Un pied sur l’accélérateur, un pied sur le frein

Photo: Michaël Monnier Le Devoir

Après deux années de dures compressions budgétaires, le gouvernement Couillard tentera jeudi de créer l’impression qu’il « réinvestit » dans les services publics. Mais si le ministre des Finances était un pilote de course, on verrait qu’il garde un pied sur la pédale de frein — cela, même si son moteur fait beaucoup de bruit.

À peu près tous les pays du monde, y compris le Canada (et le Québec), se démènent dans une économie qui fait du surplace. Le premier ministre Couillard a déclaré au cours des derniers jours que son gouvernement a maintenant les moyens d’investir dans l’éducation tout en atteignant l’équilibre budgétaire dès cette année. Les analystes attendent cependant de voir les chiffres du budget, qui sera déposé jeudi, avant de conclure à un réel « réinvestissement ».

« Je suis un peu dubitatif quand j’entends le premier ministre parler de réinvestissement. Est-ce que ça sera majeur ? J’en doute », dit François Delorme, économiste à l’Université de Sherbrooke.

Le gouvernement Couillard est pris dans une « camisole de force » avec son obsession du déficit zéro, estime le professeur. M. Delorme est favorable à la saine gestion des finances publiques, mais il estime que le gouvernement est allé trop vite.

« L’équilibre budgétaire a été atteint en fragilisant le filet social. Il est difficile de recoudre une maille qui a été coupée, dit l’économiste. Il y a des portions de la société qui ont souffert plus que d’autres. Les universités et les CPE étaient déjà fragiles, on les a amenés proches de tomber du filet. »

L’écho est similaire auprès de l’économiste émérite Pierre Fortin. « L’objectif d’atteindre l’équilibre budgétaire est bien correct, dit-il. Mais il faut aussi tenir compte de la conjoncture économique et de ses fluctuations. »

Or, M. Fortin estime que le gouvernement aurait dû percevoir « que cette conjoncture économique ne s’annonçait pas très bonne. Étaler l’objectif de déficit zéro sur deux ou trois ans aurait été mieux avisé », pense-t-il.

François Delorme croit que la stratégie du gouvernement Trudeau est plus efficace en cette ère de faible croissance économique : les libéraux fédéraux ont indiqué qu’ils s’apprêtent à faire un important déficit pour relancer l’économie. L’important est de s’assurer que le poids de la dette diminue par rapport à la taille de l’économie — ce qui sera le cas à Ottawa malgré les déficits —, précise l’économiste.

Le vaste programme d’infrastructures prévu par le gouvernement Trudeau profitera aux provinces, qui ont avantage à s’endetter pour stimuler l’économie, rappelle quant à lui Benoit Durocher, économiste principal chez Desjardins.

Il croit que le ministre Carlos Leitão sera très prudent en raison de la faible croissance économique prévue au Québec — 1,3 % en 2016 et 1,6 % en 2017, selon Desjardins. Avec le vieillissement de la population, ces prévisions sont proches du potentiel de croissance économique du Québec à moyen terme, explique Benoit Durocher. « La marge de manoeuvre budgétaire est limitée », dit-il.

L’ampleur des coupes imposées au cours de cette période d’austérité ne fait pas consensus. Pierre Fortin arrive à un calcul d’environ 2,5 milliards. Mais dans les faits, dit-il, les politiques budgétaires du gouvernement Couillard auront enlevé 3,5 milliards à l’économie québécoise, soit un peu moins de 1 % du PIB — la moitié de la croissance.

L’Observatoire des conséquences des mesures d’austérité au Québec — mis sur pied par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) — évalue pour sa part à 4 milliards le total des compressions annoncées. L’IRIS calcule non seulement les coupes prévues dans le budget, mais aussi toute compression ayant « fait l’objet d’une couverture médiatique » et ayant été associée à l’austérité.

Dans son Bilan de l’observatoire publié mardi, l’IRIS soutient que « toutes les dimensions de la vie en société ont été affectées », et que « malgré les promesses d’investissements, les dommages sont faits et leurs effets continueront à se faire ressentir ».

À l’autre bout du spectre, l’Institut économique de Montréal (IEDM) propose une lecture différente de la situation. « En regardant les données contenues dans les plans budgétaires, on voit que les dépenses augmentent constamment d’une année à l’autre », dit Youri Chassin, économiste et directeur de la recherche.

L’économiste soutient que « ce sont surtout les augmentations de revenus du gouvernement [taxes, impôts et tarifs] qui ont permis le retour à l’équilibre budgétaire ».

L’équilibre budgétaire a été atteint en fragilisant le filet social. Il est difficile de recoudre une maille qui a été coupée. Il y a des portions de la société qui ont souffert plus que d’autres.

En regardant les données contenues dans les plans budgétaires, on voit que les dépenses augmentent constamment d’une année à l’autre

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