La revanche de Camille Laurin

Il est d’abord évidemment connu comme le « père » de la loi 101. Mais au-delà de la protection de la langue parlée par une forte majorité de Québécois, Camille Laurin a surtout voulu, avec son ambitieuse Charte de la langue française, ouvrir la voie à la « libération » des citoyens de cette province, première étape en vue de l’indépendance du Québec.
« Il y a un aspect très important dans la vision de Camille Laurin. Il voyait cette loi comme un instrument de libération sociale et économique des Québécois. Pour lui, cette idée de “libération collective” était un aspect majeur », souligne Jean-Claude Picard, auteur de la biographie du Dr Laurin, L’homme debout.
« Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, dans les années 1970. Les Québécois étaient au bas de l’échelle des salaires. Ils étaient au bas de l’échelle dans la prise de décisions. Les anglophones, eux, dominaient complètement l’univers économique du Québec », rappelle cet ancien correspondant parlementaire du Devoir.
Camille Laurin, né en 1922, a lui-même grandi dans ce Québec dominé par le patronat anglophone. « À Charlemagne, où il est né, le principal employeur était une scierie contrôlée par les anglophones. Il a donc connu la domination anglophone. À la fin de sa vie, il a d’ailleurs dit qu’avec la loi 101, il avait pris sa revanche sur les patrons anglophones de son village. »
Diplômé en médecine à l’Université de Montréal, Camille Laurin s’est spécialisé en psychiatrie à Boston et à Paris, où il a pratiqué quelques années. Jean-Claude Picard, qui a consacré cinq ans de recherches et d’écriture à M. Laurin, insiste sur l’importance de sa carrière de médecin pour comprendre ce qui animait le politicien. « Avec sa vision de psychiatre, il avait retenu l’idée que les Québécois étaient des gens qui n’étaient pas complètement réalisés, en raison de leur insécurité et en raison du fait qu’ils ne contrôlaient pas les leviers de l’économie. Pour lui, la loi 101 était donc une sorte de revanche des plaines d’Abraham. »
Québec inc.
Pour M. Picard, il ne fait aucun doute que le « père » de la loi 101 a joué un rôle majeur dans l’émergence du secteur d’affaires francophone. « Le père spirituel du Québec inc., c’est Camille Laurin. Il ne voyait pas seulement la question linguistique en soi. Pour lui, la langue était d’abord un outil, pour faire en sorte que les Québécois francophones prennent le contrôle de leur territoire, qui deviendrait par la suite un pays. »
S’il voulait donc donner davantage de pouvoirs aux Québécois francophones, Camille Laurin n’en nourrissait pas pour autant d’animosité envers les citoyens anglophones, selon Jean-Claude Picard. « Il comprenait leur réaction et leurs frustrations, mais aussi le fait que la loi 101 leur enlevait possiblement des droits acquis. » Cependant, ajoute-t-il, « il en avait contre les francophones du milieu des affaires qui prenaient le parti des anglophones. Ça l’enrageait. Il les a traités publiquement de colonisés ».
Un homme déterminé
C’était aussi un homme têtu, reconnaît-on sans détour, littéralement surnommé « tête dure » par ses pairs. « C’était un homme qui écoutait son interlocuteur, sans pour autant être d’accord. Un homme patient, qui pouvait écouter pendant des heures, mais qui n’en a fait qu’à sa tête sur les points essentiels », constate celui qui a suivi les débats parlementaires au cours du premier mandat du Parti québécois. « Il était déterminé. Il avait un objectif et il n’en déviait pas. Il était prêt à faire des compromis, mais pas sur l’essentiel des choses. Le texte final de la loi 101 ne contient aucun compromis majeur par rapport au projet de loi initial. »
Le Dr Laurin a toutefois biffé quelques éléments « plus sévères » inscrits dans la première version du projet de loi, notamment la référence au fait que le français devait devenir la « seule » langue officielle du Québec. Mais globalement, rappelle M. Picard, il est allé nettement plus loin que le mandat confié au départ par René Lévesque, soit de corriger certaines lacunes de la loi 22.
« Ce qui différenciait les deux hommes, c’est que M. Lévesque croyait que la véritable solution au problème de la langue, c’était l’indépendance, et qu’il n’y aurait alors plus de nécessité de légiférer sur la question du français. Tandis que Laurin croyait en l’importance de légiférer. Il voyait cela comme une étape vers l’indépendance. »
Souverainiste convaincu
Camille Laurin a adhéré à l’idée de faire du Québec un pays souverain dès la fondation du Parti québécois, en 1968. Il est alors élu président de l’exécutif, avant d’être élu en 1970 et de devenir le premier leader parlementaire du parti. « C’était le plus brillant de la gang, au point de vue intellectuel. C’était un intellectuel qui pouvait discourir sur tout, qui était très cultivé. Il était très apprécié de son groupe et il a joué un rôle très important », résume M. Picard.
Il n’en reste pas moins que certains ont affirmé, après l’adoption de la loi 101, que cette législation, en « rassurant » les Québécois sur la possibilité de vivre en français au sein du Canada, avait mis un terme au projet de souveraineté. Comment réagissait son instigateur à une telle affirmation ? « Ça le laissait assez indifférent. Ce sont principalement les anglophones qui ont soutenu que cette loi allait contrer l’indépendance. Camille Laurin voyait plutôt la loi comme une marche vers l’indépendance. »
Et avec le recul, lors de ses rencontres avec Jean-Claude Picard, « il a dit qu’il était fier de cet outil, qui a été son “grand projet” malgré les reculs par la suite, en raison des décisions des tribunaux. Il n’était pas amer du tout ».