LANEQ brandit la contestation judiciaire face à la loi spéciale

Les juristes de l’État sont en grève depuis le 24 octobre dernier.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les juristes de l’État sont en grève depuis le 24 octobre dernier.

Une entente semble si improbable entre les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ) et Québec que le syndicat a dévoilé dimanche sa stratégie d’après-loi spéciale, qui prendra la forme de contestation devant les tribunaux.

Le président du Conseil du Trésor, Pierre Moreau, doit déposer ce lundi après-midi une loi forçant le retour au travail des 1100 membres de LANEQ, qui sont en grève depuis 18 semaines. Réponse du syndicat : il y aura contestation judiciaire, et jusqu’en Cour suprême s’il le faut.

« Le droit de faire la grève est un corollaire du droit d’association, et cela est protégé par les chartes. Donc, c’est un droit fondamental qu’on nous empêche d’exercer par cette loi spéciale, qui nous forcerait à retourner au travail », a résumé le conseiller syndical de LANEQ, François Desroches-Lapointe, envisageant déjà un retour au travail forcé.

Au même moment, le syndicat réagissait au rejet dimanche, par Québec, de sa plus récente proposition, qui répondait à l’offre « finale et globale » déposée par le gouvernement jeudi. « Le rejet de notre proposition, quelques heures à peine après sa présentation et avant même qu’une réponse soit transmise à la table de négociation, est une preuve flagrante que le gouvernement n’a jamais eu l’intention de négocier de bonne foi », a soutenu le président de LANEQ, Jean Denis.

Jeudi, Québec a donné un délai de 24 heures à LANEQ pour répondre à son offre. Samedi, « LANEQ devait se présenter en négo et ils ne l’ont pas fait », a rappelé le ministre Moreau. C’est pourquoi il a convoqué l’Assemblée nationale ce lundi, en pleine relâche, afin que les élus se prononcent sur une loi spéciale.

Le spectre de cette loi forçant le retour au travail des grévistes a inquiété la Chambre des notaires : «… le recours à une loi spéciale si les parties n’en arrivent pas à une entente [dimanche] ne constitue pas une solution, puisqu’elle envenimera le climat de travail et brisera le lien de confiance essentiel entre l’État et ses juristes », a réagi l’ordre professionnel, en exhortant les deux parties à recourir immédiatement à un médiateur neutre et indépendant. Le Barreau du Québec a fait la même recommandation.
 

Les salaires d’abord

Au coeur du litige, il y a justement le mode de négociation des conditions de travail, que LANEQ dit vouloir réformer pour « éviter de se retrouver en confrontation avec le gouvernement chaque fois qu’on a besoin de négocier », selon François Desroches-Lapointe. Or, cette revendication a été éclipsée, au fil des semaines, par les négociations sur les salaires. « La question salariale est revenue sur la table parce qu’à l’arrivée de Pierre Moreau à la table de négociations […], il a dit : “Pour que le gouvernement embarque dans le processus d’évaluation de votre statut, il faut d’abord régler la question salariale” », a affirmé le conseiller syndical.

Pourquoi ? Parce que « la question de la rémunération me semblait être la plus facile à régler », a répondu le ministre. « Ce que LANEQ demandait publiquement, c’était d’avoir la parité [salariale] avec les procureurs de la Couronne. La parité de rémunération. Et j’ai donné l’instruction aux négociateurs du gouvernement de l’offrir. C’est ce qu’on a fait », a-t-il assuré.

Mais deux visions différentes se sont affrontées : pour LANEQ, la hausse salariale de 5,25 % sur cinq ans offerte par Québec ne correspond en rien à la hausse de 10 % sur quatre ans consentie aux procureurs de la Couronne, d’autant que le gouvernement réclamerait aux membres de LANEQ de renoncer à certains avantages contenus dans la convention collective, selon François Desroches-Lapointe. De l’avis du gouvernement, il faut plutôt tenir compte de la rémunération globale, incluant les contributions aux régimes de retraite, et viser la parité de rémunération plutôt que la parité de dépenses pour l’État.

Une petite avancée

 

La seule avancée dans l’unique séance de négociation, qui a eu lieu dimanche, concerne le statut des membres de LANEQ. Tant Québec que le syndicat se sont montrés favorables à la possibilité de soumettre la question de l’indépendance des juristes à un organisme indépendant. Les procureurs de la Couronne ont par exemple obtenu la création du Comité de la rémunération des procureurs au terme de la ronde de négociation de 2011. Cette instance indépendante formule des recommandations sur la rémunération des procureurs.

« On ne s’entend pas sur le comité et son mandat », a cependant précisé le ministre Moreau au sujet de ses discussions avec LANEQ. « C’est une petite avancée, c’est la première d’ailleurs, depuis 18 semaines, de la part de LANEQ sur l’aspect de l’établissement d’un forum lié à leur statut. » Même à ce sujet, le syndicat et l’État ne se sont pas entendus. « Il [Pierre Moreau] a dit qu’on avait avancé pour la première fois depuis le début des négociations, ce qui est complètement faux de mon point de vue », a rétorqué François Desroches-Lapointe.

Le conseiller syndical a trouvé un allié chez le député solidaire de Mercier, Amir Khadir. Dans un communiqué publié dimanche, M. Khadir a reproché au gouvernement d’agir « de mauvaise foi ». « Ce gouvernement, fidèle aux habitudes libérales, a certainement rendu un fier service aux amis du pouvoir en leur permettant d’obtenir des millions de dollars en contrats sans surveillance par les avocats et notaires de l’État. La semaine dernière, nous apprenions que 868 millions $ ont été octroyés en contrats sans vérification juridique depuis le début du conflit ! C’est énorme ! » a-t-il réagi. LANEQ soutient que ces contrats, dont la moitié auraient été accordés sans appels d’offres, ont été octroyés sans que l’État québécois ne puisse bénéficier des conseils juridiques de ses avocats et notaires.

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