La RBQ conteste le projet Cohabitat devant les tribunaux

Louangé par les élus municipaux, le complexe résidentiel Cohabitat est contesté devant les tribunaux par la Régie du bâtiment (RBQ). Le jugement qui doit être rendu dans cette cause pourrait sérieusement compromettre la réussite d’autres projets du genre.
« Il manque probablement une case dans la loi pour que ce soit plus facile pour des groupes comme nous », explique le porte-parole de Cohabitat, Guillaume Pinson.
Inspiré du terme anglais « cohousing », Cohabitat est une formule d’habitation qui vise à cultiver la vie en groupe. Le seul Cohabitat du Québec se trouve dans la capitale, près du cégep François-Xavier Garneau, et comprend 42 logements en copropriété. Il fêtera ses trois ans l’été prochain.
Les résidants de Cohabitat sont propriétaires, mais partagent une grande partie de leur quotidien avec leurs voisins. Un maximum d’activités se déroulent dans une « maison commune » qu’ils ont financée ensemble et qui compte une grande salle à manger pour tous, des chambres d’amis disponibles sur réservation, une salle de jeux pour les enfants et une buanderie.
En novembre, Cohabitat et la Régie du bâtiment se sont retrouvés devant les tribunaux parce qu’ils ne s’entendent pas sur le statut légal de la formule. La Régie estime que le groupe devrait avoir le statut d’« entrepreneur en construction » comme tout promoteur immobilier et obtenir les licences qui viennent avec ce rôle. Pendant la construction, la RBQ a d’ailleurs menacé de fermer le chantier parce que le groupe n’avait pas obtenu ces licences et que les membres n’avaient pas contribué au plan de garantie pour les bâtiments résidentiels neufs.
De son côté, Cohabitat se définit plutôt comme une coopérative de solidarité et « un constructeur propriétaire ». Le groupe plaide que ses objectifs sont différents de ceux d’un promoteur puisqu’il ne vise pas le profit mais le bon voisinage et que l’entrepreneur général à qui il a confié la construction détient toutes les licences. Il soutient que le statut d’entrepreneur en construction vise des gens qui travaillent pour un tiers, ce qui n’est pas son cas.
Une catégorie à part ?
« C’est absurde, explique l’avocat de Cohabitat, Me Jean-Pierre Pelletier. Les préoccupations de la loi ont été satisfaites à 100 %, mais parce que techniquement on dit qu’il y a eu vente de condos de la coopérative à ses membres, on dit que ça prenait une licence d’entrepreneur, un plan de garantie, etc. »
Au-delà de la question de principe, Cohabitat résiste à la RBQ de peur que les gens n’aient plus les moyens financiers de se lancer dans une telle aventure. En plus de la licence d’entrepreneur qui coûte des milliers de dollars, le plan de garantie a forcé chaque résidant à se « cautionner lui-même » pour 150 000 $, précise l’avocat.
En 2014, la Commission des relations de travail (CRT) avait rendu une décision favorable à Cohabitat dans cette affaire, mais la RBQ a ensuite porté sa cause en Cour supérieure. La RBQ n’a pas voulu commenter cette semaine.
Aux yeux de certains, le problème ne sera pas réglé tant qu’on ne créera pas une nouvelle catégorie réglementaire pour ce genre de projet. « Ce qu’on dit, c’est que c’est un nouveau type d’hébergement et que la loi n’a pas prévu ce genre de cas là », précise Me Pelletier.
Dans d’autres pays comme la France et l’Allemagne, les villes les facilitent, selon Claudia Bennicelli de l’organisme Vivre en ville. Ce dernier prépare d’ailleurs une publication sur Cohabitat et d’autres formules d’autopromotion en habitation (l’autopromotion est une forme immobilière par laquelle des gens se réunissent pour acheter).
Le jugement dans la cause l’opposant à la RBQ devrait normalement être rendu d’ici au mois de mai. En attendant, Cohabitat continue de susciter de l’intérêt.
Lors de son inauguration, le maire de Québec, Régis Labeaume, s’était rendu sur place pour le visiter, et de nombreux élus avaient louangé le projet lors de la séance du conseil municipal du 17 février 2014. « La quintessence de la mixité sociale, c’est ce projet-là », avait-il dit. « C’est extraordinaire. »
Selon M. Pinson, de nombreux chercheurs s’y intéressent et tentent de documenter la formule. Depuis l’aboutissement du projet, M. Pinson reçoit aussi régulièrement des messages de groupes souhaitant l’imiter. Des initiatives similaires ont notamment poussé dans la métropole (Cohabitat Montréal), sur la Rive-Sud (Cohabitat 50 +) et à Québec dans le quartier Limoilou.
Cohabitat Montréal est pour l’instant sur la glace. Quant au groupe de Cohabitat 50 +, il est à l’étape du recrutement. Comme son nom l’indique, il s’adresse exclusivement à des personnes de plus de 50 ans.
Le plus abouti est celui de Limoilou. Le groupe inclut 20 personnes et des sous-comités ont été créés pour la gouvernance, le terrain et les communications. Leur projet serait moins grand que Cohabitat Québec (seulement 12 unités) et n’aurait pas comme lui de vocation intergénérationnelle. « On l’a plus axé sur les familles », précise l’une des instigatrices, Solène Tanguay. De l’avis de toutes les personnes concernées, l’achat du terrain est l’une des principales embûches à la réalisation de Cohabitat.