Le politique se mêle des demandes d’accès à l’information

Il n’y a « pas de mur » entre les responsables de l’accès à l’information des organismes publics du Québec et les cabinets politiques, a admis mercredi le président de la Commission d’accès à l’information (CAI) du Québec, Jean Chartier.
« On ne peut pas faire abstraction de la volonté politique, selon nous. On ne peut pas faire abstraction du caractère chaud d’un dossier politique quand une demande rentre », a-t-il affirmé lors d’une table éditoriale organisée dans les bureaux montréalais du Devoir.
À peine quelques minutes plus tôt, à Québec, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a affirmé le contraire. « Il n’y a aucune ingérence politique dans les demandes d’accès à l’information », a-t-elle attesté. Elle s’est dite « préoccupée » par un article du Journal du Québec qui laissait entendre que son cabinet aurait retenu certaines informations réclamées par le quotidien en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
Or, cette même loi ne prévoit aucune « séparation réelle » entre les responsables de l’accès à l’information et les acteurs politiques, a rappelé Jean Chartier. « La grande majorité des demandes, on n’en fera jamais état aux dirigeants », a-t-il commencé. « Maintenant, des dossiers plus hot, des dossiers plus politiques, que le responsable de l’accès aille en parler à ses principaux, moi, sérieusement, je n’y vois pas vraiment de problème », a-t-il ajouté. Par « principaux », il entendait « un directeur de département, un sous-ministre ou le ministre lui-même », a-t-il précisé.
Selon Jean Chartier, la manière la plus efficace d’assurer la saine gestion des demandes d’accès à l’information serait de réduire le pouvoir de discrétion accordé à leurs responsables dans les organismes publics. Il a aussi suggéré de renverser le fardeau de la preuve, de sorte qu’un « organisme public [doive] démontrer que la divulgation [d’un document] entraînerait un préjudice pour l’État ou pour la société d’État ».
En opposition avec le gouvernement
Ses propos ont néanmoins tranché avec ceux des élus du gouvernement, qui plaident depuis des mois que les responsables de l’accès à l’information font un travail exempt de toute pression politique. En mai, Stéphanie Vallée a dû réagir aux propos d’une employée du ministère de la Justice qui a déclaré devoir attendre l’approbation de la directrice du cabinet de la ministre avant d’envoyer une réponse à une demande d’accès à l’information. « Il n’y a aucune ingérence politique de la part de ma directrice de cabinet dans les demandes d’accès à l’information », s’est-elle alors défendue.
La ministre responsable de l’Accès à l’information, Rita de Santis, avait plutôt avancé que l’article 8 de la loi, qui prévoit que « la personne ayant la plus haute autorité au sein d’un organisme public » est responsable de l’accès à l’information, avait été mal interprété. « Dans la pratique, la fonction est déléguée, et c’est ça qui est fait par tous les ministres », avait-elle assuré au Salon bleu.
S’il a dit comprendre les inquiétudes des journalistes quant à l’ingérence politique dans l’accès à l’information, Jean Chartier a néanmoins affirmé qu’il pouvait « comprendre l’intérêt politique, parfois, de protéger des documents et des informations ». Selon lui, il serait « hypocrite » et « dangereux » de dresser un mur entre les élus et les responsables de l’accès aux documents publics. « Il faudrait aller faire des enquêtes dans un cabinet, sur les interventions possibles du monde politique dans le traitement des demandes d’accès. Je pense qu’on s’engage dans une chasse aux sorcières qui n’est pas pertinente », a-t-il plaidé.
La CAI, faut-il le souligner, souffre d’un manque de financement chronique et croule sous les demandes de révision concernant des refus de répondre à des demandes d’accès. Pas moins de 2500 dossiers sont actuellement en attente, et les délais moyens pour être entendu par ses juges administratifs sont de deux ans.
La transparence de Philippe Couillard
Pas moins de 35 ans après l’adoption de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics — qui n’a subi que des modifications mineures entre-temps —, Jean Chartier a aussi rappelé son impatience de voir le texte de loi modifié, car il est selon lui « rempli d’embûches qui ne lui permettent pas de remplir son rôle à l’heure actuelle ».
Au cours de la commission parlementaire lancée mercredi — et qui doit analyser le rapport quinquennal de la Commission d’accès à l’information paru en septembre 2016 —, il compte rappeler au premier ministre Philippe Couillard sa déclaration d’avril 2014, au lendemain de l’élection, dans laquelle il disait vouloir diriger « le gouvernement le plus transparent que les Québécois auront eu, avec une divulgation proactive de renseignements de toutes sortes ». « C’est important, ce n’est pas banal […] ce n’est pas nous qui lui avons mis les mots dans la bouche », a déclaré le président de la CAI, qui propose une courte liste d’avancées, comme la publication des agendas des ministres ainsi que de leurs dépenses. « Maintenant, tout reste à faire. Moi, je n’ai pas vu l’ombre d’un projet de loi pour modifier cette loi-là. Depuis 2006, il n’y a rien eu, à part les orientations gouvernementales de 2015 [par Jean-Marc Fournier, le ministre de l’époque], qui n’ont pas été suivies », a-t-il déploré.
Selon ce qu’on lui dit à Québec, le gouvernement aimerait bien que les choses avancent plus rapidement. « La ministre responsable [Rita de Santis] a des collègues au conseil des ministres, et l’accès à l’information, j’en tire une conclusion, ne semble pas être une “priorité priorisée”, passez-moi le pléonasme. Et ça nous désole. »
Jean Chartier a donné l’exemple de Terre-Neuve, qui a revampé sa loi sur l’accès à l’information et qui est maintenant la province canadienne la plus transparente selon le Center for Law and Democracy. Le Québec se retrouve au 10e rang au pays, et au 58e rang au monde, derrière la Corée du Sud, la Roumanie et les Pays-Bas. « C’est quand même gênant au niveau politique d’avoir une loi qui est la 10e au pays, alors que le Québec a toujours été à l’avant-plan », s’est désolé M. Chartier.