Pauline Marois et l'attentat du Métropolis, cinq ans plus tard

Pauline Marois a été évacuée par ses gardes du corps après que des coups de feu eurent été tirés par Richard Bain à l’extérieur du Métropolis, le soir des élections générales du 5 septembre 2012.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Pauline Marois a été évacuée par ses gardes du corps après que des coups de feu eurent été tirés par Richard Bain à l’extérieur du Métropolis, le soir des élections générales du 5 septembre 2012.

La Presse canadienne s’est entretenue avec Pauline Marois cinq ans après son élection comme première ministre du Québec et après l’attentat perpétré au Métropolis.

Pouvez-vous revenir sur cette soirée ? Comment vous avez vécu ça ?

J’y reviens toujours avec un petit peu de douleur quand je pense à ça. On m’invite à participer à des émissions, et je ne veux pas le faire, je ne veux pas revivre tout ça, honnêtement. J’ai vécu ça très sereinement, étonnamment. Parce que je me suis sentie comme responsable du fait que je devais calmer le jeu, pendant que ça s’est passé et après. D’ailleurs, il y a beaucoup de personnes politiques qui auraient profité de cet événement pour apparaître comme des victimes — ce que j’étais. Dave Courage et (Denis) Blanchette l’étaient pas mal plus que moi parce que l’un est mort et l’autre a malheureusement subi des blessures très graves, mais je ne voulais pas m’appesantir sur cette triste aventure.

Je n’ai pas voulu utiliser cet événement pour en faire un cas d’attentat politique, mais je dois vous dire que j’ai été particulièrement satisfaite du jugement qui a été posé par les tribunaux, par le juge qui a reconnu qu’il y avait là une atteinte à la démocratie. Et ça, ça a comme pansé mes blessures, je crois que c’est comme ça qu’il faut le voir. Je ne voulais pas exacerber les tensions avec la communauté anglophone, j’ai toujours été très accueillante, très ouverte, très respectueuse des droits des Anglo-Québécois, donc je ne voulais pas intervenir sur cet angle-là.

On a parlé à Yves Desgagnés (l’animateur de la soirée) et il disait être très surpris de vous revenir sur la scène après l’avoir quittée brusquement… Vous, vous étiez à l’aise avec ça ?

Pour moi, c’était très important. Il faut vous dire que j’avais vu dans les coulisses de la fumée qui entrait dans la salle, dans les coulisses, derrière la scène. Ma préoccupation, ça a été : s’il faut que les gens voient qu’il y a de la fumée, ils vont peut-être paniquer. Et la salle était remplie. Remplie est un mot petit, il y avait du monde partout. On sait que dans des foules, quand il y a un mouvement, sans qu’il y ait même d’incendie, les gens s’écrasent, les gens se bousculent. C’est une salle avec des gradins, etc.

Je n’ai même pas pensé que je pouvais être en danger, que mon intégrité physique pouvait être mise à risque. Absolument pas. La seule chose à laquelle je pensais, c’était : il ne faut pas que les gens paniquent, ça va être terrible.

Est-ce que vous avez ressenti de la peur après l’événement ?

Je n’ai jamais ressenti de la peur. C’est peut-être incroyable de dire ça, mais j’ai ressenti de la peine, de la douleur pour les gens qui avaient été… J’ai appris par la suite — parce que je ne l’ai pas su sur le moment — qu’il y avait quelqu’un de blessé à mort, qu’un autre était sérieusement blessé. Et d’ailleurs, il va en subir les conséquences […] J’en suis très triste parce qu’il a payé pour moi, cet homme-là, on s’entend. Donc, c’est plus de la douleur que j’ai ressentie. Un peu d’indignation aussi qu’on attaque des gens dans un moment de grand bonheur, un moment aussi où la démocratie a parlé. Pour moi, c’est plus cette attitude-là que j’ai eue.

Pensez-vous que cet événement-là a eu des répercussions sur vos premiers mois au pouvoir ?

