Le bord de route comme destination vacances

Un groupe d’étudiants en aménagement à l’Université Laval a repensé la halte routière comme une destination en soi. Et pour plusieurs experts, les haltes québécoises ont le potentiel de servir l’industrie touristique. Participants aussi à ce projets : Violaine Giroux, Julie Roy, Frédéric Quirion.
Photo: Photo fournie par Laurence St-Jean Un groupe d’étudiants en aménagement à l’Université Laval a repensé la halte routière comme une destination en soi. Et pour plusieurs experts, les haltes québécoises ont le potentiel de servir l’industrie touristique. Participants aussi à ce projets : Violaine Giroux, Julie Roy, Frédéric Quirion.

Bâtiments vétustes, toilettes nauséabondes, café infect, paysages ennuyants… Les haltes routières des autoroutes du Québec ne sont pas très attrayantes. Et si on réinventait le concept ?

C’est ce qu’a proposé cet hiver un groupe d’étudiants en architecture et design urbain de l’Université Laval dans un atelier. « On voulait amener les touristes à s’approprier les lieux, à se promener dans la halte au lieu de simplement faire un arrêt et repartir », explique l’une de ses membres, Laurence St-Jean.

Faire un arrêt pour apprécier quoi au juste ? « On s’est rendu compte que les haltes cachaient des petits bijoux du paysage québécois : des rivières, des chutes… Mais on ne s’en rend pas compte parce que la halte ne met pas ça en valeur. »

En effectuant une tournée de différentes haltes, le groupe d’étudiants a en effet découvert toutes sortes de choses dans leur arrière-cour : à Boischatel, un magnifique point de vue sur le fleuve ; à Saint-Malachie, la proximité de la rivière Etchemin. « La signalisation pourrait par exemple nous indiquer la présence d’une rivière ou d’une falaise », poursuit l’étudiante à la maîtrise.

« On pourrait même penser à les relier avec des parcours permettant de visiter les paysages riverains, des routes des saveurs, ou de relier les haltes à d’autres attraits régionaux. »

Selon leur professeure Geneviève Vachon, de l’École d’architecture, l’idée est vraiment intéressante. « Ce sont vraiment des lieux oubliés dans nos parcours et nos paysages. […] Alors qu’on innove dans l’aménagement des villes et des banlieues, ça, ça n’a pas bougé. Comme une photo figée dans le temps. »

Photo: Fournie par Laurence St-Jean Les étudiants ont recensé des paysages intéressants mais méconnus ou mal mis en valeur autour des haltes existantes. Plusieurs haltes auraient besoin d’être rénovées, et leur aménagement revu.
  

L’exemple de la Norvège

Or ailleurs, on innove. En Norvège, les haltes routières sont devenues des destinations touristiques en soi. À l’invitation du gouvernement, des artistes et architectes ont conçu de magnifiques haltes mettant en valeur les paysages naturels du pays. « L’objectif, c’est d’amener les touristes dans l’arrière-pays. […] Ça fait en sorte qu’on profite des arrêts sur la route pour apprécier les paysages », explique Laurence St-Jean, qui s’est beaucoup inspirée du modèle.

Au Québec, le professeur Philippe Poullaouec-Gonidec essaie depuis 20 ans de convaincre le ministère des Transports de changer d’approche. « Tôt ou tard, il va falloir s’attaquer à ce problème-là », avance le titulaire de la Chaire UNESCO en paysage et environnement de l’Université de Montréal (CUPEUM).

« On ne pourra pas enlever les haltes routières. On a besoin de s’arrêter sur la route. Même le ministère des Transports nous incite à nous arrêter pour éviter qu’on s’endorme. Mais moi, j’évite parfois de m’arrêter parce que je ne veux pas m’arrêter dans un endroit épouvantable ! »

Plusieurs de ces haltes n’ont pratiquement pas été rénovées ces dernières décennies, déplore-t-il. « À part deux ou trois cas récents, l’ensemble des haltes routières est à repenser », dit-il. Et la réflexion devrait se faire entre le ministère et les collectivités locales, selon lui. « On pourrait mettre en valeur le territoire, faire différentes choses. Faire des expositions, des projets d’architecture, de jardin ou de land art… Pour qu’on ait le goût de s’arrêter. Pour que ce soit un plaisir de prendre l’autoroute et pas une corvée. »

  

Rénovations

 

Au ministère des Transports, on répare les erreurs du passé. Un vaste projet visant à gérer les haltes routières du Québec en partenariat public-privé ces dernières années a mal tourné en 2012, quand le partenaire du gouvernement (Aires de service Québec) l’a traîné en justice en raison d’une mésentente sur le versement de primes à l’entreprise. Le coûteux dossier est resté sur la glace jusqu’au lancement au printemps d’un projet-pilote à l’aire de service du Point-du-Jour de Lavaltrie. Le site doit être « modernisé » d’ici à l’an prochain. Mais la réflexion ne va pas jusqu’à la mise en valeur des paysages, semble-t-il. « On parle de moderniser le bâtiment, le terrain », a indiqué mardi le porte-parole du ministère, Alexandre Bougie.

« Deux autres projets sont en cours de planification sur la route 289 à proximité de l’ancienne ville de Gagnon et une halte routière du domaine sur la route 117 dans la réserve faunique de La Vérendrye, poursuit-il. À terme, le ministère vise à moderniser 33 haltes routières le long des routes et autoroutes nationales. »

Quant au rôle du privé, il reste nébuleux à cette étape-ci. « Présentement, le ministère revoit son modèle d’affaires », dit-on.

Le ministère a aussi entrepris un virage techno. À l’automne, le ministre de l’époque, Robert Poëti, a lancé deux projets-pilotes. Le premier vise à créer des « aires de textage » avec un réseau sans fil gratuit pour permettre aux utilisateurs de téléphones intelligents de faire une pause sécuritaire sur la route afin de répondre à des messages. Pour l’heure, sept aires de ce genre ont été créées ; trois autres devraient suivre.

Le second vise quant à lui à aménager des bornes de recharge pour les voitures électriques. Onze de ces bornes ont été installées dans les aires de services de Lavaltrie, Maskinongé, Saint-Augustin-de-Desmaures (A-40), Melbourne (A-55), Rivière-Beaudet et Rigaud (A-20). « On étudie avec Hydro-Québec la possibilité d’en ajouter d’autres au cours des prochaines années », précise le porte-parole du MTQ.

Interrogé là-dessus, le professeur Poullaouec-Gonidec salue l’initiative mais la juge insuffisante. « Pour moi, c’est un minimum. Mais il faut voir plus loin que ça. Il faut voir un projet de type culturel qui peut devenir un atout pour le tourisme. »

Le réseau routier québécois compte 134 lieux d’arrêts publics, dont 9 aires de service, 18 haltes routières permanentes, 30 haltes routières saisonnières, 33 belvédères, 40 villages-relais et 4 aires de repos pour camionneurs.

À voir en vidéo