«Vindicative… vengeresse, envahissante et insultante»

En 1958, Maurice Richard et Jean Béliveau partageaient la victoire de la Coupe Stanley. Une vingtaine d’années plus tard, leurs opinions à propos de la Charte de la langue française les ont divisés.
Photo: La Presse canadienne En 1958, Maurice Richard et Jean Béliveau partageaient la victoire de la Coupe Stanley. Une vingtaine d’années plus tard, leurs opinions à propos de la Charte de la langue française les ont divisés.

Après sa première victoire au Conseil des ministres, Camille Laurin dévoile le Livre blanc La Politique québécoise de la langue française, le 1er avril, et dépose à l’Assemblée nationale le projet de Loi sur la Charte de la langue française le 27 avril. Les anglophones sont outrés. Pour cause, « [ils] vont disparaître », fait valoir le président de la CECM, Luc Larivée à The Gazette. Il pourrait s’agir d’« une première étape vers une forme de gouvernement totalitaire », met en garde le numéro un de la chambre de commerce, Bernard Finestone.

Dans un éditorial coiffé du titre « Un dangereux carcan », le directeur du Devoir, Claude Ryan, accuse pour sa part le gouvernement péquiste d’être « aveuglé par un nationalisme étroit et chauvin ». À quelques mois de son saut dans la course à la chefferie du Parti libéral du Québec, il dénonce avec force la « manière raide, dogmatique, jalouse et autoritaire dont [l’équipe de René Lévesque] prétend imposer l’usage exclusif du français » au Québec. « [J]e devais admettre que nous […] méritions bien un peu [cette] volée de bois vert », convient M. Lévesque dans ses Mémoires avant d’ajouter : « Le projet fut donc retiré, purgé de quelques passages d’un autoritarisme excessif. »

Pugnace, Camille Laurin défend son projet de loi sur toutes les tribunes, y compris celle du Canadian Club, où il s’adresse à son auditoire montréalais en anglais. « Parce que, si j’avais parlé français, vous n’auriez rien compris », laisse-t-il tomber dans un déjeuner-causerie dans la grande salle de l’hôtel Windsor. Le ton est donné.

Le premier ministre, lui, demeure en retrait. « J’ai accepté la version présentée en projet de loi, je ne suis pas marié avec », lâche René Lévesque dans une entrevue publiée dans Le Jour le 27 mai. Alors, 326 personnalités prennent au mot M. Lévesque, le pressant d’abandonner son approche coercitive dans une pétition datée du 5 juin. Le groupe des 326 — dont font partie les grands patrons de Bombardier, Laurent Beaudoin, et de Bell Canada, Jean de Granpré, sans oublier l’ex-capitaine auréolé du Tricolore Jean Béliveau — réussit à entamer la patience de Camille Laurin, qui paraissait jusqu’à ce moment à toute épreuve. « Cela ne m’étonne pas venant de cet establishment politique et économique qui est inféodé à l’establishment anglophone », déclare-t-il à la presse.

Néanmoins, les réticences auxquelles s’est heurtée la première version du projet de loi 1 s’estompent, si bien que l’Assemblée nationale amorce son examen de la Charte au lendemain de la publication de sondages favorables et d’une pétition signée par 160 personnalités l’appuyant, dont Maurice « Rocket » Richard et Félix Leclerc.

De loi 1 à loi 101

Après cinq semaines de consultations dans le Salon rouge, le gouvernement laisse tomber le projet de loi 1… pour déposer le 12 juillet le projet de loi 101 dans un chahut monstre. Une quarantaine d’amendements différencient les deux projets de loi. Les sanctions économiques prévues contre les entreprises refusant de se franciser passent à la trappe. Les droits des autochtones, ainsi que la possibilité pour les Canadiens d’envoyer leurs enfants dans une école anglaise au Québec si leur province conclut un accord de réciprocité avec le Québec sont inscrits noir sur blanc.

Pragmatique, René Lévesque se range derrière M. Laurin, avec qui il a noué une « relation particulière ». « René Lévesque avait un tout petit peu peur de Camille Laurin. Il était impressionné par quelqu’un comme lui d’intellectuellement, très, très fort, qu’il est difficile de faire bouger », à l’instar de Jacques Parizeau, explique l’auteure de l’ouvrage Derrière les portes closes – René Lévesque et l’exercice du pouvoir (1976-1985), Martine Tremblay. « Il a compris que ses propres réticences n’allaient pas suffire pour empêcher le train de continuer son chemin. »

Avec 54 voix pour et 32 contre, la loi 101 est adoptée le 26 août 1977. « C’est peut-être le début d’un temps nouveau. J’espère que ce n’est pas le début d’un temps d’intolérance et d’injustice », déclare le chef intérimaire libéral, Gérard D. Lévesque, après avoir qualifié le projet de loi d’« inutile », d’« excessif », d’« hypocrite », de « séparatiste », de « possiblement anticonstitutionnel » et « comportant sans doute des coûts incalculables sur le plan économique et sur le plan social ».



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