Revers et gains juridiques liés à la Charte

La Cour suprême du Canada, en 1994
Photo: David Holt / CC La Cour suprême du Canada, en 1994

L’une des lois les plus importantes de l’histoire du Québec fut aussi l’une des plus contestées.

Tribunaux

Les articles 7, 8 et 11 de la loi adoptée en 1977 faisaient du français la langue de la législation et de la justice au Québec et forçaient la rédaction des projets de loi et la tenue des procès en français.

Sans surprise, cela fut immédiatement contesté en vertu de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui dit que les lois de la législature de Québec « devront être imprimées et publiées dans ces deux langues ».

La Cour suprême invalide ces articles par l’arrêt Blaikie (1979 et 1981). La loi 86, adoptée en 1993 par le gouvernement Bourassa, établit maintenant clairement que les projets de loi sont imprimés, publiés, adoptés et sanctionnés en français et en anglais, et que n’importe qui peut employer le français ou l’anglais devant les tribunaux.

Éducation

 

1. Accès à l’école anglaise

Dans la version originale de la Charte, l’article 72 stipulait que l’enseignement se donne en français jusqu’au cégep, aussi bien dans le réseau public que dans les établissements privés subventionnés. L’article 73 réservait pour sa part l’enseignement en anglais aux enfants dont le père ou la mère a reçu au Québec l’enseignement primaire en anglais (la clause Québec).

Jusqu’à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, le Québec détenait une compétence exclusive en matière d’enseignement. Les dispositions 77 et 78 n’ont donc pas pu être contestées avant 1982… et elles le furent immédiatement. En 1984, la Cour suprême jugea ainsi que la clause Québec était inconstitutionnelle.

La loi 86 établit en 1993 que, pour recevoir l’enseignement en anglais, un enfant doit avoir un parent (ou ses frères et soeurs, le cas échéant) qui a reçu la majeure partie de son enseignement primaire en anglais au Canada.

Cela fut contesté par des parents anglophones et francophones : les premiers parce que la condition de la « majeure partie » restreindrait l’article 23 de la Charte canadienne. Les seconds parce que les enfants de parents francophones ou allophones sont privés du droit de choisir l’école de l’angle anglaise.

La Cour suprême a tranché ce débat en 2005. Le critère de la « majeure partie » est jugé constitutionnel, mais la Cour énonce une série de critères pour déterminer qualitativement ce que représente cette majeure partie. Les parents francophones et allophones perdent quant à eux leur combat.

2. Écoles passerelles

 

La décennie des années 2000 a vu surgir un débat autour des « écoles passerelles ». Une échappatoire dans la loi 101 permettait à des parents de contourner l’obligation d’envoyer leurs enfants à l’école en français. Il suffisait de faire faire à l’enfant sa première année dans une école anglaise non subventionnée. Cette année devenait la « majeure partie » de son parcours scolaire, et l’enfant pouvait ensuite intégrer le réseau de l’école anglaise subventionné.

En 2002, le gouvernement Landry tente de colmater cette brèche par le projet de loi 104. Son article 3 disait que l’enseignement en anglais reçu au Québec dans un établissement privé non subventionné ne comptait pas dans le calcul. La Cour d’appel du Québec a invalidé cet article en 2007, et la Cour suprême est allée dans le même sens en 2009.

En réponse, le gouvernement Charest a fait adopter en 2010 le projet de loi 115, qui légalise l’accès aux écoles passerelles, mais impose toutefois des balises plus sévères : pour avoir accès au réseau anglophone public, un enfant doit avoir fréquenté l’école privée non subventionnée de langue anglaise pendant au moins trois ans. De plus, des fonctionnaires doivent valider l’authenticité de son parcours scolaire.

Affichage public

 

La règle de l’affichage public uniquement en français sera contestée devant les tribunaux au nom de la liberté d’expression et du droit à l’égalité des articles 2 et 15 de la Charte canadienne des droits de la personne. Dans l’arrêt Ford, datant de 1988, la Cour suprême déclare que l’unilinguisme français de l’affichage et de la publicité est contraire à la liberté d’expression et au droit à l’égalité garantis par la Charte des droits et libertés.

La Cour écrit par contre que le législateur québécois serait en droit d’exiger la « nette prédominance du français ». À la fin de la même année, le gouvernement Bourassa adopte la loi 178, qui permet l’affichage dans une autre langue que le français… mais seulement à l’intérieur des établissements. Québec se prévaut aussi de la clause dérogatoire prévue dans la Charte canadienne, ce qui bloque de facto toute contestation juridique de cette loi pendant cinq ans.

En 1993, Bourassa modifie de nouveau la loi 101 par la loi 86, qui permet l’affichage dans une autre langue que le français, pourvu que le français soit prédominant. La question de la « nette prédominance » a par la suite été contestée, mais sans succès.

Source principale : L’embarras des langues, Éditions Québec Amérique, 2007



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