Couillard veut changer le régime de négociation dans la construction

Après avoir mis un terme à la grève de 175 000 travailleurs de la construction, le gouvernement libéral s’attellera à réformer le processus de négociation dans l’industrie afin qu’il aboutisse sur une entente entre les parties patronales et syndicales.
Le projet de loi de la ministre Vien prévoit dans sa forme initiale une augmentation salariale de 1,8 %. Il donne cinq mois aux parties pour s’entendre sur les dispositions d’une nouvelle convention collective en ayant recours à un médiateur. Si les négociations échouent, les parties devront avoir recours à un arbitre, qui devra à son tour trancher avant le 30 avril 2018 et ainsi fixer les conditions de travail des employés de la construction jusqu’au 30 avril 2021.
« Il est clair que le processus [en vigueur] est vicié », a fait valoir le premier ministre Philippe Couillard après le coup d’envoi d’une séance extraordinaire à l’Assemblée nationale lundi avant-midi. « Aucune partie ne semble avoir d’intérêt ou de volonté réelle de régler, donc on s’en remet à l’intervention du gouvernement dans un conflit privé, donc, théoriquement, où le gouvernement ne devrait pas avoir à s’insérer », a-t-il poursuivi.
Le chef du gouvernement compte légiférer afin de « corrige[r] » une fois pour toutes ce « défaut perpétuel » dans les relations de travail de l’industrie de la construction. Il doit y avoir une « négociation réelle » entre les parties, a-t-il dit, persuadé de la nécessité de changer « la dynamique » aux tables.
Pour y arriver, la ministre du Travail, Dominique Vien, propose ni plus ni moins que de « casser » le modèle actuel. Le gouvernement pourrait par exemple contraindre les parties, si elles s’avèrent incapables de s’entendre sur le contenu de la convention collective, à soumettre leur différend à un arbitre. Celui-ci aurait le dernier mot. Mme Vien n’a pas déterminé les modalités d’un nouveau processus de négociation des conventions collectives. « Je ne vous conte pas de blague, je n’ai pas de modèle en tête, a-t-elle lancé lors d’un point de presse. Ce que nous voulons, c’est que les deux parties prennent leurs responsabilités. Et leurs responsabilités, c’est de se rasseoir et de recommencer à négocier. Et c’est exactement ce que le projet de loi 142 [qui était passé au crible par les élus dans la nuit de lundi à mardi] prévoit. »
L’Alliance syndicale et l’Alliance de la construction du Québec (ACQ) — qui ont tour à tour poussé les hauts cris lundi après avoir pris connaissance du projet de loi spéciale assurant la reprise des travaux dans l’industrie de la construction — promettent de participer à la révision de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction si la ministre Vien va de l’avant.
Le front commun syndical exigera au moins deux choses. La première : de mettre en oeuvre toute hausse salariale dès le lendemain du contrat de travail précédent, et ce, de manière rétroactive si elle est octroyée des semaines après la fin du précédent contrat de travail. « [En raison de] l’absence de rétroactivité dans notre industrie, on se retrouve dans une situation où, au 30 avril, un travailleur perd environ 51 $ par semaine. Les employeurs, quand ils estiment des contrats, eux, ils prévoient des augmentations salariales », a soutenu le porte-parole de l’Alliance syndicale, Michel Trépanier. La deuxième : interdire le recours à des briseurs de grève. « On avait des associations patronales qui incitaient [au cours des derniers jours] les travailleurs à briser la grève. Imaginez-vous quelle situation ça fait », a poursuivi M. Trépanier.
L’élue solidaire Manon Massé, qui a témoigné sa solidarité aux centaines de travailleurs de la construction qui ont protesté contre le projet de loi 142 sur la colline parlementaire lundi, est aussi d’avis que les employeurs n’ont aucune « pression sur leur dos de devoir signer ». « Chaque jour qui avance, ils ne sont pas obligés, lorsque le contrat sera signé, de devoir payer les travailleurs, travailleuses au salaire qu’ils auront négocié ? […] Encore pire que ça, pourquoi se forcerait un regroupement de patrons de négocier rapidement, de bonne foi, lorsque même la loi “antiscabs” ne s’adresse pas aux travailleurs, travailleuses de la construction ? » a-t-elle demandé.
Le porte-parole de l’ACQ, Éric Côté, soutient pour sa part que ces deux « questions » — la rétroactivité et les briseurs de grève — ont déjà été « réglées ». « L’exercice du droit de lockout est impraticable pour notre secteur. On fait des ententes pour des contrats, des services. [D’autre part,] elles ne peuvent pas prévoir des mesures de rétroactivité avec leurs clients, vu qu’ils sont dans un système de compétition par appel d’offres », a-t-il expliqué dans un entretien avec Le Devoir.
« Système faussé »
Invité à décrire les contours d’un nouveau processus de négociation, Frédéric Paré, professeur en relations du travail à l’École des sciences de gestion de l’UQAM, a évoqué lundi quelque chose comme une « période de négociation obligatoire au-delà de laquelle il y aurait peut-être un mécanisme prévu, un arbitrage de différends ».
« Il y a des effets pervers à avoir des lois spéciales systématiques. L’effet pervers, c’est qu’on fausse le système, a affirmé M. Paré. Et c’est probablement de ça que parle la ministre, elle veut changer le système pour qu’on n’ait plus à recourir à des lois spéciales et fausser le système. »
La Cour suprême du Canada a affirmé en 2015 que le droit à la grève est un droit fondamental, a rappelé M. Paré. « On peut normalement invoquer différentes raisons pour ces lois-là, par exemple lorsque la santé et la sécurité de la population sont en jeu. Dans la situation actuelle, il ne semble pas que ça soit le cas. C’est seulement l’impact sur l’économie qui est présent, a dit M. Paré. Or, le Comité de liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail, auquel la Cour suprême a fait référence en 2015, a dit que le seul impact économique n’est pas suffisant pour justifier une loi particulière. »
La décision de la Cour suprême portait sur une loi de la Saskatchewan qui contrevenait au droit au débrayage des travailleurs du secteur public. « L’interdiction de la grève par la [loi sur les services essentiels] entrave substantiellement le droit à un processus véritable de négociation collective », avait écrit le Tribunal en ajoutant que « le droit de grève jouit de la protection constitutionnelle en raison de sa fonction cruciale dans le cadre d’un processus véritable de négociation collective ».
La « bonne loi »
Le chef caquiste, François Legault, reproche au gouvernement libéral de ne pas avoir dépoussiéré le processus de négociation dans l’industrie de la construction plus tôt. « Pourquoi le premier ministre attend toujours qu’il y ait un conflit avant d’agir ? Ça va faire 15 ans l’année prochaine que les libéraux sont au pouvoir, c’est toujours les mêmes recettes qui donnent les mêmes erreurs », a-t-il lancé en Chambre.
Puis, il a expliqué à la presse que la Coalition avenir Québec appuie la mise en place d’un « mécanisme » prévoyant notamment la désignation d’« un médiateur qui essaie de rapprocher les parties, [puis fait] rapport à un arbitre, puis, que l’arbitre, selon un certain nombre de critères, ait le pouvoir de trancher ».
Après avoir qualifié le projet de loi 142 d’« illégal » et d’« injuste », le chef péquiste, Jean-François Lisée, a quant à lui invité le gouvernement libéral à calquer la « bonne loi » de l’équipe Marois, qui, en 2013, « a renvoyé les parties à la négociation et qui s’est conclue par une entente globale, et il y a eu de l’arbitrage selon les formules acceptées par tous à la demande des parties et sans que le gouvernement se mêle de choisir les sujets de l’arbitrage ».