

La Coalition avenir Québec caracole en tête des sondages depuis l’automne dernier.
Une majorité de Québécois est assoiffée de « changement » après plus de 12 ans de gouverne libérale en 15 ans. Mais afin de vaincre les craintes à l’égard d’un parti politique qui n’a jamais été aux commandes de l’État, la CAQ entend se présenter comme le parti du « changement responsable ». En d’autres mots, la révolution libertarienne ne sera pas du programme d’un éventuel gouvernement caquiste.
« La société québécoise vieillit. Il faut que le changement soit responsable », explique posément un des principaux stratèges caquistes lors d’un entretien avec Le Devoir au restaurant Le Louis-Hébert à Québec. L’établissement de la Grande Allée est à la hauteur de sa réputation. À l’arrière, un ministre déjeune avec des hommes vêtus de complets sombres. À l’avant, un sous-ministre et un haut fonctionnaire de la Ville chuchotent comme s’ils souhaitaient attirer ainsi l’attention. « C’est un beau projet », dit l’un d’eux, avant d’ajouter : « Ce n’est pas moi qui t’ai montré ça. »
Le pouvoir que se sont échangé le Parti libéral du Québec et le Parti québécois au fil des 50 dernières années semble maintenant à portée de main pour la CAQ. Pour preuve, les hôtesses du Louis-Hébert accueillent désormais avec plus d’égards les membres du personnel politique du deuxième groupe d’opposition à l’Assemblée nationale, fait remarquer un attaché politique caquiste, sourire en coin.
Même si la Coalition avenir Québec caracole en tête des sondages depuis l’automne dernier, son chef François Legault répète à la presse: « Je ne tiens rien pour acquis ». À micro fermé, sa garde rapprochée se fait tout aussi prudente.
Pour opérer ce changement «responsable », la CAQ met en sourdine ses propositions controversées — sur la réduction de la taille de l’État ou encore le statut de la SAQ ou celui des cégeps, « une maudite belle place pour apprendre à fumer de la drogue et puis à décrocher », par exemple — pour gagner la confiance du plus grand nombre d’électeurs.
Le programme de la CAQ est aujourd’hui « en phase » avec la population québécoise (ou vice-versa), fait valoir le président du parti, Stéphane Le Bouyonnec. La CAQ partage les « consensus québécois », ajoute l’ex-député de La Prairie, tout en rappelant que les élus caquistes ont voté pour la création d’un registre québécois des armes à feu. « Si on était un parti de droite, on aurait été contre ça. On se considère comme des pragmatiques. »
« On est dans la variation “centre droit, centre, centre droit” », souligne le professeur de philosophie et de science politique Danic Parenteau. « L’ADQ s’est formée autour d’une volonté nationaliste assez clairement affirmée. À la suite du référendum, elle va davantage aller puiser [dans le répertoire] libertarien, donc la réduction de la taille de l’État. » Son confrère de l’Université d’Alberta, Frédéric Boily, abonde dans le même sens : « Le discours anti-étatiste est encore là [à la CAQ], mais il n’a pas la même présence. »
La CAQ a appris des leçons de l’ADQ, avec qui elle a fusionné en 2012, mentionne M. Le Bouyonnec sans détour. L’ex-péquiste, bloquiste et adéquiste garde en mémoire l’« approche doctrinaire » adoptée par l’équipe de Mario Dumont en 2003. « C’était hallucinant. Elle se résumait à dire : “On va épargner tant d’argent ; on va supprimer tant de postes”. » Les syndicats étaient montés au front. Ils ont concentré leurs tirs sur l’ADQ. « Ça avait fait mal. »
Aujourd’hui, la CAQ aborde l’enjeu de la taille et du rôle de l’État d’« une autre manière », admet M. Le Bouyonnec, qui dirige le comité chargé de la rédaction de la plateforme électorale. « On est capables, avec des ressources similaires, de faire mieux. C’est une question de culture. »
D’ailleurs, le discours du parti a été expurgé d’expressions diverses sur la « lourdeur » et l’« inefficacité » du secteur public, a constaté Le Devoir après avoir passé au crible des allocutions prononcées par M. Legault depuis son retour en politique en 2011. Le ministre Gaétan Barrette, qui a porté les couleurs de la CAQ en 2012, s’est montré amusé par ce changement de ton. « Nous avons diminué la bureaucratie d’une façon substantielle. Et je me souviens, dans le passé, que c’était un des chevaux de bataille de la CAQ. Comment se fait-il qu’on me [le] reproche aujourd’hui encore ? » a-t-il répondu à une question de la CAQ en Chambre jeudi.
La CAQ fera campagne sur « 3, 4 idées fortes » à première vue consensuelles, comme l’« importance des familles », dont elle veut être la championne.
Les propositions pour renforcer la laïcité de l’État québécois ne seront quant à elles pas mises en avant. « On ne fera rien pour alimenter [le débat identitaire] », indique un stratège.
Depuis le rendez-vous électoral de 2014, des « modulations » ont été apportées au programme de la CAQ, mais aucune « modification importante », note M. Le Bouyonnec. « Mais, parfois, on se ravale », admet-il. Un exemple : la taxation scolaire. La CAQ préconisera un taux uniforme à la grandeur du Québec en 2018, après avoir promis son abolition pure et simple en 2014.
Brandissant son « nouveau projet pour les nationalistes du Québec », François Legault dit vouloir sonner le glas du « temps des divisions » entre souverainistes et fédéralistes. « C’est intéressant, parce que c’est en ligne directe avec Duplessis », constate Jonathan Livernois, professeur à l’Université Laval. S’il n’évoque guère la mémoire du « Cheuf », M. Legault réclame lui aussi son « butin » du fédéral avec ses « demandes à la pièce » faites à Ottawa.
« C’est un nationalisme suffisamment revendicateur pour ramasser pas mal d’électeurs sans jamais aller au bout d’un certain nationalisme qui deviendrait indépendantiste », explique l’auteur. Au fil des quatre dernières années, « la CAQ s’est définie là où elle l’était le moins. Le nationalisme, c’est ce qui manquait au programme », estime le professeur de sciences politiques à l'Université Laval Éric Montigny.
Néanmoins, un « grand flou » persiste dans le programme de la CAQ, observe M. Parenteau. Par exemple, le parti se dit favorable à une présence accrue du privé dans le secteur de la santé… tant et aussi longtemps que la carte d’assurance-maladie couvre les soins. « [D’ailleurs, les promesses controversées], on n’en parle plus, mais elles sont toujours là », poursuit M. Parenteau. La question à poser, selon lui, est la suivante : « La CAQ y croit-elle encore ? »
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