Non, parce que je ne l’ai pas voulu. Je n’ai pas voulu m’appesantir sur cet événement-là. J’ai tourné la page, je me suis dit que ça relevait maintenant de la justice, et moi, j’avais un sentiment d’urgence au lendemain de l’élection. Nous avons été élus dans un contexte de gouvernement minoritaire. Il fallait agir le plus rapidement possible, alors je me suis mise au travail et cet événement était derrière moi.

Ce soir-là, vous êtes devenue la première femme première ministre. Est-ce que vous aviez cette ambition depuis longtemps ?

C’est drôle, mais les gens ont toujours dit : elle rêvait d’être première ministre depuis si longtemps. En fait, j’ai commencé à y penser autour des années 1985, lorsque M. Lévesque est parti et que je me suis présentée [pour le remplacer].

Mais je ne suis pas venue en politique avec cette idée-là, au contraire. Ce n’est pas un rêve que j’ai eu pendant 40 ans de ma vie. Mais quand je suis revenue au parti avec M. [Jacques] Parizeau, lorsque Pierre Marc Johnson est parti, j’ai recommencé à y penser.

Encore là, je ne me sentais pas suffisamment prête. C’est plutôt dans les dernières décennies que cette idée a germé.

Comme première ministre, être une femme, est-ce que ça vous a nui, aidée, ou ça n’a pas joué ?

C’est difficile pour moi de répondre à cette question-là. Des fois, je me dis : ça a nui parce qu’on nous regarde toujours sous un angle particulier. Quand j’étais chef du parti, entre autres, chaque événement qu’il y avait dans le parti était comme un défi, comme une course à obstacles : est-ce qu’elle va passer au travers ? Est-ce qu’elle va réussir ? J’avais l’impression qu’on m’en demandait plus à moi. Quand j’ai été élue, il y avait encore probablement un peu de réticence dans une certaine catégorie de la population à élire une femme.

Il y a probablement eu un impact au moment de l’élection de 2012. J’ai eu beaucoup d’appui des femmes, on le sait par les résultats qu’on est allés analyser par la suite. Mais par contre, il y a des femmes et des hommes qui, eux, étaient plus critiques et plus sceptiques. Est-ce que ça a joué pour trois ou quatre pour cent ? Je ne sais pas. Bon, maintenant, une fois élue, moi, je me suis comportée en fonction de ce que je croyais, je n’ai pas essayé de me transformer.

Est-ce que vous avez senti, quand vous étiez chef, quand vous étiez première ministre que, par exemple, on parlait plus de votre apparence… ?

Ça, c’est l’histoire de ma vie ! (rires) Mais j’ai fini par faire abstraction de ça, parce que je n’en pouvais plus, de me faire parler de mes bijoux, de mes foulards. Un moment donné, j’ai réglé ça, je suis revenue à des choses très sobres, qui ne démarquaient pas : le noir, le gris, le bleu, le brun ; je ne sortais pas trop de ces gammes-là. Les bijoux ont rapetissé.

Quand une femme ne se maquille pas, elle a l’air plus fatiguée. Un homme, même quand c’est fatigué, on va lui dire qu’il a trop travaillé ; nous, c’est peut-être parce qu’on n’est pas capable de supporter la tâche. Je les connais toutes, ces réactions-là, mais j’ai décidé d’en faire abstraction. Parce que je ne voulais pas que ça m’empêche de faire ce que je voulais, d’être moi-même, d’aller au bout des projets auxquels je croyais.

Est-ce que vous vous ennuyez de la politique ?

Non. (Rires.) Honnêtement, je m’ennuie de faire avancer des choses et, quand je vois comment agit le gouvernement actuel, ça me désespère à peu près tous les matins. Je joue à la gérante d’estrade dans mon salon, je trouve ça décourageant, le gouvernement n’a aucune vision. Une chance inouïe que l’économie aille bien !

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