Les excuses de Gerry Sklavounos convaincront-elles?

Le député Gerry Sklavounos sollicitera ce jeudi la grâce du premier ministre Philippe Couillard — et de la population québécoise — dans une première apparition publique depuis son exclusion du caucus libéral il y a plus de deux mois.
Il tentera par tous les moyens de dissiper le parfum de scandale flottant au-dessus de son bureau à l’Assemblée nationale puisque, même s’il a été blanchi dans l’affaire Alice Paquet, il est toujours visé par des allégations de comportement inapproprié.
En effet, plusieurs ex-employées, ex-pages, ex-stagiaires de l’Assemblée nationale ont relaté dans les médias, sous le couvert de l’anonymat, avoir été victimes de propos ou de gestes à caractère sexuel inappropriés de sa part.
L’homme de 42 ans, élu à répétition sous la bannière libérale, saura-t-il convaincre notamment M. Couillard qu’il accomplira désormais ses responsabilités de membre de l’Assemblée nationale avec une probité à toute épreuve… et qu’il ne constituera pas une source distraction ou, pire, une source de danger pour le gouvernement libéral ?
Immanquablement, les excuses publiques de M. Sklavounos sonneront faux, puisqu’elles ont été commandées par M. Couillard, fait valoir le professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM Olivier Turbide. Le chef du gouvernement exige en effet de la part du député de Laurier-Dorion une « déclaration très forte, très sentie et très sincère sur sa perception des événements, pas celui spécifiquement d’Alice Paquet, qui a été traité par le DPCP, mais d’autres éléments qu’on a vus dans les médias » avant de statuer sur son avenir politique dans la famille libérale. « Quand on croit à un repentir, c’est parce que c’est spontané, c’est senti. Si on sent la mise en scène, la préparation, le calcul, l’intérêt — parce que là il y a un intérêt [derrière une telle opération] —, on n’y croit pas », affirme M. Turbide.
« Tout de suite » après avoir involontairement heurté l’élue néodémocrate Ruth Ellen Brosseau à la Chambre des communes, le premier ministre fédéral Justin Trudeau a offert « sans réserve » ses excuses pour avoir posé un geste « inacceptable ». Il s’agit d’« excuses exemplaires », selon le spécialiste de la gestion médiatique de l’image publique. « M. Trudeau n’a pas hésité. Il a multiplié les excuses. À un moment donné, on trouvait que c’était quasiment trop. »
M. Sklavounos s’est pour sa part emmuré dans le silence depuis que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) l’a blanchi — il y a une semaine — des allégations d’agression sexuelle portées par Alice Paquet.
Pseudo ou demi-excuses
Le professeur Turbide met en garde contre une éventuelle « instrumentalisation du repentir » par M. Sklavounos « pour redorer son image, sa réputation à des fins stratégiques de réintégration au caucus ». La littérature scientifique regorge de « stratégies pour s’excuser sans vraiment le faire », fait-il remarquer. Un exemple : « On ne va pas s’excuser pour l’offense elle-même, mais pour les conséquences de celle-ci. »
Aux prises avec une situation semblable à celle de M. Sklavounos, certains individus pourraient être tentés de se poser en victimes, accusant au passage les médias d’avoir noirci le tableau. « Je pourrais m’attendre à voir quelqu’un dire : “Bien, je m’excuse sincèrement auprès des victimes que j’ai pu [choquer], mais en même temps je suis une victime là-dedans. Ma réputation a été salie. On m’a accusé à tort.” »
Pour mesurer la « crédibilité » et la « sincérité » des excuses de M. Sklavounos, il portera attention aux mots choisis par lui — et les professionnels de la communication qui l’épaulent dans cette épreuve —, mais également les « mesures prises » par l’homme pour « garantir » qu’il accomplira ses responsabilités de membre de l’Assemblée nationale avec une probité à toute épreuve.
M. Sklavounos a devant lui une « tâche monumentale », insiste Thierry Giasson. « Le jugement d’une partie de la population lui est défavorable — beaucoup ne veulent pas le voir, encore moins le croire », souligne le chercheur au groupe de recherche en communication politique à l’Université Laval.
Et surtout : selon M. Giasson (qui avait fait une sortie remarquée en octobre pour dénoncer la gestion de crise du recteur de l’Université Laval dans le dossier des agressions sexuelles perpétrées dans les résidences du campus), il n’y a aucune place pour des demi-excuses. « Quand le patron — qui est premier ministre — dit publiquement qu’il y a un problème, tu fais amende honorable », affirme-t-il. « Il faudra qu’à l’écoute, les gens à qui il s’adresse — les femmes, ses électeurs, ses collègues du caucus — sentent qu’il est contrit, qu’il s’excuse réellement, qu’il prend acte du problème lié à sa conduite passée et qu’il s’engage dans un processus réparateur. »
Thierry Giasson parle d’une « prouesse oratoire »… mais qui devra être faite « sans aucune intention de performance ». « Il faut que ce soit Gerry qui parle réellement. Il ne peut pas avoir l’air triste ou avoir l’air contrit, il doit l’être. »
L’épouse de M. Sklavounos devrait-elle être présente à ses côtés lorsqu’il sortira de l’ombre ? « Si elle y est, il faudrait qu’elle livre un message, juge le spécialiste de la communication politique. Sinon, c’est à lui seul d’assumer ses actes. Mêler sa famille à ça ferait un peu trop “mise en scène”. »
À son avis, le député devrait répondre à quelques questions des médias. « S’il est bien conseillé, il le fera », croit-il.
