L’UPAC enquête sur le MTQ

Accusé de ne pas avoir pris en compte des plaintes concernant le ministère des Transports, l’UPAC est sorti de son mutisme habituel pour confirmer au Devoir qu’il y a bel et bien une enquête sur des irrégularités au MTQ. C’est le témoignage de l’ex-ministre Robert Poëti qui a mis le feu aux poudres dans ce dossier, plongeant le gouvernement et une sous-ministre dans l’embarras mercredi.

« Il y a des enquêtes en cours » par rapport au MTQ, a laissé échapper en entretien le directeur des opérations de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), Michel Pelletier.

L’UPAC ne confirme habituellement jamais ce genre d’information, gardée secrète jusqu’à ce qu’il y ait des perquisitions. Elle indique une fois par année le nombre d’enquêtes qui sont en cours, sans en préciser la teneur. M. Pelletier n’a pas voulu préciser mercredi si les enquêtes liées au MTQ touchent les mêmes dossiers que ceux évoqués par Robert Poëti.

Une source bien au fait du dossier émet ainsi des doutes sur la profondeur de cette enquête, affirmant que plusieurs dénonciateurs au sein du MTQ n’ont jamais été rencontrés par l’UPAC.

Mais l’UPAC a certainement le dossier en main. Le ministre Jacques Daoust a confirmé avoir envoyé à l’UPAC une clé USB contenant toutes les informations colligées par l’enquêteuse Annie Trudel. Celle-ci avait été engagée par Robert Poëti lors de son arrivée en poste au ministère pour qu’elle détermine si les pratiques douteuses soulevées par Jacques Duchesneau dans son rapport de 2011 sur le MTQ avaient toujours cours.

« On a transmis tout cela à l’UPAC. Alors si l’UPAC veut prendre des décisions à partir de ça, de pousser une enquête plus loin, on n’a aucun problème avec ça », a-t-il répondu aux journalistes mercredi matin.

Ça va faire trois mois, j’ai compris. J’ai eu du premier ministre les raisons, les orientations sur les gens de région, et plus de femmes, je l’ai compris, il me l’a dit. Je ne doute pas des paroles du premier ministre.

 

Les reproches de Poëti

Robert Poëti s’est montré prudent mercredi, alors qu’une enquête publiée par L’actualité et en bonne partie appuyée sur les commentaires de l’ex-ministre volait l’attention à Québec.

M. Poëti a notamment tenu à exprimer sa confiance en son successeur. Pourtant, dans une lettre envoyée il y a à peine trois semaines au ministre Daoust — document qui a été déposé à l’Assemblée nationale mercredi —, M. Poëti dénonçait le manque de suivi effectué dans ce dossier depuis son départ en janvier dernier.

« Il y a bientôt trois mois que le dernier remaniement a pris effet. Depuis, aucune requête provenant du cabinet ou du nouveau ministre, pour faire une transition ou, minimalement, s’informer des dossiers qui étaient en cours ou sur le point d’être traités n’a été signifiée. […] Il m’aurait semblé normal d’effectuer une transition afin de pouvoir ou de devoir informer le ministre ou son personnel de certaines situations importantes, voire préoccupantes. Je me dois, en mon âme et conscience, de vous informer de façon formelle de ces préoccupations. »

Dans cette lettre, il parle de « préoccupations sur le plan éthique, administratif ou criminel » au sein du MTQ et réclame un suivi. Il précise qu’avant le remaniement, il avait posé des « questions précises » à la sous-ministre Dominique Savoie. Mais celle-ci a « étiré le temps à outrance » sans jamais lui donner de réponse sur ce qui se passait.

En entrevue à L’actualité, Robert Poëti laissait entendre que celle-ci avait possiblement un lien avec son départ-surprise du Conseil des ministres en janvier dernier. « Il ne faut jamais sous-estimer la force d’un sous-ministre », affirmait-il en guise de conclusion.

Le premier ministre Philippe Couillard s’est défendu d’avoir voulu « tasser » Robert Poëti en lien avec ce dossier, comme le martèlent les oppositions. « Il n’est pas question de protéger qui que ce soit, il n’est pas question de cacher qui que ce soit ou quoi que ce soit. » Jouant la carte de la transparence, il a invité la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, à se pencher sur ce dossier. Celle-ci s’est dite disposée à amorcer sans tarder l’examen du MTQ.

