Des données ouvertes, mais peu accessibles

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
Le 12 mai dernier, le gouvernement fédéral faisait un arrêt à Montréal pour une consultation autour de son prochain plan d’action pour un gouvernement ouvert.
Photo: iStock Le 12 mai dernier, le gouvernement fédéral faisait un arrêt à Montréal pour une consultation autour de son prochain plan d’action pour un gouvernement ouvert.

Ce texte fait partie du cahier spécial Fonction publique

Les données ouvertes, engendrées grâce aux technologies numériques, annoncent une véritable révolution dans la transparence des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéraux. Mais cette transformation tarde à venir. Pourquoi ?

Le gouvernement du Québec a lancé le portail Données Québec au début du mois d’avril. Ce site réunit environ 800 jeux de données ouvertes libérés par les ministères, municipalités et organismes publics du Québec.

Néanmoins, « l’écart entre le potentiel et la réalité de ce à quoi on a accès est immense », soulevait Daniel J. Caron, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), lors d’une communication dans le cadre du congrès de l’Acfas, le 13 mai dernier à l’UQAM. En compagnie de son collègue Christian Boudreau, aussi professeur à l’ÉNAP, il a présenté lors de ce congrès un avant-goût de constats qu’ils ont dégagés à la suite d’entrevues semi-dirigées réalisées auprès d’une quarantaine d’employés de services municipaux, de ministères et d’organismes publics. Cette étude, dont ils dévoileront le rapport de recherche et des résultats plus exhaustifs dans les prochains jours, a été réalisée pour le compte du Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO). La démarche vise à « comprendre la dynamique interne et pourquoi les choses avancent à pas de tortue », a expliqué M. Caron.

Ce dernier a constaté d’emblée que les employés des services municipaux comprennent bien ce que sont les données ouvertes, soit des données brutes libérées dans leur format existant pour les remettre entre les mains des citoyens, à travers un site web, afin que ces derniers puissent les réutiliser à leur guise.

En revanche, M. Caron a observé un certain inconfort au sujet de la gouvernance dans les appareils municipaux, lorsqu’il n’est pas clair de qui relève la responsabilité ou le leadership dans ce dossier. De plus, les employés se retrouvent souvent sans guide, ni manière de procéder, alors que bien des données n’ont pas été préparées pour être libérées publiquement.

Même s’ils y voient de nombreux bienfaits potentiels, notamment pour le bon déroulement de la ville intelligente, les fonctionnaires se soucient de certains risques, notamment en ce qui concerne la divulgation d’informations confidentielles.

Plusieurs des fonctionnaires interrogés croient qu’une volonté politique clairement exprimée, une stratégie ou des ressources supplémentaires permettraient de dégager des pistes de solution.

De plus, certains jugent que la culture de documentation doit être revue. « On est dans une structure un peu archaïque, un peu dinosaure, dans la façon dont on a construit notre information à l’interne, mais on est conscient qu’il va falloir bouger et aller de l’avant », a observé M. Caron.

Du côté des ministères et des organismes publics, les fonctionnaires perçoivent aussi plusieurs avantages à la libération des données, notamment un allégement du travail associé aux demandes d’accès à l’information, a constaté Christian Boudreau.

Reste que depuis 2012, peu de jeux de données ont été mis en ligne par Québec. Parmi les freins identifiés par les travailleurs de la fonction publique québécoise, il y a notamment le fait que les diverses technologies utilisées au sein des organismes et ministères étaient parfois désuètes ou manquait d’interopérabilité, ce qui complexifiait la tâche quand venait le temps d’extraire, de réunir et de diffuser certaines données. « Il y a des ministères et des organismes publics qui vendent des données. Pour eux, les libérer, ça veut dire perdre des revenus si on n’a pas de mesures compensatoires », a aussi évoqué M. Boudreau, toujours lors du congrès de l’Acfas.

« Il y a beaucoup de travail à faire, a-t-il analysé. C’est une transformation gouvernementale, parce qu’on n’est pas en train de simplement connecter des fils. On est train de dire au gouvernement : dorénavant, vous n’êtes plus le gardien de l’information, mais au contraire un diffuseur d’information. » Dans ce changement de culture organisationnelle, « les ministères ne suivront pas s’il n’y a pas de directives et d’orientations venant de très haut », a-t-il jugé.

À Montréal

 

La Ville de Montréal et le gouvernement fédéral se sont engagés, à travers leurs politiques de données ouvertes, à adopter une approche d’« ouverture par défaut », c’est-à-dire que toutes nouvelles données recueillies devraient être systématiquement rendues publiques, sinon ils auront le fardeau d’expliquer pourquoi ils ne les divulguent pas.

Jean-Noé Landry donne des formations à des employés municipaux. « Des fois, les gens s’arrêtent en se disant qu’on va attendre que la donnée soit d’une qualité impeccable avant de la libérer et de la rendre publique dans un format ouvert, alors qu’on constate que c’est lorsqu’on met des données qui ne sont pas nécessairement parfaites qu’il y a des communautés d’intérêts et des parties prenantes qui vont travailler avec le gouvernement pour les nettoyer, les raffiner et en améliorer la qualité », explique en entrevue téléphonique le directeur général de l’entreprise d’économie sociale Nord Ouvert, qui crée des sites web pour favoriser la transparence gouvernementale et la participation citoyenne.

Le gouvernement canadien, quant à lui, semble se comparer avantageusement aux autres pays du G8 avec plus de 200 000 jeux de données mis en ligne. N’empêche, Christian Boudreau a qualifié le portail de données ouvertes du gouvernement canadien d'« indéchiffrable » lors du congrès de l’Acfas.

Le 12 mai dernier, le gouvernement fédéral faisait un arrêt à Montréal pour une consultation autour de son prochain plan d’action pour un gouvernement ouvert. À la Maison Notman, une quinzaine de personnes étaient venues échanger et émettre leur point de vue. En séance plénière, certaines préoccupations se faisaient plus insistantes, dont celle de rendre les données mises en ligne plus faciles à comprendre, à consulter et à réutiliser par les citoyens.

« Il faut mettre des données brutes en ligne, c’est essentiel. Mais de plus en plus les gouvernements savent que ce n’est pas suffisant, lanceM. Landry. Sur les portails de données ouvertes les plus avancés, on voit des outils pour manipuler, croiser ou structurer les données de manière à mieux les intégrer dans les logiciels ou d’autres interfaces ».

Il souligne que lorsqu’on « parle de gouvernance ouverte il faut aussi parler d’accessibilité des preneurs de décisions et mettre en place des mécanismes inclusifs. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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