D’Octave Crémazie à Maurice Richard

L’annonce faite jeudi par la Commission de la représentation électorale du changement de nom de la circonscription de Crémazie pour celui de Maurice-Richard fournit l’occasion de se pencher sur deux pans très distincts de l’histoire du Québec.
Si Maurice Richard, le joueur de hockey qui a mené le Canadien de Montréal à huit conquêtes de la coupe Stanley dans les années 1940 et 1950 et est devenu une légende populaire par son immense talent, mais aussi par sa fougue et son acharnement, n’a plus guère besoin de présentations, il faut remonter à près d’un siècle plus tôt pour trouver le destin contrasté d’Octave Crémazie.
Poète national
Crémazie, né en 1821, est largement considéré comme le premier poète national du Québec. Ses écrits, parmi lesquels Le drapeau de Carillon (1858) demeure l’oeuvre la plus connue, ont fait de lui l’un des créateurs en vue du XIXe siècle au pays, et il a fait une contribution essentielle à la diffusion des lettres par le biais de la librairie qu’il tenait à Québec avec son frère Joseph. Celle-ci était fréquentée par des membres influents de l’Institut canadien de Québec, un organisme culturel important dont Crémazie a participé à la fondation en 1847 et qu’il a présidé une dizaine d’années plus tard.
Des soucis financiers et des actes frauduleux l’ont cependant contraint à s’exiler, et c’est en France qu’il est mort en 1879.
Octave Crémazie n’a jamais résidé à Montréal. Mais en 1914, on choisit de rebaptiser le modeste Chemin de Saint-Laurent, qui mène à la ville du même nom. Avec le développement urbain, le boulevard Crémazie prendra graduellement de l’importance, jusqu’à devenir la voie de desserte principale de l’autoroute Métropolitaine, ouverte à la circulation en 1959. La station de métro Crémazie, sise à l’angle du boulevard et de la rue Berri, fera partie du réseau d’origine en 1966.
En 1972, une refonte de la carte électorale au Québec entraîne la création de la circonscription de Crémazie, qui couvre le territoire situé immédiatement au nord de la Métropolitaine, soit, en gros, le secteur Ahuntsic-Cartierville.
Richard en Ahuntsic
Dans ledit secteur se trouve notamment le quartier de Bordeaux, où Maurice Richard a vu le jour en 1921. Il a passé plus de 50 ans de sa vie à Ahuntsic, lui qui a porté les couleurs du Canadien de 1942 à 1960 et acquis au fil d’une prolifique carrière le statut de véritable héros national, pour lequel ses admirateurs sont allés jusqu’à provoquer une émeute dans les environs du Forum de Montréal après qu’une suspension jugée injuste lui eut été imposée par le président de la Ligue nationale de hockey en mars 1955. Il est décédé en 2000.
Avis partagés
Quant à l’opportunité de procéder à un changement de nom de la circonscription, les avis sont partagés.
Pour Martin Longchamps, président de l’Association de hockey mineur des Braves d’Ahuntsic qui a fait campagne en faveur de l’appellation Maurice-Richard, c’est une victoire, même s’il aimerait que le processus aille encore plus loin et que le parc Ahuntsic, ou à tout le moins son aréna, prenne aussi le nom du « Rocket ». Néanmoins, « nous sommes très heureux du résultat. On espérait jusqu’à la toute dernière minute, malgré des avis négatifs précédents, que ça passerait », a-t-il déclaré.
M. Longchamps a rappelé que Richard avait participé à la fondation en 1955 puis contribué très activement au fonctionnement des Braves d’Ahuntsic, la plus ancienne association de hockey mineur à Montréal.
L’actuelle députée de Crémazie, Marie Montpetit, qui a piloté le dossier, a pour sa part mentionné que « Maurice Richard compte parmi nos plus illustres idoles et nos modèles les plus inspirants. Je suis très heureuse qu’il trouve une place de choix au sein de la maison du peuple québécoise, peuple qu’il a aidé à faire grandir ».
Le maire de Montréal, Denis Coderre, a indiqué que, pour l’ancien numéro 9 du CH, il s’agit d’« un honneur bien mérité. Cet homme plus grand que nature a marqué l’histoire du Québec et nous a laissé des souvenirs impérissables, autant par ses prouesses en tant que hockeyeur qu’en raison de son profond attachement et de son implication dans la communauté ».
À l’opposé, le géographe et ancien président de la Commission de toponymie du Québec Henri Dorion a dit déplorer la décision de la CRE. « Je n’ai rien contre Maurice Richard, il est sûrement une grande figure du sport, mais détrôner un nom historique pour un nom actuel, à mon avis, ça n’a aucun sens », a-t-il commenté.
« C’est comme dire que le sport est bien plus important que les pelleteux de nuages que sont les poètes », a-t-il ajouté dans un entretien avec Le Devoir, précisant qu’il peut arriver que l’opinion publique prime les principes de la toponymie, ce qui s’est produit dans le cas présent.