Je réitère que je n’ai pas signé de contrats de gré à gré et je n’ai pas fait de fractionnement

 

De passage devant les membres de la Commission de l’administration publique mercredi, la sous-ministre des Transports, Dominique Savoie, s’expliquait mal la sortie médiatique de M. Poëti. « Je ne veux pas lancer une guerre avec un ministre avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. Moi, il ne m’a jamais fait de reproches. »

Mme Savoie a invité les élus à ne pas voir des « actes criminels » derrière les « insatisfactions administratives » « sans incidence financière » — rapportées dans le rapport d’audit des professionnels en conformité des processus (PCP, qui sont des vérificateurs). « En fait, tout tourne autour du fait que c’est un rapport qui parle de gestion administrative et non pas de gestion contractuelle, criminelle ou de choses comme ça », a-t-elle souligné lors d’un impromptu de presse. « Je n’ai rien à me reprocher », a-t-elle ajouté.

La haute fonctionnaire dit ne pas avoir été en mesure de confirmer les informations selon lesquelles des PCP ont fait l’objet d’intimidation de la part de leur patron immédiat (dont il devait évaluer le travail). À tout le moins, aucun d’entre eux ne s’en est plaint. « C’était unanime, les 14 ont dit : “ On n’est pas victimes de harcèlement, d’intimidation  », a fait valoir Mme Savoie.

Si ce qui est rapporté est vrai, c’est totalement inacceptable et ça vient démontrer que le ménage n’a pas été fait, ni dans les pratiques de vérification ni dans les pratiques comptables

 

Pas de « cachettes »

Mme Savoie s’est défendue d’avoir « fait des cachettes » à M. Poëti et d’avoir refusé les suggestions du ministre de déplacer les PCP au sein du MTQ pour les mettre à l’abri de toute ingérence ou intimidation. « Je répète ce que j’avais dit au ministre, que j’étais prête à le regarder, mais je ne faisais pas d’opération […] parce que je ne trouvais pas idéale sa suggestion de faire relever d’un même directeur un professionnel qui vérifie les contrats et son collègue [qui] va venir le voir pour lui dire c’est bien fait ou pas, sa job. Je voulais que ça reste deux entités », a-t-elle fait remarquer.

Elle a aussi nié en bloc avoir « fractionné » des contrats octroyés de gré à gré à d’ex-employés du MTQ. Mme Savoie a acquiescé à la demande de membres de la CAQ de remettre une copie du contenu de la clé USB — sur laquelle des « milliers de documents de toutes sortes et de toutes formes » colligées par l’enquêteuse Annie Trudel se trouvent —, mais seulement après avoir obtenu le feu vert de l’état-major de l’UPAC. Elle craint d’« éventer une preuve » par mégarde.

Mme Savoie a encaissé coup après coup avec aplomb. Elle a cependant eu du mal à expliquer la présence de plusieurs versions d’un rapport d’audit des professionnels en conformité des processus (PCP) qui circulaient. « Je suis troublé », a lâché le député libéral Guy Ouellette.

L’ex-agente de renseignements de l’Unité anticollusion (UAC) Annie Trudel a récemment « démissionné », car le « lien de confiance était brisé avec la sous-ministre » Dominique Savoie, a indiqué l’attachée de presse de M. Daoust, Mélissa Turgeon.

Femme d'influence

La sous-ministre des Transports, Dominique Savoie, en mène large. Elle l’a démontré en tenant tête à l’ex-ministre Robert Poëti. La haute fonctionnaire s’est gardée pendant plus d’un an de lui remettre un rapport d’audit dont elle ne partageait pas les conclusions. « L’organisation d’un ministère, ça relève d’un sous-ministre », a-t-elle lancé sans détour mercredi.

 

La diplômée en psychologie a oeuvré au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, où elle a gravi les échelons, passant de directrice des opérations locales de l’île de Montréal en 1998 à sous-ministre en 2009. À l’été 2011, elle est mutée au ministère des Transports (MTQ). Sous sa gouverne « la préoccupation semble changer. On est beaucoup plus préoccupé par les suites du rapport du vérificateur général [2009]. On est préoccupé par la création d’une unité anticollusion. On est préoccupé par le rapport Duchesneau, mais ce qui avait été fait par la vérification interne, ça… on en parle moins », a observé l’analyste enquêteur Guy Desrosiers devant la commission Charbonneau.

 

Mme Savoie a aujourd’hui ses entrées auprès du secrétaire général du gouvernement, Roberto Iglesias, avec qui elle entretient une « très bonne » relation professionnelle.

 

La « femme d’influence […] impressionnante et inspirante » touche selon le quotidien Le Soleil un salaire annuel de plus de 210 000 $, en plus d’allocations totalisant quelque 12 000 $.



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