Comment Québec traduira ses bonnes intentions

Après avoir multiplié les atermoiements, le gouvernement québécois dévoilera vendredi la Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles 2016-2021. Bonification de l’aide aux victimes, implantation de nouvelles activités de formation destinées aux policiers et aux procureurs, ainsi qu’élaboration d’un nouveau programme d’éducation à la sexualité : la vice-première ministre Lise Thériault présentera 91 « actions », dont 55 « nouvelles » ou « bonifiées », visant à stopper les agressions sexuelles et l’exploitation sexuelle, a appris Le Devoir.
En plus de contrer la banalisation des violences sexuelles, l’État cherche à tirer vers le haut le taux de dénonciation des agressions sexuelles, qui s’établissait à 5 % selon l’Enquête sociale générale sur la victimisation (2014). Pour y arriver, il renforcera les mesures de soutien offertes aux victimes, en augmentant les budgets de fonctionnement des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALAC).
Prochainement, le gouvernement libéral étudiera sérieusement la possibilité d’accroître l’accès au programme d’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), mais pour l’heure il débloquera une « aide financière d’urgence » aux victimes de violences sexuelles afin de les « encourager […] à quitter une situation qui compromet leur sécurité », peut-on lire dans la nouvelle stratégie gouvernementale.
Le document coiffé du titre « Les violences sexuelles, c’est non ! » sera dévoilé vendredi avant-midi au Y des femmes à Montréal par cinq ministres, c’est-à-dire Lise Thériault (Condition féminine), Martin Coiteux (Sécurité publique et Affaires municipales), Stéphanie Vallée (Justice), Lucie Charlebois (Protection de la jeunesse) et Hélène David (Enseignement supérieur).
Pour déployer les 55 actions « nouvelles » ou « bonifiées » inscrites à la nouvelle Stratégie, le gouvernement libéral a prévu une somme supplémentaire de 44 millions de dollars sur cinq ans, dont 26 millions de nouveaux crédits budgétaires. Il consacrera en outre 156 millions pour le renouvellement de mesures déjà en vigueur. En somme, le gouvernement libéral a mis de côté quelque 200 millions de dollars pour prévenir et contrer les violences sexuelles — l’affaire de 12 ministères et organismes gouvernementaux — au cours des cinq prochaines années. « C’est aussi cela, la saine gestion des finances publiques. Collectivement, ça nous donne les moyens d’en faire plus en matière de solidarité et de justice sociale », a fait valoir une source libérale au Devoir.
Éducation à la sexualité
Le gouvernement libéral proposera également « des actions gouvernementales allant dans [le] sens » des appels en faveur de l’instauration de nouveaux cours d’éducation à la sexualité faits au fil des dernières années. Il s’inspirera vraisemblablement du projet pilote lancé en 2015, qui consistait à « faire réfléchir » des élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire à certains enjeux comme les stéréotypes sexuels et l’utilisation des réseaux sociaux. « L’éducation à la sexualité contribue à promouvoir les rapports égalitaires et est un moyen de prévenir les violences sexuelles », tranche le gouvernement 15 ans après la disparition des cours d’éducation sexuelle à l’école.
L’État entend aussi déployer des campagnes de sensibilisation aux violences sexuelles, notamment dans les cégeps et les universités ainsi que dans les milieux sportifs, pour enrayer les violences sexuelles : un « problème social d’envergure dont les femmes et les enfants sont les principales victimes ». En effet, 84 % des victimes sont de sexe féminin, selon des statistiques policières de 2014.
De son côté, le ministère de la Sécurité publique compte « mieux outiller » les policiers afin de s’assurer qu’ils mènent une « intervention adéquate et adaptée en matière d’agression sexuelle ».
Exploitation sexuelle
Le ministère mettra sur pied une structure de coordination policière à la Sûreté du Québec et confiera à une équipe intégrée la mission de lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle. Pour sa part, le ministère de la Justice offrira une formation traitant spécifiquement des poursuites en matière d’exploitation sexuelle aux procureurs aux poursuites criminelles et pénales.
La Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles 2016-2021 est pratiquement muette sur les violences sexuelles au sein des communautés autochtones. Le gouvernement a préféré traiter un « ensemble d’enjeux sociaux autochtones », y compris les violences sexuelles, dans un « Plan de développement social » qui sera dévoilé ultérieurement.
Stratégie attendue
Le Conseil des ministres a approuvé la Stratégie — et les sommes d’argent nécessaires à sa mise en oeuvre — mercredi. Le gouvernement libéral comptait la dévoiler « au cours des prochaines semaines », mais a accéléré le pas après la mise au jour de cas d’agressions sexuelles alléguées sur le campus de l’Université Laval et de l’« affaire Sklavounos ». Pour gagner du temps, la ministre responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, avait éventé une section du document il y a une semaine en annonçant l’élaboration d’une politique-cadre ou d’une loi-cadre visant à forcer « les établissements à identifier et à mettre en place des moyens structurants de prévention et d’intervention en matière de violences sexuelles ».
Deux ans après le coup d’envoi du mouvement #AgressionNonDénoncée, Mme Thériault s’attellera à réaliser la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes. « Je veux tous qu’on puisse se promener dans une société qui est saine où on va arrêter la culture du viol et de la banaliser », avait-elle déclaré lors d’une manifestation contre la culture du viol mercredi soir à Québec. Puis, elle avait également lancé « Je suis féministe ».