Trop peu de nouveaux investissements, déplorent des groupes de femmes

Les premières critiques sont venues de la journaliste indépendante Sue Montgomery (à droite), en conversation avec la ministre Lise Thériault (à gauche) et Sophie Chiasson, vendredi à Montréal.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les premières critiques sont venues de la journaliste indépendante Sue Montgomery (à droite), en conversation avec la ministre Lise Thériault (à gauche) et Sophie Chiasson, vendredi à Montréal.

Le budget jugé timide, l’absence de mesures immédiates pour les femmes autochtones et le silence sur la mise en place d’un programme d’éducation à la sexualité au primaire et au secondaire ont soulevé des critiques lors du dévoilement, vendredi, de la stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles.

Les attentes étaient très élevées quand la vice-première ministre, Lise Thériault, s’est avancée devant la salle comble du Y des femmes, après des semaines mouvementées sur le front des violences sexuelles, dont des allégations contre le député libéral Gerry Sklavounos et son exclusion du caucus. Les femmes présentes par dizaines n’ont pas tardé à montrer une réaction mitigée devant le plan en 55 « nouvelles actions », financées à même une enveloppe de 44 millions de dollars, dont 26 millions de nouveaux crédits. Le budget des actions « récurrentes » est de 156 millions.

« Assez, c’est assez, a lancé Mme Thériault à l’auditoire de quelque 150 personnes. Les femmes et les filles doivent se sentir en sécurité partout et en tout temps. Le message est clair : les violences sexuelles, c’est non. » Celle qui est aussi ministre responsable de la Condition féminine a exprimé le souhait d’un Québec « où la violence sexuelle ne serait plus banalisée » et a salué le « courage exceptionnel » des victimes d’agressions.

Mme Thériault était accompagnée de ses collègues Stéphanie Vallée, à la Justice, Martin Coiteux, à la Sécurité publique, Lucie Charlebois, à la Santé publique, et Hélène David, à l’Enseignement supérieur.

Les premières critiques sont venues de la tribune même du gouvernement, de la bouche de la journaliste indépendante Sue Montgomery. Elle avait été invitée à s’exprimer de manière non partisane, à titre d’instigatrice du mouvement #BeenRapedNeverReported. « Nous avons été silencieuses depuis 25 ans, a-t-elle constaté. Depuis Polytechnique. Nous ne nous tairons plus. Ce rapport, je veux le voir en action, je veux être assurée que l’argent ne sera pas gaspillé. » Mme Montgomery a ensuite critiqué la présence, dans la stratégie, d’un soutien financier aux organismes qui offrent des services aux agresseurs sexuels. « Pensons à les éduquer quand ils sont jeunes ! », a-t-elle demandé. Elle a quitté le micro sous les applaudissements nourris, pendant de longues minutes, de la salle.

Budget insuffisant

 

À chaud, les groupes de femmes présents estimaient majoritairement que les budgets dégagés sont insuffisants, bien que le contenu de la stratégie ait reçu un accueil assez favorable.

« Alors que Québec vient de faire des surplus phénoménaux sur le dos des femmes avec l’austérité, 26 millions pour la longue liste de mesures, c’est nettement insuffisant », tranchela présidente de la Fédération des femmes du Québec, Mélanie Sarazin. Elle se demande combien percolera jusqu’aux organismes qui soutiennent les victimes, comme les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS). « Tout n’est pas négatif, mais je ne suis pas impressionnée. »

Marlihan Lopez, agente de liaison du regroupement québécois des CALACS, rappelle que les listes d’attente des centres d’aide sont longues en raison des budgets insuffisants, ce qui force parfois les femmes à attendre des mois avant d’obtenir du soutien. « C’est une violence de plus », juge-t-elle.

« On attendait la politique depuis longtemps et nous sommes soulagées qu’elle soit déposée », laisse tomber Éliane Legault-Roy. La porte-parole de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle avoue pourtant être « mitigée ».

« Avec des surplus de quatre milliards de dollars, je me serais attendue à un effort beaucoup plus considérable », dénonce la députée solidaire Manon Massé. Elle ajoute au surplus officiel de deux milliards les sommes versées au Fonds des générations. « Mettre cinq millions d’argent neuf par an, c’est une farce », dénonce-t-elle.

Où est l’éducation ?

Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, était le grand absent de cette annonce, juge Mme Massé, tout comme la députée péquiste Mireille Jean. La stratégie ne prévoit pas le retour des cours d’éducation à la sexualité dans les écoles du Québec pour l’instant. Le projet-pilote qui est en cours est toutefois mentionné. « Des mesures vont s’ajouter », a promis la ministre Thériault lorsqu’elle a été questionnée à ce sujet. Sébastien Proulx se trouvait à Sherbrooke vendredi, où il prenait part aux consultations sur la réussite éducative.

Lundi, le Centre d’intervention en abus sexuels pour la famille l’avait interpellé lors de son passage en Outaouais. Selon le journal Le Droit,  M. Proulx n’a alors pas pu garantir que le programme d’éducation à la sexualité serait lancé à l’automne 2017. « Nous allons attendre l’analyse [des projets-pilotes] », a-t-il affirmé, ajoutant que ce n’était pas « une démarche simple ».

Mireille Jean regrette aussi l’absence d’actions concrètes concernant les femmes autochtones. « Mme Thériault a fait preuve de beaucoup d’empathie l’an dernier, on s’attendrait à des actions précises. C’est inacceptable de dire qu’on va agir plus tard ! »

Lise Thériault avait affirmé plus tôt en conférence de presse qu’un plan d’action distinct, élaboré en collaboration avec les représentants des Premières Nations, serait élaboré au sujet des violences vécues par les femmes autochtones.


Quelques actions nouvelles prévues dans la stratégie

Budget : 200 millions de dollars sur cinq ans, dont 26 millions de nouveaux crédits.

Adopter une politique-cadre pour la prévention des violences sexuelles sur les campus des cégeps et des universités.

Faciliter l’accès au télétémoignage pour les victimes dans les palais de justice.

Mettre en place une aide financière d’urgence pour encourager les victimes à quitter une situation qui compromet leur sécurité.

Déployer une équipe policière intégrée de lutte contre l’exploitation sexuelle.

Diverses mesures pour les victimes mineures, membres de la communauté LGBT, vivant avec un handicap ou une déficience intellectuelle ou issues de l’immigration.


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