Détention difficile au temps de l’austérité

Le centre de détention Leclerc manque de personnel pour encadrer les activités de réinsertion.
Photo: Valerian Mazataud Le Devoir Le centre de détention Leclerc manque de personnel pour encadrer les activités de réinsertion.

Les nouvelles conditions offertes aux prisonnières de l’établissement Leclerc de Laval sont jugées déficientes.

Les femmes déplacées de la prison Tanguay à l’établissement Leclerc fin février manquent toujours de vêtements propres et de produits d’hygiène. Elles sont privées de plusieurs services et se retrouvent dans des situations de proximité avec des prisonniers masculins, selon les informations recueillies par Le Devoir.

Cet établissement conçu en 1962 pour des hommes accueille désormais des hommes et femmes pour répondre à des objectifs d’austérité budgétaire, mais sans que les lieux aient été adaptés convenablement aux besoins de chacun. Le ministère de la Sécurité publique considère tout de même que le transfert des prisonnières a été réalisé adéquatement le 29 février.

« Les femmes peuvent montrer leurs seins aux hommes par les fenêtres lorsque ceux-ci sont dans la cour. On me confirme que des brassières ont été lancées par ces fenêtres, puisqu’il n’y a pas de grillage pour l’empêcher. Ça fait augmenter le taux d’hormones dans la prison. Les tensions aussi augmentent à l’intérieur », explique Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en Services correctionnels du Québec (SAPSCQ). « Si ça continue, on va avoir un été chaud. »

La détenue de fin de semaine Nathalie Lecomte le confirme au Devoir. « Quand on est arrivés la première fin de semaine, des gars dans des cellules nous voyaient. Ils ont fait des commentaires. On s’entend là, ce sont des hommes… Après deux ans en prison, ils sont pas habitués à voir des femmes ! »

Alexandra Paré, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, ne nie pas que des contacts visuels et auditifs se produisent dans ces nouveaux lieux communs. Elle insiste toutefois pour dire qu’il n’y a pas de contacts physiques.

La planification a été faite « en amateur », estime le président de la SAPSCQ. « Au début, il voulait même que le déménagement de la prison Tanguay soit fait pour décembre ! Tout ça pour rencontrer au plus vite les cibles de l’austérité décrétée dans des bureaux à Québec, où ils ne connaissent rien à la réalité de la prison. »

Mercredi, la porte-parole du ministère de la Sécurité publique soutenait quant à elle ne pas être au fait de problèmes qui perdureraient dans cette prison.

Vêtements propres

 

Trois semaines après leur arrivée au pénitencier Leclerc, explique Marguerite Rivard, bénévole au service de pastorale, certaines femmes n’ont toujours pas pu récupérer leurs effets personnels, leurs vêtements, du shampoing, etc. « Elles sont parties de Tanguay avec deux ou trois sacs chacune. Tout doit être fouillé et tout le contenu doit être consigné par écrit. C’est long. Certaines familles des prisonnières sont inquiètes », dit-elle. Des femmes portent les mêmes vêtements depuis un long moment.

« On a le droit d’avoir des vêtements. C’est la première fois que j’entends ça », rétorque la porte-parole du ministère de la Sécurité publique.

Le président du syndicat confirme pour sa part qu’il peut y avoir du retard dans le traitement des effets personnels à l’occasion du transfert de prisonnier. « C’est une opération complexe. Tout doit être fouillé et inventorié. Le pénitencier Leclerc est encore en travaux, ce qui n’est pas très adapté pour ce travail. Le bureau d’admission de l’établissement n’est même pas prêt. »

Ce qui a été fait, « ce n’est pas une réussite », constate soeur Rivard. « Je pense que les lieux n’étaient pas prêts, ni le personnel. C’est un bordel. Vous n’avez pas idée. »

Des choses aussi simples que les douches font défaut. « Les douches pour les femmes sont pour l’instant côte à côte, sans rideaux pour les séparer, avec fenêtres qui donnent sur le corridor et qui permettent de les voir… Accueillir des femmes comme ça, c’est un gros gâchis. »

L’ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault vient d’être transférée de Québec au pénitencier Leclerc. En entrevue à LCN, son compagnon, Réal Cloutier, affirme avoir constaté qu’il s’agit d’une « vieille prison », « une bâtisse très âgée », bien que la cellule dont dispose sa compagne, ex-vice-reine, soit mieux adaptée à son handicap. « C’est vétuste », a-t-il souligné néanmoins.

Réal Cloutier a pu constater, grâce à ses conversations avec Lise Thibault, que les prisonnières ne disposent toujours pas de vêtements de rechange, parfois deux semaines après être arrivées dans leur nouvelle prison. « Hier [le mardi 8 mars], ils ont passé des petites culottes à tout le monde parce qu’il y avait un problème de propreté. »

Nathalie Lecomte est au nombre des quelques prisonnières qui ne purgent leur peine que la fin de semaine. Elle doit être derrière les barreaux pour 45 week-ends.

 

À son arrivée à l’établissement Leclerc, elle a été placée avec une vingtaine de femmes dans une pièce, avec un accès aux toilettes seulement après plusieurs heures d’attente. « Des filles avaient envie avant et ont cogné à la fenêtre. Le gardien était pas de bonne humeur. […] Il a dit : “Je m’en câlisse. Pisse où tu veux.” » Certaines femmes ont dû se soulager comme elles le pouvaient, dans ces circonstances. Les problèmes pour celles qui purgent des peines discontinues semblent en bonne partie réglés.

Moins de services

 

L’institut Leclerc manque par ailleurs de personnel pour encadrer les activités de réinsertion. « Il faut couper les services parce qu’on manque d’effectifs », constate le président du Syndicat des agents de la paix.

« Ils n’ont gardé que 40 personnes sur les 125 qui travaillaient à la prison Tanguay », dit soeur Rivard. En conséquence, « ils n’ont pas le personnel pour maintenir toutes les activités. La bibliothèque n’est pas en fonction. À la salle de télévision commune, c’est tellement écho qu’il faut être juste à côté de la télévision pour entendre quelque chose. »

Le président du Syndicat des agents de la paix confirme les dires de soeur Rivard. Des agents lui ont signalé la baisse des services socioculturels donnés aux détenus. « Le gymnase n’est pas conçu pour être mixte. C’est certain que les hommes ne peuvent pas s’y rendre désormais quand les femmes y sont. L’école aussi, comment ça peut fonctionner ? Le parloir, l’infirmerie, c’est pareil. » Il existe au centre Leclerc une buanderie commerciale opérée par les détenus. « Qui va la faire fonctionner ? En attendant, rien ne fonctionne comme ça devrait. Les besoins ont été sous-évalués. »

Les hommes du pénitencier Leclerc écopent en conséquence eux aussi des mesures d’austérité appliquées aux femmes. « C’est certain que ça a des effets sur eux. » Mathieu Lavoie considère d’ailleurs que la situation générale se dégrade dans les prisons du Québec pour cause de restriction budgétaire et de mauvaise planification des besoins humains.



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