Une femme de tous les combats

Combative, tenace, Sylvie Roy n’a pas beaucoup rechigné aux combats pendant ses treize années au Parlement. Bref portrait d’une députée déterminée qui a souvent pris ses collègues par surprise.
Le député caquiste Éric Caire se rappelle bien la première fois où Sylvie Roy a dit au caucus qu’il fallait réclamer une commission d’enquête publique sur la corruption et la collusion dans l’industrie de la construction. « Je m’en souviens parce qu’on était en pleine course au leadership à l’ADQ. Elle est arrivée au caucus en nous disant qu’il fallait faire une sortie publique. On l’a tous regardée… Nous autres, on n’avait peut-être pas la tête à ça tellement. Elle a dit qu’il fallait absolument qu’on mette notre nez là-dedans. »
C’était en 2009. Pendant trois ans, la députée n’a pas manqué une occasion d’enfoncer le clou dans ce dossier. « Bien avant Jacques Duchesneau [élu sous la bannière caquiste en 2012], il y avait une femme qui criait haut et fort tous les jours et qui a fait avancer le dossier, et c’est Sylvie Roy », faisait remarquer lundi l’un des protagonistes clés du dossier, Ken Pereira.
M. Pereira et le témoin clé à la commission Charbonneau Lino Zambito ont aussi fait valoir que la députée était à l’origine de l’effet « boule de neige » qui a mené à la création de la Commission.
Sylvie Roy a succombé dimanche à Québec à une hépatite aiguë. Elle n’avait que 51 ans.
Indépendante d’esprit
Quand on lui demande pourquoi Mme Roy a semblé longtemps porter seule le dossier de la commission d’enquête, Éric Caire concède que son parti aurait pu l’appuyer davantage à partir de 2009. « Je vous rappelle le contexte de la course au leadership. […] Au niveau du caucus, disons que nous avions un peu la tête ailleurs. […] Avant que la poussière retombe sur ces événements, ça lui a laissé quelques sessions où elle était toute seule à porter ce dossier-là. »
Sans la commission, l’industrie ne serait pas où elle est aujourd’hui. Je pense que son travail a été colossal par rapport à tout ça. Les retombées de la commission ont profondément changé l’industrie.
En 2009, Sylvie Roy était elle-même chef par intérim du parti. Elle était alors l’une des plus anciennes de l’ADQ à siéger.
Dès 2003, elle avait été élue aux côtés de Mario Dumont, Janvier Grondin et Marc Picard. Lors du précédent mandat, M. Dumont était seul à représenter le parti au Parlement, mais quatre députés l’avaient rejoint lors d’élections complémentaires en 2002.
Originaire de La Tuque, cette avocate de formation avait auparavant été mairesse de Sainte-Sophie-de-Lévrard, une petite municipalité de quelques centaines d’habitants dans le Centre-du-Québec.
Sa première intervention en Chambre allait donner le ton aux années à venir. « Chez nous, on préfère nettement les choses utiles aux grandes conceptions et aux théories profondes », avait-elle lancé avant de faire tout un coup d’éclat en déposant une motion de censure contre le gouvernement libéral. « Ce dernier, dénonçait-elle, n’avait pas respecté sa promesse d’ouvrir davantage de salles d’opération dès le lendemain de l’élection afin de diminuer les délais d’attente. »
Mis au fait de cette anecdote, Éric Caire a ri. « Je ne suis tellement pas étonné, c’est du Sylvie tout craché ! » Par contre, la cause devait lui tenir à coeur pour qu’elle fonce, dit-il. « Je l’ai souvent entendue dire : “OK, faites ça si vous voulez, mais moi, je ne suis pas d’accord avec ça.” »
L’ensemble de l’oeuvre
Sinon, sa combativité lui a souvent valu de se faire écorcher par ses adversaires. En 2010, elle avait réclamé des excuses au ministre délégué au Transports, Norman MacMillan, qui l’avait traitée de « grosse crisse ».
Elle a d’ailleurs souvent reproché au gouvernement de s’attaquer à elle pour détourner l’attention dans le dossier de l’industrie de la construction. « Au lieu de faire le vrai procès, le procès de la commission d’enquête sur l’industrie de la construction, il a décidé de faire mon procès à moi, mon procès parce que j’ai posé des questions. […] Il y a juste une chose dans laquelle le gouvernement Charest a été cohérent, c’est la défense du gouvernement libéral », plaidait-elle en octobre 2009.
Elle était une députée prenant à coeur son rôle de parlementaire. Elle a fait de la question de l'intégrité et de la saine gestion des fonds publics une de ses grandes valeurs et pour cela, moi à titre d’ancien vérificateur général et à titre de citoyen du Québec, je la remercie profondément.
En plus du dossier de la corruption, la députée de Lotbinière (puis d’Arthabaska) a lancé l’alarme dans d’autres dossiers, souligne Éric Caire. « Avant que la première ligne soit écrite dans le premier journal sur le dossier de l’Université du Québec à Trois-Rivières [UQTR], ça faisait des semaines que Sylvie nous parlait de ça et disait que c’était le prochain gros scandale et qu’il fallait demander une vérification interne. »
Le député garde d’ailleurs d’elle le souvenir d’une « femme équilibrée » qui valorisait beaucoup le temps passé avec sa famille. Quand on lui fait remarquer que cette image peut trancher avec les reproches du chef de la CAQ l’an dernier concernant son « comportement », M. Caire rétorque qu’il « faut faire la différence entre l’ensemble de l’oeuvre et les derniers milles ».
Fait intéressant, la dernière intervention de Sylvie Roy en Chambre portait encore sur le thème de la collusion, cette fois en raison des irrégularités dans la gestion des contrats au ministère des Transports. « Ça fait déjà neuf ans qu’on parle de ça ici, là, j’aimerais ça qu’on parle d’autres choses que de la corruption puis de la collusion à l’Assemblée nationale », déplorait-elle.
En vidéo: la dernière intervention en chambre de la députée d’Arthabaska, Sylvie Roy, le 10 juin 2016. Source: Archives, Assemblée nationale du Québec
La population pourra rendre un dernier hommage à Mme Roy les 7 et 8 août à Trois-Rivières. Les funérailles seront célébrées le lundi 8 août à 16 h en la cathédrale de l’Assomption à Trois-Rivières.