégration efficace et une exploitation optimale du numérique au service de la réussite des élèves et des étudiants. » Les écoles québécoises pourront notamment faire le plein de robots ou d’iPad, a appris Le Devoir.

D’autre part, pas moins de 3100 professionnels additionnels accompagneront les élèves du primaire et du secondaire dès la rentrée de septembre prochain, a promis le ministre Sébastien Proulx, en dépit de la pénurie de main-d’oeuvre. Le réseau comptera sur 7700 professionnels de plus d’ici quatre ans, dont quelques centaines d’orthophonistes et d’orthopédagogues.

Au moyen de son cinquième budget, M. Leitão coupe l’herbe sous le pied des autres partis politiques. Pour chaque promesse électorale, ils devront, selon lui, retrancher un service ou alourdir le fardeau fiscal des Québécois. « Si quelqu’un d’autre veut faire des changements majeurs, il va falloir qu’il explique […] où il prendra l’argent », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.

Ce qu'en dit l'opposition

« La population n’est pas dupe: elle sait qu’une réélection des libéraux, en octobre prochain, signifierait un autre cycle d’austérité et une hausse du fardeau fiscal, suivi de quelques baisses et cadeaux pour la période préélectorale. […] Depuis quatre ans, on sait tout le mal, toute la souffrance et tout l’appauvrissement qui ont été causés. »
Nicolas Marceau, porte-parole du Parti québécois en matière de finances 

« On peut résumer le mandat de M. Couillard ainsi : il a coupé, il vous a taxé et maintenant, il veut vous acheter. [...] Les Québécois n’ont pas une poignée dans le dos. Ils savent que les libéraux avaient la marge de manœuvre pour remettre de l’argent dans leur portefeuille, mais qu’ils ont plutôt choisi d’en mettre encore plus dans celui des médecins »
François Legault, chef de la Coalition avenir Québec

« Personne n’est impressionné par les pas de danse préélectoraux du gouvernement libéral. Après nous avoir fait reculer de quatre pas lors des derniers budgets, il fait deux petits pas en avant à six mois des élections. Le résultat final ne change pas : le Québec n’a pas avancé. »
Manon Massé, coporte-parole de Québec solidaire



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