La porte-parole du regroupement des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), Mélanie Sarroino, demande au député indépendant de, « au minimum, admettre qu’il a eu des comportements inacceptables et qu’il est en mesure de faire en sorte que ces comportements ne se reproduisent absolument plus ». En agissant de la sorte, il contribuera à mettre fin au climat d’« impunité » en matière de harcèlement sexuel, qui règne dans l’univers politique.
Cependant, peu importe ce qu’il dira ou comment il le dira, Mme Sarroino désapprouvera le retour de M. Sklavounos dans les bonnes grâces du Parti libéral du Québec. « On souhaite qu’il ne soit pas réintégré dans le caucus libéral pour qu’un message fort et clair soit lancé comme quoi ces comportements-là sont inacceptables. »
Petits et grands scandales
René Lévesque, 6 février 1977Au volant d’une Ford brune 1973, le premier ministre percute mortellement Edgar Trottier, un itinérant sexagénaire gisant sur le chemin McDougall. Aucune accusation n’est portée par la police. Le 25 février, dans une déclaration officielle, le ministre de la Justice Marc-André Bédard précise que deux bouteilles de vin ont été servies le soir du drame et qu’elles ont été « versées en parts égales entre les convives » d’un souper, au nombre de sept. Selon les témoins présents, M. Lévesque aurait également consommé « une partie d’un verre de liqueur fine [et bu], suivant ses habitudes, de nombreuses tasses de café ».
Claude Charron, 23 février 1982
Claude Charron renonce à ses fonctions ministérielles après avoir dérobé un veston dans un magasin Eaton. « J’espère trouver dans l’estime de mes concitoyennes et concitoyens de Saint-Jacques la compréhension nécessaire et le pardon qui me permettront de continuer à être leur député », écrit-il dans sa lettre de démission. Claude Charron quitte la vie politique huit mois plus tard. « Je suis tanné de la vie parlementaire, je suis fatigué d’être un homme public, vous comprenez. J’ai besoin d’air. »
Gilles Grégoire, 14 juillet 1983
L’élu péquiste est reconnu coupable d’avoir eu des relations sexuelles avec sept mineures âgées de 12 à 17 ans. Après avoir purgé huit mois de prison, Gilles Grégoire regagne son siège à titre de député indépendant. Sous le couvert de l’immunité parlementaire, il plaide son innocence, en accusant au passage des juges, des avocats et des policiers d’avoir assisté à un spectacle de danseuses nues dans un hôtel de la Grande Allée mettant en vedette l’une des mineures impliquées dans sa cause. Gilles Grégoire ne s’est pas représenté aux élections de 1985.
Marie Malavoy, 25 novembre 1994
Élue un mois plus tôt, la députée péquiste de Sherbrooke abandonne ses fonctions de ministre de la Culture dans la foulée d’une enquête entourant sa participation aux élections avant l’obtention de sa nationalité canadienne. « C’est avec un très grand regret et beaucoup de tristesse que je crois devoir vous remettre aujourd’hui ma démission », écrit-elle au premier ministre Jacques Parizeau. « Votre démission m’attriste, mais notre combat de rétablissement de la confiance est à ce prix », lui répond le chef du gouvernement. Un délai de prescription de deux ans permet à la ministre déchue de conserver son siège à l’Assemblée nationale jusqu’à sa défaite aux élections de 1998. Marie Malavoy effectue un second séjour au Parlement entre 2006 et 2014.
André Boisclair, 19 septembre 2005
Le candidat à la direction du Parti québécois avoue avoir consommé de la cocaïne alors qu’il était ministre. « Oui, il m’est arrivé de consommer. Je ne peux pas être plus clair que ça. Je vois la spirale dans laquelle on veut m’entraîner. Après ça, ça sera combien de fois, avec qui, dans quelles circonstances, à quelle date, dans quel lieu et à quel moment ? On peut-tu passer à autre chose ? Qu’est-ce que vous voulez de plus de moi qu’un aveu ? » Élu chef du PQ moins d’un mois plus tard avec 53,68 % des voix, André Boisclair est élu dans Pointe-aux-Trembles à l’élection partielle du 14 août 2006. Dave Noël