Le débat sur la laïcité de l’État reprend le dessus

Après avoir été ravivé par les candidats à la direction du Parti québécois, le débat sur la laïcité de l’État refait surface à l’Assemblée nationale. L’étude du projet de Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État, inscrit au feuilleton depuis plus de 15 mois, démarrera à brève échéance, a promis le leader parlementaire libéral, Jean-Marc Fournier, lundi.
« Il y a plusieurs autres projets de lois aussi. Mais on veut avancer celui-là », a-t-il dit à quelques heures de la reprise des travaux à l’Assemblée nationale.
En plus d’établir les « conditions » d’attribution des « accommodements pour un motif religieux » par l’État, le projet de loi 62 oblige les employés du secteur public à exercer leurs fonctions à visage découvert, tout comme les personnes qui font appel à leurs services. « Discutons et votons ! », a lancé M. Fournier, se disant convaincu que l’obligation du « visage découvert » prévue dans le projet de loi 62 fait « consensus » au sein de la classe politique.
Pas si vite, ont tour à tour rétorqué les partis d’opposition. Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec se sont empressés de demander au gouvernement de frapper d’un interdit le tchador, et ce, au même titre que le niqab et la burqa, qui voilent le visage laissant apparaître une fente ou un grillage pour les yeux. « Il y a un consensus aussi sur [l’interdiction du] tchador. Si on marche par consensus, on peut avancer jusque-là », a fait valoir la députée péquiste Agnès Maltais.
« Avec le projet de loi 62, le gouvernement libéral va permettre aux fonctionnaires de l’État de travailler en tchador. À la CAQ, nous croyons à la laïcité de l’État. Si l’État est laïque, il faut que ça se voie », a renchéri la députée caquiste Nathalie Roy.
M. Fournier n’était pas enclin au compromis lundi. D’ailleurs, le gouvernement libéral refuse net de légiférer afin d’interdire le port des signes religieux chez les employés de l’État en position d’autorité — les juges, les procureurs de la Couronne, les policiers et les gardiens de prison —, comme le recommandait le rapport Bouchard-Taylor. « On a fait ce choix-là, parce qu’il nous semblait le mieux avisé », s’est-il contenté de dire aux médias. L’élu libéral s’est plutôt affairé à casser du sucre sur le dos du PQ et de la CAQ. « S’il y en a qui disent : “Moi, je veux plus.” Eh bien, ils iront aux prochaines élections dire aux Québécois : “Moi, je veux empêcher le monde de travailler. […] Voici comment ils doivent se vêtir. Je veux choisir pour eux leur garde-robe”», a-t-il déclaré au terme d’une relâche parlementaire longue de trois mois. « Nous, les gens vont être libres de leur tenue vestimentaire. On n’a pas besoin de changer notre Charte des droits et libertés par une charte du linge. »
À l’instar du PQ et de la CAQ, Québec solidaire exhorte le gouvernement libéral à « faire un pas de plus » et à prendre acte du « consensus québécois » en édictant une interdiction du port de signes religieux auprès des employés de l’État en position d’autorité. « On ne fera pas d’histoires, personne, pour la question de recevoir et donner des services à visage découvert. Ça fait plusieurs années que tout le Québec s’entendlà-dessus. Là, on est en bas d’un consensusquébécois », a soutenu l’élue solidaire Françoise David, tout en appelant ses confrères et ses consoeurs à débattre du projet de loi 62 « avec calme, avec sérénité ». « Ce sont des sujets délicats et explosifs », a-t-elle souligné
Mais, le débat s’annonce déjà houleux. Le prédicateur Adil Charkaoui souhaite être entendu durant les consultations publiques. Dans sa forme actuelle, le projet de loi 62 échouerait à coup sûr au test des tribunaux, a-t-il fait valoir dans un bref entretien téléphonique avec Le Devoir lundi. « Dans le Canada anglais, elles [femmes voilées] s’identifient tout simplement. Elles demandent une femme et elles s’identifient », a-t-il indiqué, s’expliquant mal l’objectif poursuivi par le gouvernement québécois. Par ailleurs, « toute société doit s’adapter », estime le porte-parole du Collectif québécois contre l’islamophobie. « Comme l’immigrant a un droit d’adaptation, la société a un devoir d’intégration », a-t-il soutenu.
Chose certaine, M. Charkaoui « ne sera pas sur la liste [des participants aux travaux de la commission parlementaire, qui sera soumise par le] Parti québécois », a fait remarquer Mme Maltais.
Les «vraies affaires» selon le gouvernement libéral
À deux ans des prochaines élections générales, le gouvernement libéral compte s’occuper des « vraies affaires ». Il croise les doigts afin que les controverses éclatées au cours des derniers mois — la vente des actions de Rona détenues par Investissement Québec et l’octroi d’une subvention de 3 millions de dollars à un proche du ministre Laurent Lessard par exemple — se dissipent pour lui permettre d’assurer l’atterrissage en douceur de projets de loi clés, à commencer par le projet de loi 70.Aide sociale Le blocage persiste autour du projet de loi 70. Les travaux doivent reprendre ce mardi avec l’étude du projet de loi article par article. Le PQ et QS ont multiplié les propositions d’amendements en espérant convaincre le ministre François Blais de ne pas imposer de réductions de prestations aux gens qui refuseraient de participer au programme Objectif Emploi lorsqu’ils s’inscrivent à l’aide sociale. Criant à l’obstruction, le premier ministre Philippe Couillard a récemment menacé d’imposer le bâillon si les travaux n’avançaient pas davantage. La Coalition Objectif Dignité a soumis six propositions de compromis toutes repoussées par le cabinet du ministre. « Ce qu’ils proposent, c’est une rencontre, mais à la suite de ça, il n’y a aucune obligation de s’engager dans quoi que ce soit », a fait valoir l’attaché de presse Simon Laboissonnière. « Donc la personne peut retourner chez elle et pendant 25 ans, on peut ne jamais en entendre parler sans qu’elle fasse un parcours de retour vers l’emploi. »
Chiens dangereux Le ministre Martin Coiteux entend faire connaître un projet de loi « rapidement ». Il envisage la possibilité d’interdire les pitbulls sur le territoire québécois, tout en permettant aux propriétaires actuels de conserver leur animal de compagnie après l’avoir fait stériliser.
Éducation À mi-mandat, le gouvernement Couillard veut tourner la page sur les années de « rigueur budgétaire » au premier chef en éducation. Cette tâche incombera au ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, qui s’est récemment lancé dans une vaste consultation publique visant à « moderniser » le réseau de l’éducation au Québec. Cela dit, le gouvernement libéral devra également calmer le mécontentement dans l’industrie du taxi après l’élaboration d’un projet pilote avec Uber et rétablir la confiance au ministère des Transports après les témoignages de l’ex-enquêteuse interne Annie Trudel et de l’ex-vérificatrice interne Louise Boily. Isabelle Porter