Grève dans la construction: Québec dépose son projet de loi spéciale

L’article 23 du projet de loi devant forcer le retour au travail des 175 000 employés du milieu de la construction risque d’alimenter les débats qui tiendront les élus de l’Assemblée nationale éveillés pendant une bonne partie de la nuit de lundi à mardi.
Cette disposition du projet de loi spéciale déposé lundi matin par le gouvernement Couillard confère à la ministre du Travail, Dominique Vien, le pouvoir de décider quels points litigieux doivent être soumis à un arbitre, advenant l’échec des négociations entre les représentants syndicaux et patronaux de l’industrie de la construction.
Le projet de loi de la ministre Vien prévoit une augmentation salariale de 1,8 %. Il donne cinq mois aux parties pour s’entendre sur les dispositions d’une nouvelle convention collective en ayant recours à un médiateur.
Si les négociations échouent, les parties devront avoir recours à un arbitre, qui devra à son tour trancher avant le 30 avril 2018 et ainsi fixer les conditions de travail des employés de la construction jusqu’au 30 avril 2021.
Écoutez la déclaration de la ministre Dominique Vien
Des pouvoirs à la ministre
Or, les critères dont cet arbitre devra tenir compte pour fonder sa décision, de même que la méthode d’arbitrage et les matières devant en faire l’objet, seront déterminés par la ministre si le projet de loi est adopté tel quel.Cela enrage les syndicats, mais aussi les parties patronales, notamment l’Association de la construction du Québec. « C’est un obstacle à notre liberté de négocier », a dénoncé son porte-parole, Éric Côté, en évoquant de l’ingérence politique. « C’est entre nous qu’on doit y arriver. […] Se placer a l’abri de la partisanerie, pour un secteur qui représente 12 % du PIB, pour nous, ça demeure un enjeu », a-t-il souligné.
L’Alliance syndicale a quant à elle promis de contester la loi, si elle est adoptée telle qu’elle a été présentée en matinée. « Il y a des vices sur le processus d’arbitrage. […] Pour nous, c’est inacceptable présentement, la formule d’arbitrage qui est proposée », a déclaré son porte-parole, Michel Trépanier.
Le gouvernement Couillard a déposé son projet de loi spéciale lundi matin, vers 11 h. « Il y a eu une période pendant laquelle on s’est remis à espérer une entente négociée ; elle n’a pas eu lieu. Profitons donc de l’occasion pour donner un nouvel élan à des négociations », a alors suggéré le premier ministre, Philippe Couillard.
Au même moment, des centaines d’employés de la construction manifestaient à l’extérieur de l’Assemblée nationale. Les ouvriers en grève ont été reçus par un vaste déploiement policier. Leur manifestation s’est néanmoins déroulée dans le calme, sans débordements.
Des débats toute la nuit
Le débat sur le projet de loi a quant à lui commencé vers 16 h, dans le Salon bleu. Il doit se poursuivre pendant de longues heures. Le vote devrait donc avoir lieu très tôt mardi : « probablement entre 3 h et 7 h du matin », selon le leader parlementaire Jean-Marc Fournier.Les élus caquistes voteront fort probablement pour le projet de loi spéciale qui, selon eux, prévoit un « mécanisme d’arbitrage qui est souhaitable ». Les péquistes y voient un conflit d’intérêts, puisque le projet de loi concerne un secteur dans lequel le gouvernement est impliqué en tant qu’employeur. « Le Parti québécois est contre la loi spéciale et proposera des amendements afin de la transformer. On souhaite la libre négociation », a tweeté Jean-François Lisée.
Les solidaires, qui sont aussi contre le projet de loi, ont exposé ce qu’ils ont qualifié de « déséquilibre en matière de négociation ». Selon Manon Massé, les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail et l’application rétroactive des conditions de travail devraient s’appliquer au secteur de la construction.
Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) s’est lui aussi inquiété de l’article 23 du projet de loi. « Le CPQ est inquiet quant à la disposition qui permet au gouvernement de déterminer par arrêté ministériel les matières devant faire l’objet de l’arbitrage », a-t-il écrit dans un communiqué. Cette possibilité « constitue une incertitude significative pour des représentants d’employeurs », selon le CPQ, qui accueille autrement assez favorablement le projet de loi.
L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), qui représente aussi la partie patronale, a qualifié l’offre salariale du gouvernement, à 1,8 %, d’« équilibrée ». La dernière offre de l’APCHQ, déposée vendredi, prévoyait des augmentations de salaire de 1,9 % pour les quatre prochaines années.
Avec Marco Bélair-Cirino et Dave Noël