Adoption: le secret levé pour faciliter la quête des origines

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, veut faire voler en éclats la chape de secret recouvrant les dizaines de milliers de dossiers d’adoption détenus par l’État québécois.
Elle a dévoilé jeudi le projet de loi 113 visant notamment à accorder à toute personne adoptée « le droit d’obtenir […] ses nom et prénom d’origine et ceux de ses parents d’origine et les renseignements lui permettant de prendre contact avec ces derniers ».
À l’heure actuelle, une personne adoptée peut contourner la règle générale actuelle en matière d’adoption, la confidentialité, seulement si le parent biologique y consent. « Ce sera renversé. La communication de renseignements sera présumée », a souligné Mme Vallée à l’occasion d’une conférence de presse.
Le projet de loi prévoit une période transitoire suspendant l’ouverture des dossiers d’adoption pendant 18 mois afin de permettre aux parents biologiques d’inscrire un « refus à la communication de l’identité ». Passé ce délai, leur dossier sera divulgué si l’enfant en fait la demande.
« L’enfant, dans la mesure où il n’y a pas eu inscription de ce veto-là, aura le droit d’obtenir l’identité de ses parents d’origine », explique le professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal Alain Roy. « C’est assez majeur. Il y en a qui pourront réaliser leur quête identitaire », poursuit-il.
En revanche, les parents ne pourront pas mettre la main sur les informations de leur enfant biologique, à moins que celui-ci ait donné expressément son consentement.
Les parents confiant leur enfant à l’adoption après l’entrée en vigueur de la loi pourront aussi faire connaître « un refus à la communication de [leur] identité », mais dans l’année de la naissance de leur enfant. À l’instar des « boîtes à bébé », cette disposition est essentiellement destinée aux parents en détresse cherchant à abandonner leur nouveau-né dans l’anonymat. « Dans certaines cultures, avoir un enfant, ça peut exposer la mère à de très très graves conséquences. On veut éviter que le fait de la naissance soit connu [par exemple] par l’intermédiaire de l’enfant qui pourrait se manifester », affirme M. Roy.
Un refus à la communication de l’identité cessera toutefois d’avoir effet au premier anniversaire de décès du parent d’origine, prévoit le projet de loi 113. « Ça, c’est une bonne nouvelle. Il y a énormément de gens qui vont être touchés par ça », a fait valoir la coordonnatrice du Mouvement Retrouvailles, Caroline Fortin. Entre 1920 et 1970, quelque 300 000 enfants auraient été confiés à l’adoption au Québec, a-t-elle fait remarquer. « C’est un grand pas pour nous. »
M. Roy y voit également un « pas en avant » pour les enfants adoptés. D’ailleurs, le partisan du « droit à la connaissance des origines » ne s’offusque pas de la possibilité offerte aux parents d’origine de faire connaître « un refus au contact », mais pas « un refus à la communication de [leur] identité ».« L’enfant a le droit de connaître son origine, mais ne peut pas avoir la prétention de forcer des relations que l’autre partie ne souhaite pas », plaide l’ex-président du Comité consultatif sur le droit de la famille (2013-2015).
Reconnaissance de l’adoption coutumière
En plus de faciliter les retrouvailles, le projet de loi 113 reconnaît l’adoption coutumière autochtone. Le Québec franchira un « pas historique » lorsque l’Assemblée nationale l’aura adopté, a fait valoir Mme Vallée.
« Longtemps un moyen de survie », l’adoption coutumière est pratiquée depuis « toujours », a indiqué la directrice des relations Cris-Québec, Melissa Saganash. « On est des familles élargies. Si la mère ne veut plus garder son enfant, la grand-mère peut le faire, la tante peut le faire. On donne plus de possibilités pour garder l’enfant dans la communauté », a ajouté la présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel.
Le projet de loi prévoit la reconnaissance de l’adoption d’un enfant autochtone ou inuit par l’un de ses proches, par une instance au sein de la communauté, puis le Directeur de l’état civil. Cela dit, le nom des parents d’origine demeurera sur l’acte de naissance de l’enfant. « En matière autochtone, les parents d’origine pourraient conserver des droits et obligations à l’égard de l’enfant à la suite de l’adoption conformément à la coutume applicable », mentionne le professeur Alain Roy. Or, en contexte non autochtone, la « reconnaissance du lien préexistant » prévue au projet de loi 113 « donne une mention [des parents biologiques] dans l’acte de naissance ». « Rien de plus. C’est symbolique, identitaire. »
Les porte-parole autochtones présents à l’Assemblée nationale jeudi se sont réjouis du dépôt du projet de loi 113. Ils croisaient tous les doigts afin qu’il soit adopté d’ici la fin de la législature. Deux projets de loi semblables sont morts au feuilleton respectivement en 2012 et 2014.
« Dans certains cercles, on fait des commentaires sur la notion d’indian time, mais, parfois, le government time laisse aussi à désirer », a laissé tomber le ministre responsable des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley. « Le vrai sens d’indian time est de faire les choses avant l’échéance prévue », a précisé par la suite la présidente du conseil d’administration du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James, Bella Moses Petawabano.