Du cannabis au rabais chez les autochtones

L'exemption de taxes pourrait permettre aux communautés autochtones qui souhaitent vendre de la marijuana récréative de le faire à un prix qui s’en trouverait réduit de 15% au Québec.
Photo: iStock L'exemption de taxes pourrait permettre aux communautés autochtones qui souhaitent vendre de la marijuana récréative de le faire à un prix qui s’en trouverait réduit de 15% au Québec.

Les communautés autochtones du Québec pourront vendre de la marijuana à prix réduit, sans TPS ni TVQ, quand la substance sera légale l’an prochain.

Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne


S’ils concluent des ententes en ce sens, les conseils de bande autochtones pourront commercialiser le cannabis « comme ils veulent, où ils veulent, au prix qu’ils veulent », a confirmé la ministre Lucie Charlebois au Devoir.

Seuls l’âge légal de consommation et la méthode d’approvisionnement, par le biais de la Société québécoise du cannabis (SQC), devront être conformes à ce qui se fait partout au Québec, a aussi avancé la ministre, dont les prétentions ont ensuite été contestées par des autochtones avec lesquels Le Devoir a discuté.

Le projet de loi québécois encadrant la légalisation du cannabis confère au gouvernement « le pouvoir de conclure des ententes avec les communautés autochtones pour adapter à leurs réalités particulières toute matière visée par cette loi ».

En vertu de ces accords, le prix de vente de la marijuana — que Québec souhaite fixer à 7 à 10 $ le gramme — pourrait être différent dans les réserves autochtones qu’ailleurs sur le territoire québécois.

Et ce prix pourrait se trouver encore plus diminué par l’exemption de taxes, qui prévaut pour les Indiens inscrits qui font l’acquisition de biens dans une réserve ou qui font livrer des biens sur ce type de territoire. « Le même traitement [des taxes] s’appliquerait au cannabis dans le cadre du régime proposé », confirme Jocelyn Sweet, de Finance Canada.

Cette seule exemption de taxes pourrait permettre aux communautés autochtones qui souhaitent vendre de la marijuana récréative de le faire à un prix qui s’en trouverait réduit de 15 % au Québec.

Une taxe d’accise ?

Mais la baisse de prix pourrait bien s’arrêter là, car Ottawa compte exiger des conseils de bande autochtones qu’ils imposent la taxe d’accise de 10 % sur le cannabis. « L’exemption prévue par la Loi sur les Indiens ne s’applique pas aux droits d’accise fédéraux », avance Jocelyn Sweet.

Jusqu’ici, Ottawa a dit avoir l’intention de faire un partage en parts égales, avec les provinces, des recettes de la taxe d’accise. Or le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, prévient que les communautés impliquées dans la production et la vente de cannabis voudront sans doute toucher leur part des recettes. « À mon humble avis, si ça se rend jusque-là, c’est très clair que des Premières Nations vont demander à obtenir leur part du revenu sans être obligées de passer par les juridictions provinciales », dit-il.

Autre point d’achoppement possible : l’obligation de faire affaire avec la SQC, telle que la présente la ministre Charlebois. « Je ne suis pas sûr que les communautés accepteraient de se plier à ça, admet Ghislain Picard. À mon sens, s’il y a une question qui est très, très claire, c’est qu’il y a des communautés — et ce n’est pas toutes les communautés — qui disent : nous avons entière compétence, autant en ce qui a trait à la réglementation qu’à la production et la distribution. »

De l’intérêt pour la production

Le chef Picard se dit aussi convaincu que des communautés s’intéressent à la production et à la vente de marijuana récréative, malgré leurs nombreuses inquiétudes pour la santé et la sécurité de leurs membres.

Déjà, elles sont courtisées pour produire de la marijuana médicale sur leurs terres. Le conseil de bande de Kanesatake a ainsi approuvé mardi un projet de production de cannabis médical, qui doit se faire en partenariat avec une entreprise américaine, confirme le grand chef Serge Otsi Simon.

La communauté enclavée dans la ville d’Oka, dans les Laurentides, n’est pas prête à se lancer dans la production de marijuana récréative pour autant. « Je suis très réticent à ça », dit le chef Simon. Mais si cette possibilité se concrétise, le gouvernement local s’assurera d’exercer le plus grand contrôle possible. « J’aimerais mieux qu’on ait notre propre politique, qu’on puisse ouvrir nos propres centres de distribution, souhaite Serge Otsi Simon. On est sur un territoire mohawk, on voudrait avoir le contrôle. »

En septembre, le chef régional de l’Ontario à l’Assemblée nationale des Premières Nations (APN), Isadore Day, a servi un avertissement semblable aux élus fédéraux. Il a alors exigé que les communautés obtiennent l’unique et dernier mot sur les balises de la légalisation sur leurs terres, sous peine de contestations judiciaires.

Deux mois plus tard, l’APN a adopté une résolution enjoignant au gouvernement du Canada d’inclure des incitatifs et d’organiser ses priorités de manière à ce que les autochtones puissent profiter du « secteur économique émergent » que constitue la production de marijuana médicale et récréative. Ses chefs, qui ont produit en octobre un bulletin contenant une quinzaine de questions sur la légalisation de la marijuana, doivent se réunir pour discuter de la question en décembre, à Ottawa.

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