Consensus droite-gauche contre les régimes à deux vitesses

En s’attaquant de front à la notion d’ancienneté, les jeunes libéraux ont mis en évidence cette semaine un étonnant consensus gauche-droite sur les clauses de disparité de traitement, dites « orphelin ». Or cette fois, on ne parle pas d’iniquités dans les salaires, mais bien dans les régimes de retraite et dans les avantages sociaux.
Lors de son congrès qui se tiendra cette fin de semaine, la Commission-Jeunesse du Parti libéral va proposer que le gouvernement clarifie la Loi sur les normes du travail pour abolir les disparités de traitement en fonction de l’embauche tant dans les régimes de retraite que dans les régimes d’assurance collective, les fameuses « clauses orphelin ».
Fait rare : des représentants jeunesse de la FTQ ont salué la démarche. « On est d’accord avec la formulation de la proposition des jeunes libéraux », a plaidé jeudi Dominic Lemieux, adjoint au directeur québécois des Métallos, un syndicat affilié à la FTQ, en marge d’un débat du Forum social mondial.
Le débat sur les clauses de disparité de traitement n’a-t-il pas déjà été fait ? Pas au complet, répond-on. La loi votée en 2001 portait sur les inégalités liées au salaire ; or, avec le temps, les avantages sociaux et inégalités liés à la retraite ont pris de l’ampleur.
Le débat actuel prend sa source dans les demandes de plusieurs employeurs afin de transformer les régimes de retraite à prestations déterminées en régimes à cotisations déterminées pour les nouveaux employés. Dans certains cas, cette demande est formulée à cause des difficultés financières du régime, mais, dans d’autres cas, le régime peut être pleinement capitalisé, parfois à plus de 110 %. Certains syndicats sont déchirés à l’interne par ce débat, qui oppose des générations d’employés plus anciens à des plus jeunes.
« On a une loi sur l’équité salariale pour les femmes au Québec, pourquoi on ne tolère plus la discrimination envers les femmes mais on la tolère pour les jeunes ? » lance Dominic Lemieux. « Pour employer une caricature grossière, c’est comme si on négociait une convention collective qui va permettre un meilleur régime de retraite aux hommes qu’aux femmes. Ce serait socialement inacceptable. »
Mésentente sur l’ancienneté
Par contre, les jeunes leaders syndicaux martèlent que les jeunes libéraux « ratent la cible » en s’en prenant à l’ancienneté. « Personne ne parle de ça dans le monde syndical », fait valoir Maxime Sabourin, président du comité des jeunes de la FTQ. « Le monde syndical a évolué. Pour tout ce qui touche aux promotions, l’ancienneté n’est vraiment pas la seule chose qui est prise en compte. »
Les jeunes libéraux veulent abolir « un privilège qui n’existe pas », plaidait cette semaine le président du Syndicat de la fonction publique, Christian Daigle. Selon lui, cela découle d’une profonde méconnaissance de la fonction publique, puisque l’ancienneté n’a de l’impact que sur les congés et l’ordre des licenciements quand des postes sont supprimés.
Interpellé à ce propos, le président de la Commission-Jeunesse, Jonathan Marleau, rétorque que la proposition reflète le contenu de la consultation menée avant le congrès. « On ne pouvait pas ne pas en parler. C’était une inquiétude qui était vraiment présente », dit-il. « Tout le monde a des histoires à raconter sur l’ancienneté. Prenons l’exemple d’un cas où la personne ne travaillait plus, mais pouvait faire à peu près ce qu’elle voulait à cause de l’ancienneté ; un autre cas où une personne avec plus d’ancienneté avait plus d’autorité malgré sa faible envie de travailler… L’imaginaire collectif est plein d’histoires comme celles-là. »
Lorsqu’on lui demande si ses membres sont mal informés sur la réalité de la fonction publique, il rétorque que, « quand on fait des recherches par mots dans les conventions collectives, l’ancienneté apparaît quand même dans plusieurs pages », notamment dans celles des employés de l’État. « Est-ce que c’est grave dans chaque syndicat ? Assurément pas, mais les jeunes se posent ces questions-là et c’est légitime d’en débattre. »
Serait-il possible aussi qu’ils aient davantage en tête des secteurs comme la santé et l’éducation (le parapublic) ? « Ça pourrait expliquer ce malentendu-là », concède-t-il.
Interrogés là-dessus, les représentants jeunesse de la FTQ font valoir que ça ne s’applique pas dans le parapublic non plus. « Il y a plusieurs années, les plus anciens se planifiaient six semaines de vacances l’été et les plus jeunes se ramassaient avec une semaine avant l’été et une autre à l’automne. Ça, ça s’est réglé aux tables de négos depuis longtemps », affirme Dominic Lemieux.
Des jeunes sous-représentés
Mais encore, les syndicats ne sont-ils pas complices des clauses de disparité de traitement ? Ne voit-on pas parfois les syndicats lors des négos sauver les conditions de retraite au détriment d’autres combats, comme ceux des jeunes en situation précaire ?
« Il ne faut pas oublier que les syndicats, ce sont des membres qui votent à la toute fin », répond Maxime Sabourin du comité des jeunes de la FTQ. Il ajoute que, en changeant la loi pour interdire les régimes à deux vitesses, les employeurs privés pourraient moins facilement brandir la menace d’une délocalisation pour faire peur aux membres qui cherchent à préserver leurs acquis.
Les jeunes libéraux et ceux de la FTQ s’entendent par ailleurs pour dire que les jeunes sont sous-représentés dans les assemblées et les négos. En matière de régimes de retraite, les jeunes qui sont affectés par les décisions ne sont « pas encore embauchés », fait remarquer Dominic Lemieux.
En entrevue, Jonathan Marleau note aussi que les jeunes, parce qu’ils sont en situation précaire, sont moins représentés lors des assemblées. « Souvent, les gens qui votent ces conventions-là sont ceux qui sont en place et risquent d’en bénéficier. Ils ne vont pas voter pour les gens qui vont rentrer dans 20 ans. »