Un million comme un «plaster» pour les ressources d’aide

Les dénonciations publiques de violences sexuelles encouragent davantage de personnes à se tourner vers des ressources d’aide, sauf que ces dernières ont aussi des doléances : elles se disent à bout de souffle, de ressources et de financement.
Au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) Trêve pour elles, à Montréal, cinq intervenantes se sont partagé un total de 609 interventions l’an dernier. Au centre Mouvement contre le viol et l’inceste, la liste d’attente est de deux ans. Chez Viol-Secours, à Québec, les demandes pour des trousses médico-légales ont augmenté de 50 % en un an. Dans l’ensemble du regroupement des CALACS, aucun nouveau financement n’a été accordé depuis l’année 2006-2007.
Dans ce contexte, le million de dollars en aide annoncé jeudi par Québec est perçu comme « un plaster », a résumé Isabel Fortin, de Trêve pour elles. « C’est un baume. […] Ça ne réglera pas la liste d’attente [de trois mois] », dit aussi la directrice de Viol-Secours, Julie Tremblay.
« On va évaluer où seront les demandes et ensuite on va déployer les sommes », a annoncé la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, en se gardant d’estimer le nombre d’organismes qui pourraient recevoir de l’aide. Elle s’est dite ouverte à une « réévaluation » de cette aide, si la hausse de demandes d’aide anticipée par Québec est « permanente et significative ».
Un manque à gagner de cinq millions
Dans son Portrait critique de l’état des services offerts aux femmes victimes de violence sexuelle, le Regroupement québécois des CALACS estimait en 2014 que le manque à gagner dans les 39 ressources de types CALACS était de cinq millions. Or, le million octroyé jeudi concerne aussi d’autres ressources, a rappelé la porte-parole du regroupement, Stéphanie Tremblay. Si elles sont une cinquantaine, ces ressources recevront donc 20 000 $ chacune.
« C’est un montant d’argent qui est bienvenu », convient la directrice générale du Regroupement des intervenants en matière d’intervention sexuelle, Stéphanie Leduc. « Mais le problème qu’on peut soulever, c’est la non-récurrence », ajoute-t-elle. « Si on engage quelqu’un, ça va répondre à l’urgence, accorde aussi Isabel Fortin. Mais si le financement n’est pas récurrent, ça ne pourra pas être maintenu dans le temps. »
Nadia Juracovschi, intervenante au CALACS Mouvement contre le viol et l’inceste, évoque un décalage entre le discours pro-dénonciation et la disponibilité des ressources. « C’est très bien que les femmes soient encouragées, qu’elles trouvent cette force, mais d’un autre côté, nos possibilités sont restées très limitées », fait-elle remarquer.
« Ça va permettre d’absorber le coût de la hausse des derniers jours, mais ça n’aidera pas le problème complet des derniers mois, des dernières années. On a un manque flagrant de financement », s’inquiète Julie Tremblay.
Hausse des demandes d’aide
Dans la foulée des révélations concernant les producteurs Éric Salvail et Gilbert Rozon, l’ensemble de la classe politique a loué le courage de ceux et celles qui ont brisé le silence. La ministre de la Condition féminine, Hélène David, a salué « un changement de culture ». « On anticipe une hausse des signalements », a affirmé Lucie Charlebois.
Cette hausse, les travailleuses de ressources d’aide aux victimes et aux agresseurs sexuels la prévoient aussi. Elles la sentent même déjà, depuis la vague d’agressions sexuelles à l’Université Laval, le mouvement Agression non dénoncée ou les allégations d’agression sexuelle visant le député Gerry Sklavounos. Dans les six derniers mois, Trêve pour elles a organisé autant de rencontres d’urgence qu’en 12 mois dans les années précédentes. Au RQCALACS, « on a donné le double d’ateliers qu’on a l’habitude de donner dans les universités l’an dernier », affirme Stéphanie Tremblay. Au Mouvement contre le viol et l’inceste, les demandes de femmes immigrantes se sont multipliées. Mais les femmes, remarque Isabel Fortin, attendent aussi moins longtemps avant de demander de l’aide. En 2011-2012, 12 % d’entre elles l’ont fait dans les cinq années suivant l’agression. L’an dernier, ce pourcentage a grimpé à 26 %.
Le problème, constate Julie Tremblay, c’est que ces demandes d’aide ont moins de chances de se concrétiser en un réel suivi si les listes d’attente ne diminuent pas. « Après trois mois [d’attente], une partie des victimes, entre 40 et 45 %, ne viennent plus consulter », dit-elle. « Entre le 1er avril et le 30 septembre, une centaine de femmes ne sont pas venues. Le momentum est passé, elles sont passées à autre chose, ou elles sont retournées dans le silence. »