Pas d’argent frais pour la francisation des enfants d’immigrants

Même si le gouvernement Couillard s’est engagé à réinvestir 500 millions pour les services aux élèves, les coupes imposées en 2015-2016 à la francisation des enfants d’immigrants dans les écoles primaires et secondaires risquent d’être reconduites l’an prochain.
Comme le révèlent les documents déposés lors de l’étude des crédits du ministère de l’Éducation ce printemps, les sommes allouées à l’accueil et à la francisation des élèves non francophones ont subi une « réduction budgétaire » arbitraire de 13,6 millions pour l’année scolaire qui vient de se terminer, soit 26 % d’une enveloppe de 51,4 millions consentie aux commissions scolaires à cette fin. Or le projet de règles budgétaires auxquelles seront soumises les commissions scolaires en 2016-2017 ne prévoit globalement aucune hausse de l’allocation pour l’accueil et la francisation des enfants d’immigrants. Le Conseil du trésor doit confirmer sous peu les règles budgétaires qui s’appliqueront lors de la rentrée scolaire de septembre.
Aux yeux des directions des commissions scolaires de Montréal et de la Capitale, qui accueillent le plus grand nombre d’enfants d’immigrants dans leur région respective, les coûts des services accordés aux élèves non francophones sont difficilement compressibles, à moins de priver ces nouveaux arrivants d’un soutien dont ils ne peuvent se passer.
Essentiellement, ces élèves non francophones sont regroupés dans des classes spéciales, dont le ratio enseignant-élèves est réduit à 17 contre un ratio variant entre 22 et 26 au primaire, afin de leur enseigner de façon intensive le français, mais aussi de pallier la sous-scolarisation de certains d’entre eux. En général, ils fréquentent ces classes pendant toute une année scolaire avant de rejoindre les autres élèves dans les classes normales.
Allocation en baisse
« Ce n’est pas un service qu’on peut vraiment rationaliser parce que c’est vraiment des services aux élèves », a indiqué au Devoir la présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Catherine Harel Bourdon. « On ne peut pas les intégrer dans des classes régulières. »
Pour l’année 2015-2016, la CSDM a vu son allocation versée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) pour l’accueil et la francisation des enfants d’immigrants réduite de 20 %, soit une ponction de 3 millions, sur un budget d’un peu moins de 15 millions. La CSDM a toutefois dégagé une somme de 1,5 million pour amoindrir l’effet de la compression.
Selon le projet de règles budgétaires, le MELS entend maintenir cette coupe : l’allocation prévue pour 2016-2017 est sensiblement la même que celle octroyée pour cette année, soit 11,6 millions. Or, selon un tableau indicateur produit par une firme externe pour la CSDM, même avec une allocation intégrale de 15 millions, il en coûte plus cher à la commission scolaire pour fournir les services aux enfants d’immigrants : l’écart est de 5,6 millions.
À la Commission scolaire de la Capitale (CSC), la situation est semblable. Sa porte-parole Marie-Elaine Dion a précisé que l’allocation versée par le MELS pour l’accueil et la francisation des élèves non francophones était passée de 1,285 million en 2014-2015 à 712 000 $ pour l’année qui vient de se terminer. La CSC a toutefois ajouté 504 000 $ au budget afin de répondre aux besoins, mais, finalement, c’est plus de 1,5 million de dollars qu’elle aura dépensés pour accueillir ces enfants. En outre, le nombre de classes spéciales est passé de 5 l’an dernier à 10 cette année. On s’attend à recevoir une allocation un peu plus généreuse pour l’an prochain, soit 971 000 $, ce qui reste bien en deçà de la dépense réelle.
Équilibre budgétaire
Avant les coupes et les dépenses supplémentaires qu’elles ont occasionnées, la CSDM affichait un déficit de 12 millions et elle s’est engagée à renouer avec l’équilibre financier en 2016-2017. Selon son porte-parole Alain Perron, l’injection par la CSDM de 1,5 million dans les services aux enfants d’immigrants ne doit pas compromettre cet objectif financier.
En 2014-2015, la CSC a également affiché un déficit, soit 1,83 million. Mais parce qu’elle peut puiser dans des surplus accumulés, elle a pu effacer l’ardoise.
À la Commission scolaire des Découvreurs (CSD), de la région de Québec, on a adopté une stratégie différente pour affronter les coupes. Plutôt que de regrouper les élèves non francophones dans des classes spéciales, on les intègre dans les classes normales tout en leur donnant des cours de français en dehors des heures de classe. « Les parents ne veulent pas du service de francisation même si on reçoit du financement. Ça nous avantage », a expliqué au Devoir le directeur adjoint des services éducatifs de la CSD, Mario Plante. La commission scolaire a ainsi moins ressenti l’effet des compressions. « Ça reste qu’on est dans un milieu favorisé », a-t-il souligné. Les enfants d’immigrants proviennent de familles très scolarisées. « On a moins de réfugiés sous-scolarisés », a-t-il fait observer.
À l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, on craint l’effet de ces coupes même si elles sont partiellement compensées par la CSDM. « La commission scolaire doit retrouver l’équilibre budgétaire. Il faut qu’elle trouve l’argent ailleurs et qu’elle coupe ailleurs, ce qui n’est quand même pas évident », estime la présidente de l’Alliance, Catherine Renaud.
Selon les données de la CSDM, plus de 3000 élèves fréquentent les classes spéciales destinées aux élèves non francophones. Réduire l’accès à ces classes pourrait entraîner des conséquences néfastes pour ces enfants d’immigrants, craint la chef syndicale. « Quand on ne maîtrise pas bien la langue française et qu’on n’a pas les services nécessaires, on accumule les retards. Donc, on parle peut-être d’élèves qui pourraient développer des difficultés d’apprentissage, qui pourraient être référés dans des classes spécialisées, qui auraient besoin d’autres services d’enseignants orthopédagogues ou autres. C’est sans fin. »